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La lente agonie des chrétiens du Liban-Sud-II

Huit ans après sa libération, Hikmat n’a pas encore récupéré son travail

Neuf ans après le retrait israélien de la bande frontalière, il reste des centaines, voire des milliers de personnes originaires du Liban-Sud et qui avaient fui en Israël avec le départ de l'armée israélienne.
Des familles entières sont donc restées en Israël. D'autres se sont divisées avec le temps qui passait. Les femmes sont rentrées au pays avec les enfants, laissant leur mari derrière la frontière.
À Debl, village exclusivement maronite de la bande frontalière, il reste environ 250 personnes en Israël. La plupart des proches de ces personnes vivent cette situation comme un fait accompli. Ils n'osent pas rêver de voir leurs bien-aimés rentrer au pays et appréhendent le traitement réservé par les autorités à ceux-là.
Il y aura la prison, les procès et l'argent gagné en Israël versé aux avocats. Il y aura aussi, après la prison, le fait de vivre avec un casier judiciaire noir et un mandat d'amener à leur encontre pour un temps indéfini.  
À Debl, comme dans beaucoup d'autres villages de la bande frontalière, chacun a une histoire à raconter.
Hikmat Attié était enseignant à l'école publique du village. Quand les Israéliens ont évacué le Liban-Sud en mai 2000, il a eu peur, peur surtout du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait promis des représailles contre tous ceux qui avaient traité de loin ou de près avec les Israéliens.
Hikmat, sa femme et ses quatre enfants - âgés actuellement de 10 à 17 ans - ont décidé donc de fuir vers Israël à l'instar de milliers d'habitants de la bande frontalière. Arrivé à Saint-Jean-d'Acre, ils passent quatre mois en Israël. En septembre 2000, ils décident de rentrer au Liban. Hikmat voulait être prêt - avec ses enfants - pour la rentrée scolaire.
Il s'était rassuré en se disant qu'il a toujours été enseignant, qu'il n'a jamais porté les armes. Il a pensé que son retour ne sera pas difficile. Il est rentré par la frontière de Naqoura. « J'ai passé un mois et quatre jours au village, puis le jour de la rentrée scolaire, j'étais à l'école. Des membres des services de renseignements sont venus m'arrêter alors que j'étais dans l'établissement. Ils étaient armés et j'ai passé un an en prison », raconte-t-il.
Après sa remise en liberté, Hikmat a pensé qu'il pouvait mener à nouveau une vie normale. Il rentre donc au village pour découvrir qu'il a été muté à l'école publique de Beit Lif, localité chiite de Bint Jbeil.
Hikmat enseigne durant un an. L'année d'après, il donne encore des cours durant trois mois. Tout au long de cette période, il ne touche pas de salaire. « Jusqu'à présent, je n'ai pas encaissé un sou », dit-il. Après un an et trois mois passés à enseigner à l'école publique de Beit Lif, il reçoit une lettre de licenciement qui lui est adressée par le conseil de la fonction publique. Il découvre ensuite qu'un décret présidentiel a ordonné son licenciement.
« J'ai finalement compris donc que pour eux, je suis un agent israélien,  qu'ils ne veulent pas de moi dans l'administration libanaise », dit-il, non sans amertume.
Muni de son dossier, Hikmat fait le tour de tous les responsables pour essayer de trouver une solution à son problème, notamment le patriarche maronite et le président de Chambre, Nabih Berry. En vain.
Il raconte que certains responsables lui ont même dit : « Ton dossier est politique, je ne peux pas t'aider, je ne peux pas en discuter pour le moment. »
Assis dans son salon de Debl, Hikmat indique aujourd'hui, huit ans après sa remise en liberté : « Rien ni personne ne peut compenser ce que j'ai enduré durant un an en prison. »
Hikmat, qui a été jugé parce qu'il est passé en territoire ennemi, a attendu sept après sa libération pour voir son casier judiciaire redevenir blanc. Mais jusqu'à présent, il y a encore un mandat d'amener à son encontre.  Depuis qu'il a été licencié, il n'a plus de travail. Il plante du tabac - subventionné par l'État - pour survivre. « Nous sommes redevenus des paysans », soupire-t-il.
Si Hikmat avait tenu à rentrer au Liban, c'était pour que ses enfants ne grandissent pas loin du village. Il est amer et désabusé. Il dit : « Peut-être faut-il que l'on sache une fois pour toutes que cette terre, cette région  ne sont pas à nous. Qu'il aurait mieux fallu partir. »  
Il enchaîne que « les habitants de la bande frontalière ont de tout temps enduré le pire à cause des Palestiniens puis à cause des Israéliens ». « J'aimerais savoir pourquoi les chrétiens de cette région  souffrent encore à ce point », se demande-t-il.
« J'ai travaillé toute ma vie et voilà où j'en suis. Durant un an et trois mois, je n'ai pas reçu de salaire et j'ai été licencié sans recevoir des indemnités. Je m'inquiète pour mes enfants. Le tabac ne nous suffit pas pour payer leurs études et nos dépenses quotidiennes. Nous ne bénéficions d'aucune sécurité sociale. »
L'épouse de Hikmat par contre tient à rester au Liban, même si elle se souvient que la première fois qu'elle avait quitté la bande frontalière pour se rendre dans d'autres régions du Liban, c'était pour visiter son mari à la prison de Roumié. Elle ne quittera jamais le Liban, elle ne quittera jamais Debl. Elle martèle : « C'est là que nous sommes nés et c'est là que nous vieillirons. Notre avenir et celui de nos enfants sont ici. ».
Hikmat, lui, espère que les instances chrétiennes se décident enfin à aider les habitants chrétiens de ces villages du Liban-Sud à rester chez eux. « S'ils veulent que l'on reste, que le patriarcat maronite nous aide. Il faut aussi qu'il y ait un État de droit où tous les habitants du Sud soient traités équitablement. »
Neuf ans après le retrait israélien de la bande frontalière, il reste des centaines, voire des milliers de personnes originaires du Liban-Sud et qui avaient fui en Israël avec le départ de l'armée israélienne. Des familles entières sont donc restées en Israël. D'autres se sont divisées avec le temps qui passait....