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Liban - En dents de scie

Gémellité

Je rêve de créer un CPL sans Michel Aoun.
Karim, 31 ans, militant de toujours


Vingt-deuxième semaine de 2009.
Personne ne pensera reprocher à Michel Aoun d'organiser dix, vingt, cent meetings au cœur d'Achrafieh - comme personne ne pourrait contester à Samir Geagea, par exemple, le droit d'en tenir autant en plein, par exemple, Hadeth. Personne ne pensera empêcher qui que ce soit d'user et d'abuser de ce droit démocratique inaliénable.
Mais à l'heure où est désormais plus qu'urgente l'acceptation de l'autre, l'autre qui, lui aussi, a fait la guerre, l'autre qui a donc nécessairement, lui aussi, commis les pires excès, l'autre qui, pourtant, a pris la peine, lui, de demander pardon, et à l'heure où contribuer à calmer le jeu entre toutes les factions de ce pays sans exception aucune est devenue une question de survie nationale, la provocation de Michel Aoun crachée, en ce 28 mai, à la gueule de ces autres en général et à celle de la majorité des électeurs de Beyrouth I en particulier n'est rien moins que criminelle. Cette incitation à la haine du frère, du voisin, du compatriote, cette détermination à ne jamais vouloir évoluer, cette insistance à ne jamais vouloir tourner la page d'un passé qui pourtant le dessert comme rarement, cette obstination à aller ramasser les voix dans les remugles et les fosses septiques d'une décennie et demie que n'importe quel Libanais, après en avoir tiré les leçons, aimerait définitivement oublier, tout cela aurait été durement et légalement sanctionné dans n'importe quel pays civilisé ; tout cela, surtout, a quelque chose certes de stupéfiant mais, finalement, de très cohérent : le chef de file de l'opposition au Kesrouan ne se sent bien qu'en temps de guerre(s).
Faire comme lui, ramener le passé et ses sales fantômes, équivaudrait à dire : Michel Aoun ne peut être, ne peut exister et s'affirmer que par le biais de guerre(s) d'élimination. Ne pas faire comme lui, le prendre au pied de ses lettres, autoriserait une lecture, au premier degré, de ses obsessions. Le changement et la réforme échafaudés par Michel Aoun sont un des plus saisissants hold-up politiques de ce XXIe siècle : le changement qu'il prône n'est rien d'autre, au pire, que la réduction de l'autre au silence, au mieux, son uniformisation, son absorption dans la masse ; quant à sa IIIe République, censée naître de l'application de ses réformes, elle implique purement et simplement un retour à l'avant-Taëf. Un retour aux guerres ?
Pour un CPL qui prétendait, par les grâces de ce risible et stérile document de Mar Mikhaïl, libaniser le Hezbollah, le résultat est renversant : la formation de Hassan Nasrallah non seulement opère désormais en Égypte et au Yémen, mais, jouant intelligemment sur la mégalomanie de Michel Aoun, son revanchisme, sa fascination délétère et quasiment morbide pour le fauteuil présidentiel, a totalement hezbollahisé ce CPL : comme le Hezb, le CPL ne se galvanise plus et ne trouve plus ses raisons d'être qu'en temps de guerres, guerres réelles et perpétuelles pour le parti de Dieu, guerres non moins féroces même si encore blanches pour les aounistes. Comme le Hezb, le CPL est devenu l'un des plus farouches opposants au sunnisme politique, au haririsme. Comme le Hezb, le CPL s'est muté, lui aussi, et c'est là que le sourire navré laisse la place à un rictus d'horreur, en une milice.
Aux miliciens/combattants du Hezbollah, les armes, avec tout ce qu'elles signifient, impliquent et entraînent ; aux miliciens/cadres du CPL, les désormais fameux soldats du général, une mission qu'ils remplissent volontiers, tous, depuis quelques semaines, à travers leurs discours dans l'ensemble des médias. Cette mission qu'ils ont infiniment acceptée consiste à rendre réelles les dystopies de George Orwell, tant celle de 1984 que celle de La ferme des animaux : uniformiser les désirs et les attentes ; réglementer l'expression ; standardiser la pensée ; cloner ; dynamiter les libertés ; instaurer et installer un terrorisme intellectuel uniquement dédié au service d'un Lider Maximo prisonnier à la fois de son schème fantasmagorique et des exigences d'un parti surarmé obligé de tout faire pour échapper à la solitude et à la stérilité institutionnelles du chiisme politique, pour conserver donc cette dimension nationale que seule son alliance avec le CPL peut lui donner.
Pour aussi désolants que soient le scénario et le casting, la distribution des rôles est parfaite, tout comme, visiblement, cette synergie vers le pire entre Hezbollah et CPL que le document de Mar Mikhaël, encore lui, ridicule et arachnéen cache-sexe, n'arrive même plus à cacher. Parce qu'il est clair que ce texte signé au cours d'une scénographie aussi hypocrite que mélodramatique entre les murs d'une église ne sert absolument pas, encore une fois, à empêcher les miliciens du Hezb d'envahir le bon port de Jounieh ou la vaillante place Sassine : le feraient-ils qu'ils signeraient là leur définitif suicide libanais ; il est clair que ce texte n'a été rédigé, entre Batroun et Rabieh, que pour servir de cadre quasi constitutionnel au putsch que prépare cette drôle de doïka.
Un putsch que seuls les figurants de ce péplum malade peuvent contribuer, pour l'instant puisque les armes sont et resteront le privilège du Hezb et de son jumeau, à éviter : en allant voter, dimanche prochain, ni pour des hommes ni pour des slogans, mais pour une vision et un rêve. En allant voter et en gardant en tête cette gargantuesque ironie : à l'heure où les Forces libanaises, le PSP, et même Amal, entre autres, sont entrés dans la danse de la Loi fondamentale ; à l'heure où ces anciennes milices ont accepté, d'une façon exemplaire pour les formations de Samir Geagea et de Walid Joumblatt, de servir l'État (bien ou mal, là n'est pas la question), l'ex-champion d'un État fort (label très discutable : ce projet, ce concept n'étaient destinés finalement qu'à l'engluer pour un, deux ou cinq mandats à Baabda), ce héraut de la lutte antimilices finit son anamorphose. La contamination est parachevée : comme celles du Hezbollah, la praxis politique du CPL est désormais simplement milicienne.
Ironie ? Non. Tragédie.

PS : Après la voix démiurgique du ministre des Télécoms annonçant aux abonnés alfa et mtc qu'ils ne rêvent pas, que c'est bien Gebran Bassil himself qui leur parle, et après l'utilisation abusive et illégale par le chef du CPL des espaces réservés au culte comme lieux de meetings populaires, c'est au tour du n°2 du gouvernement, Issam Abou-Jamra, d'organiser un cocktail lundi prochain à 17h dans les bureaux républicains de la vice-présidence du Conseil - pas pour dire au revoir à ses collègues, mais à des fins purement électorales. La vita è bella.
Je rêve de créer un CPL sans Michel Aoun.Karim, 31 ans, militant de toujoursVingt-deuxième semaine de 2009.Personne ne pensera reprocher à Michel Aoun d'organiser dix, vingt, cent meetings au cœur d'Achrafieh - comme personne ne pourrait contester à Samir Geagea, par exemple, le droit d'en tenir autant en plein, par exemple, Hadeth. Personne ne pensera...
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