Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Un pas vers la réconciliation

Par Wassim HENOUD
À l'occasion des dernières élections, une batterie de plumes bien pensantes a déversé son fiel sans discontinuer contre le général Michel Aoun. Si personne n'est infaillible, il est inconcevable et quasiment intolérable de confondre cet homme avec les saigneurs du pays pendant les années noires de la guerre. Quant aux adjectifs de fasciste ou de milicien en chef crachés contre lui, outre l'insulte faite à une part significative de l'électorat qui lui a fait confiance au lieu de voter pour lui par crainte de représailles, nous laissent pantois pour n'écrire que ça.
Car voyez-vous, le pire dans tout ça est que de l'avis de nombreux amis lecteurs que j'ai consultés, il y a ce malaise lancinant, que ceux qui écrivent, à défaut d'être convaincants, ne semblent même pas être eux-mêmes convaincus de ce qu'ils avancent : un peu à l'image de ces avocats qui sont nommés d'office pour plaider une cause qui ne les passionne pas : sans conviction, mais avec professionnalisme et, je dois avouer, un certain brio. Mais le cœur, et l'éclair de vérité de la conscience, manquent cruellement. On peut aussi évidemment se tromper...
Je suis reconnaissant à l'une de ces plumes d'avoir osé mettre les financiers de la guerre au rang de ceux qui pointaient leurs armes contre leur propre peuple. J'ajouterai néanmoins que c'est dommage que dans toutes ces plaidoiries, le sang libanais soit devenu si bon marché qu'on puisse le balayer ainsi du revers d'un pardon, et s'attendre ensuite à être félicité et porté aux nues. Sinon quoi ? Plus de sang ? Plus de destruction ? J'en arrive à envier l'attachement des juifs à la défense de leur peuple qui fait qu'ils traquent encore, soixante-cinq ans après, ceux qui ont semé la mort dans leurs rangs durant l'Holocauste. Pour l'assassin à qui Aoun a pardonné, combien de gens ont été éliminés pour avoir seulement osé penser autrement.
Étant de ceux qui croient intimement que les vrais héros de la guerre sont ceux qui ont résisté silencieusement dans le bastion de leurs principes humanistes contre la violence ambiante, je n'arrive pas à accepter l'échange de pardons, aussi solennels qu'ils puissent être, contre un blanc-seing pour garder une mainmise sur la destinée des Libanais.
Appartenant à une masse silencieuse de citoyens qui œuvrent sans relâche, dans l'obscur anonymat de leurs vies de tous les jours, pour que nos descendants puissent garder la tête haute et nous remercier de leur avoir préservé une liberté de pensée et une conscience tranquille, je ne me sens pas contraint d'accorder en temps de paix ce que je n'ai pas pu admettre en temps de guerre.
Qu'il la revendique ou pas, la grande victoire de Michel Aoun a été d'avoir libéré le vote de la plupart des districts à majorité chrétienne. Cette libération ne saurait être le fait d'un fasciste ou d'un chef milicien, mais celle d'un grand homme qui a consacré sa vie pour la cause libanaise, et qui a chèrement payé le prix de son amour pour le pays et de ses convictions. On s'en rappellera certainement un jour avec beaucoup de gratitude. À ce propos, entrer dans les arcanes de qui a voté pour qui dans ces districts n'honorerait pas cette victoire, amère car elle démontre le confessionnalisme où se débat toujours le Liban, mais nécessaire après vingt ans de brimades.
Là où elles ont emporté la victoire, le vote pour les listes affiliées au courant du général Aoun était motivé par un refus viscéral de retourner à la situation honnie des années de guerre et des hommes qui l'ont marquée. Les opérations escargot et les excès de zèle qui ont certainement découragé assez d'électeurs pour permettre la percée surprise au Metn n'y changent pas grand-chose. Le Kesrouan a démenti encore une fois le cliché de xénophobie qu'on veut lui coller pour élire le général pour un deuxième mandat. Quant à Jbeil, la victoire éclatante des purs produits de cette majorité silencieuse et fière vaut à elle seule tous les discours.
Les votes du Batroun et du Koura ont suivi la même logique contestatrice, car les électeurs qui ont associé la lourde influence de Frangié à celle de l'occupation syrienne n'ont pas digéré de ramener celui-ci chez eux sous couvert orange. Je regrette que la fougue intelligente d'un Gebran Bassil n'ait pas pu percer, mais respecte la décision de ceux qui ont pu enfin afficher dans les urnes la révolte qu'on leur a longtemps refusée. Sans trop m'étendre sur ce sujet, je note également que ceux d'Achrafieh et de Jezzine ont réagi pareil, tout en votant pour des courants politiques opposés.
En attendant de libérer les votes de nos concitoyens immobilisés dans les carcans des blocs monochromes, il faudra savourer cette liberté retrouvée et remercier celui qui nous l'a offerte. Il faudra surtout réconcilier les Libanais avec leur bonne conscience en nettoyant les plaies encore pestilentielles des années de plomb. Il faudra demander et rendre compte pour chaque disparu et chaque martyr. Il faudra que les exilés de l'intérieur puissent retrouver leurs biens confisqués. Il faudra enfin briser le cercle vicieux de la fraude et de la corruption - car on tue moins pour des principes ou des idées que pour les espèces sonnantes et trébuchantes
Car aujourd'hui autant qu'hier, la résistance à la réforme passe par le désir de quelques-uns de garder les avantages juteux octroyés par un système d'injustice sociale et de corruption. Cela ne la rend que plus virulente et justifie à ses yeux toutes sortes de coups bas.
Juste pour l'exemple, prenez l'assurance maladie : il faut à l'employé ordinaire jusqu'à neuf mois pour voir ses frais médicaux remboursés. Faute d'argent principalement ! Mais quand on a baissé les contributions à la Caisse nationale de Sécurité sociale, quand l'écrasante majorité des projets immobiliers ou structuraux se fait par des étrangers recrutés au noir, quand les employés sont poussés à l'exil, le financement se tarit nécessairement, et on ne peut pas s'attendre à des miracles. Mais quand les « services » vantés par des candidats au Parlement sont du genre à raccourcir les délais de remboursement, on comprend la manne que représente pour eux ce dysfonctionnement systémique et leur réticence extrême à y remédier ; surtout quant une dîme leur est payée pour chaque dossier traité.
J'ai observé de près, de par mon travail de l'époque, l'accession au pouvoir inopinée et presque accidentelle du général Aoun en septembre 1988, et les guerres qui ont marqué ses deux ans à Baabda. Je me rappelle fort bien sa décision de fermer les ports illégaux, et que les hostilités qu'on lui a imputées avaient été déclenchées par des milices nationales et autres forces étrangères sur notre sol, qui profitaient impunément des activités fort lucratives de ces ports. Je me rappelle aussi que de septembre 88 à mars 89, il n'y a pas eu d'incidents majeurs, et qu'en mars, l'armée restait aussi démunie qu'en septembre en matériel et munitions pour se permettre de lancer une guerre sous quelque motif que ce soit. Mais Taëf était déjà en marche et il fallait cueillir les chrétiens alors qu'ils étaient au plus bas... et pour ça il a fallu une suite infâme à la glorieuse guerre de Libération, et là aussi Taëf était le principal financier de la liquidation de notre résistance.
Alors, avant de taxer l'homme de mégalomanie, de soif effrénée du pouvoir, d'insanité et bien d'autres inepties du même acabit, rappelons-nous l'appréhension qu'on avait à l'époque quand il fallait présenter nos passeports dans les aéroports d'Europe ou d'ailleurs, et combien on avait peur d'être confondus avec les individus qui régnaient chez nous par la terreur. Rappelons-nous l'immense élan de sympathie et de fierté qu'avait suscité à travers le monde la résistance libanaise ; à tel point qu'il y a eu des centaines de Français, et pas des moindres, qui avaient demandé la citoyenneté libanaise. Il y eut, ne l'oublions pas non plus, d'éminents martyrs durant cette époque qui avaient revendiqué avec force la primauté de l'État sur le règne des vautours de l'occupation et leurs collabos, et le rétablissement de la fierté du Libanais d'appartenir à l'un des plus vieux et plus pacifiques pays de cette planète. Ces martyrs n'étaient pas tous du camp de Aoun, mais leur mort était annoncée pour avoir défié les anarchies miliciennes et leurs souteneurs régionaux.
« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. » Le célèbre mot de Beaumarchais a été lâché à maintes reprises. Je sais que si quelques-uns y ont succombé, la vérité prévaudra, et tout finira par rentrer un jour dans l'ordre. J'espère simplement que ce sera pour bientôt et surtout que ces cicatrices ne laisseront pas trop de séquelles. L'harmonie nationale dans la liberté ne s'en remettrait que plus difficilement.
À l'occasion des dernières élections, une batterie de plumes bien pensantes a déversé son fiel sans discontinuer contre le général Michel Aoun. Si personne n'est infaillible, il est inconcevable et quasiment intolérable de confondre cet homme avec les saigneurs du pays pendant les années noires de la guerre. Quant aux...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut