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Législatives : juin 2009 - Tout le monde en parle

II.- À Doha, priorité a été donnée au rétablissement de la paix

Face à ces mentions du taux supérieur au tiers des ministres dans la Constitution, que retenir ? (Voir L'Orient-Le Jour du mercredi 22 juillet).
A.- Dans le système politique libanais, basé sur la sauvegarde des équilibres confessionnels, communautaires, régionaux et politiques, il importe de veiller à ce que la majorité qui gouverne ne détienne pas la totalité du pouvoir exécutif en place.
L'Assemblée constituante a donc prévu des garde-fous permettant de relativiser le pouvoir de la majorité gouvernementale et de requérir presque le consensus pour les décisions à caractère fondamental1. Si cette disposition est ainsi prévue dans la Constitution, cela signifie qu'il devrait y avoir au niveau du pouvoir exécutif une représentativité de la classe politique permettant de jouer tantôt le « partenaire solidaire » dans la gestion des affaires publiques libanaises, tantôt le contre-pouvoir (et non pas l'opposition) par rapport aux questions fondamentales énumérées précédemment, afin d'obtenir le consensus. Or la question qui se pose désormais est la suivante : faut-il accorder ce contre-pouvoir, ou cette garantie de garde-fou, à l'opposition parlementaire (coalition du 8 Mars) ? Ou bien faudrait-il l'octroyer au président de la République, Michel Sleiman, puisqu'il s'agit d'un personnage consensuel, vu le processus de son élection, et le consensus international et régional qui s'est dessiné atour de lui depuis mai 2008 ?
L'opposition, notamment la composante chrétienne dirigée par le général Michel Aoun, répliquerait que le président aurait perdu le caractère consensuel, du fait d'avoir été engagé, d'une certaine façon, dans les élections législatives, à travers les ententes tissées par les forces centristes, qui se réclamaient du camp du chef de l'État avec la coalition du 14 Mars (circonscriptions du Metn-Sud, du Metn-Nord, du Kesrouan, de Jbeil, etc.). D'où la bataille, pour résoudre cette problématique du taux supérieur au  tiers des ministres s'annonce être davantage entre ceux qui veulent l'accorder au  président Sleiman et ceux qui veulent l'octroyer de nouveau à l'opposition.
B.- Le principe dont il est question à l'article 65 relatif au mécanisme des prises de décision2 rappelle le caractère consensuel qui devrait régner au sein du Conseil des ministres, afin de préserver l'équilibre politique et confessionnel ainsi que la stabilité dans le pays. Or vu qu'il s'agit d'une gestion institutionnelle des affaires publiques, l'Assemblée constituante a distingué entre les questions ordinaires et les questions fondamentales au niveau du consensus qui « doit » être requis. Par conséquent, si le consensus n'a pas pu avoir lieu dans la première catégorie d'affaires, l'on procède au vote, et la majorité requise pour la prise de décision sera suffisante. Il ressort de cette distinction entre questions courantes, ou ordinaires, et questions fondamentales qu'il y a un sens et un objectif à l'action gouvernementale.
En effet,  au nom d'un principe général de droit public qui est la continuité dans la conduite du service public, l'on ne peut aucunement se prévaloir du taux supérieur au tiers des ministres pour bloquer le processus décisionnel des questions courantes, que ce soit à travers le quorum ou par la démission du gouvernement. Cela s'avérerait être non conforme à la Constitution. Par conséquent, la fonction du taux supérieur au tiers des ministres est précise, à savoir que tous les ministres membres du cabinet participent de plein droit et solidairement dans la prise de décision pour les questions fondamentales. Toute autre fonction du taux en question (blocage du quorum ou perte de plus de tiers des ministres) n'est pas l'objectif assigné à ce mécanisme de tiers, qui, rappelons-le, constitue le garde-fou pour ne pas octroyer à la majorité qui gouverne la totalité du pouvoir dans le processus décisionnel relatif aux  questions fondamentales.
Or, si le président de la République était élu sur la base de la majorité absolue des voix des députés (c'est-à-dire si le taux des voix obtenues était « uniquement » supérieur à la moitié des députés), le taux supérieur au tiers des ministres serait automatiquement allé à l'opposition parlementaire, dans le but de sauvegarder le mécanisme de garde-fou, dont il est question à l'article 65, puisque le président aurait été considéré du même camp que la majorité parlementaire. Mais cela n'est pas le cas de figure présentement...
Face à ces considérations juridiques, l'accord de Doha en mai 2008 a renversé la situation en octroyant le taux supérieur au tiers des ministres à l'opposition, malgré le fait que le président élu est consensuel. Autrement dit, la majorité a accepté d'accorder le taux en question à l'opposition, comme celle-ci le revendiquait depuis des mois. Peut-on ainsi considérer que l'accord de Doha constitue un précédent « constitutionnel », voire un droit acquis pour toute opposition souhaitant se faire prévaloir de ce droit « constitutionnel » ?
Vu la conjoncture politique ayant régné à l'époque de l'accord de Doha, ainsi que la convergence des intérêts internationaux et régionaux par rapport à la situation du Liban, l'on a déplacé l'accent par rapport à la question du tiers de blocage du débat constitutionnel vers l'opportunité politique. Par conséquent, pour répondre à la question de savoir si l'accord de Doha constitue ou non un précédent, il convient d'examiner la question sous l'angle de l'opportunité politique et non pas sous celui de la consécration d'un principe juridique.

Stipulations circonstancielles de l'accord de Doha en mai 2008
A.- Si l'on revient aux événements qui ont eu lieu avant l'accord de Doha, force est de constater que le document en question avait comme objectif principal et fondamental de rétablir la paix civile au Liban, à la suite des confrontations armées entre le Hezbollah,  Amal et des fractions  prosyriennes, d'un côté, et les forces sunnites et druzes (Beyrouth, Mont-Liban et Liban-Nord), d'un autre côté.
Le pays aurait pu connaître un conflit armé sanglant, au regard de ces confrontations violentes, s'il n'y avait pas eu l'intervention diplomatique et la médiation de la Ligue des États arabes et du Qatar.
C'est pourquoi, au premier paragraphe du quatrième article de l'accord de Doha, relatif à la gestion des divergences libanaises, il est clairement rappelé que le règlement de tout différend doit être « pacifique », loin de la violence et des conflits armés. Il s'agit du premier et principal apport de l'accord de Doha. Ainsi, la présence de l'opposition au sein du pouvoir exécutif avec le tiers de blocage obéissait à cette donne relative au règlement pacifique de « tous » les différends à l'intérieur des institutions. Dans un contexte de sortie de confrontations violentes, il va de soi qu'il importe de rétablir la confiance entre les  dirigeants à travers leur participation tous et solidairement (à travers leurs représentants) au gouvernement d'union nationale.
B.- En second lieu, face à la vacance de la première magistrature dans l'État, qui a duré presque sept mois, la stabilité du pays et la pérennité de ses institutions démocratiques étaient en péril (ajoutons à cette vacance la fermeture du Parlement). L'accord de Doha est venu débloquer le processus d'élection du président de la République et préparer les élections législatives à venir, en s'entendant sur la loi électorale de 1960, avec des remaniements minimaux. Ainsi, l'action principale du gouvernement d'union nationale, au sein duquel l'opposition a eu plus que le tiers des ministres, avait comme objectif principal, au regard de l'accord de Doha, et des volontés des puissances régionales et internationales, de préparer la prochaine échéance des élections législatives, enracinant le pays dans sa tradition démocratique et renforçant la stabilité des institutions.  Face à cette échéance, que toutes les factions attendaient et sur laquelle elles misaient pour consacrer la pérennité de sa légitimité, il était difficile à l'époque de concevoir que le mécanisme de garde-fou ne soit pas entre les mains de l'opposition pour s'assurer que tous les processus qui devaient conduire à cette échéance étaient transparents et valides. En effet, bien que l'opposition jouissait du tiers de blocage dans l'actuel gouvernement, elle ne cesse de critiquer les composantes civiles et militaires du pouvoir public en leur reprochant d'avoir travaillé et mobilisé la masse contre eux durant les élections législatives (voir le discours du général Aoun au Kesrouan le 18 juin 20093). Que dire alors si l'opposition n'avait pas été représentée au sein du gouvernement, comme elle le souhaitait, face à cette échéance majeure ? Elle aurait pu éventuellement protester contre l'ensemble du scrutin au lendemain des élections si elle n'avait pas obtenu la majorité.

Fady FADEL
Professeur de droit public
et vice-recteur - secrétaire
général de l'Université antonine

1 Article 65 de la Constitution alinéa 6.
2 « Les décisions y sont prises par consensus, ou, si cela s'avère impossible, par vote, et les décisions sont alors prises à la majorité des présents. »
3 http://annahar.com/content.php?priority=8&table=mahaly&type=mahaly&day=Fri
L'Assemblée constituante a donc prévu des garde-fous permettant de relativiser le pouvoir de la majorité gouvernementale et de requérir presque le consensus pour les décisions à caractère fondamental1. Si cette disposition est ainsi prévue dans la Constitution, cela signifie qu'il devrait y avoir au niveau du pouvoir exécutif une...