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Liban - En dents de scie

IIIe République, Jour 1

Vingtième semaine de 2009.
D'abord, un mea culpa. Un grand, un sincère mea culpa. Pardon. Pardon d'avoir écrit et réécrit que le CPL en général, Michel Aoun en particulier sont, bon gré, mal gré, infiniment otages du Hezbollah. Qu'en captifs amoureux et béats, ils auront réussi à repousser encore plus loin les limites de la fusion comme le champ des possibles du syndrome de Stockholm, se contentant de suivre, de bêler, d'obéir. En réalité, il n'y a ni maître ni esclave ; en réalité, le couple Hezbollah-CPL a ceci de précieux qu'il n'y a en son sein ni dominant ni soumis, ni bourreau ni victime. Le patron du Hezb l'a démontré hier avec tout le sinistre talent qu'on lui connaît. Le CPL et Michel Aoun ont fantasmé la IIIe République, le Hezbollah et Hassan Nasrallah vont la leur exécuter - s'ils n'étaient absolument mortifères, ce partenariat idéal et cette douce symbiose auraient été parfaits. Sauf que non. Mille fois non.
Le coup d'État a été officiellement lancé ce 15 mai 2009. Un coup d'État contre l'État, naturellement, c'est-à-dire contre l'accord de Taëf ; un coup d'État contre l'identité du Liban et sa nature : la coexistence et la démocratie consensuelle ; un coup d'État contre la fonction présidentielle ; un coup d'État contre le système même, puisque le discours de Hassan Nasrallah laisse clairement entrevoir l'éventualité d'un dynamitage du scrutin du 7 juin ; et un coup d'État, last but not least, contre la légalité internationale représentée par la résolution 1701.
Aurait-il kidnappé un régiment entier de soldats israéliens en territoire hébreu que le secrétaire général du Hezbollah n'aurait pas mieux fait - en termes de conséquences.
Une simple, une superficielle analyse de texte suffit. Nous voulons un État solide qui puisse se dispenser de la présence d'une force internationale veut dire : nous voulons avoir les mains libres, qu'il n'y ait pas de Casques bleus au Liban-Sud, pour garder constamment ouvert et brûlant le front libano-israélien. Qui souhaite être un partenaire à part entière dans ce pays ne peut que rechercher le tiers de blocage n'est pas seulement une insulte au bon sens et à l'intelligence des Libanais en général et de Nasrallah Sfeir en particulier (le patriarche maronite a requalifié d'hérésie la cohabitation majorité/minorité au sein de l'Exécutif), elle équivaut tout autant à une gifle retentissante assénée contre la présidence de la République, notamment au lendemain du soufflet infligé à l'exemplaire Michel Sleiman, et un énième coup de poignard dans cet accord de Taëf décidément honni par l'ensemble du 8 Mars. Qui a pu vaincre l'armée la plus puissante du monde peut diriger un pays bien plus grand que le Liban n'est pas uniquement un bras d'honneur d'une présomption et d'une insolence inouïes fait à tous les autres Libanais, c'est-à-dire les non-armés ; c'est aussi la plus hypocrite des manières de faire comprendre au 14 Mars en général et à Saad Hariri en particulier (c'est-à-dire à celui qui a constamment refusé dans le principe une participation de la minorité au pouvoir et encore plus le concept pouilleux du tiers de blocage) que le Hezbollah et le CPL peuvent impérialement se passer encore une fois des autres, de tous les autres, pour gouverner le pays, surtout que les autres, encore une fois, n'ont pas... d'armes.
Mais tout cela passe. Tout cela peut passer. Tout cela, à la limite, se discute. Tout cela, in fine, pourrait éventuellement s'arranger. Même le stalinisme relooké peut passer : nous ne voulons pas que vous oubliiez le 7 mai parce que nous ne voulons pas que la bêtise du 5 mai se reproduise... Même le leurre peut passer : le 7 mai a placé le Liban sur les rails de la solution, a permis l'accord de Doha, l'élection d'un président. Là, il est grand temps, il est plus que temps de casser un mythe géant, un gargantuesque mensonge : ce n'est pas le viol de Beyrouth, ce n'est pas le retournement des armes du Hezb contre l'intérieur qui ont permis tout cela. C'est parce que les druzes de la Montagne se sont battus comme des lions pour préserver leur honneur, contournant ainsi les ordres d'un bey légitimement obsédé par l'urgence d'arrêter l'effusion de sang, c'est parce qu'ils ont réussi à bouter hors de leurs terres et de leurs maisons leurs frères libanais transformés sur injonction de Hassan Nasrallah en envahisseurs purs et simples, que cet accord de Doha, bon dans son esprit mais létal dans sa lettre, a été possible, qu'une deuxième guerre civile a été stoppée.
En repoussant les frontières plus ou moins caoutchouc de l'acceptable, tout cela pourrait éventuellement passer.
Mais il y a eu ça : je déclare glorieux pour la Résistance la journée du 7 mai.
Assénés sous le regard imperturbable et complice comme jamais du candidat à Baabda, Alain Aoun, un homme dont on disait pourtant qu'il représentait l'exacte antithèse, au sein du CPL, de l'hyperhezbollahi-compatible Gebran Bassil, cette phrase, ce coup de grâce résument tout : à une vingtaine de jours d'un scrutin souillé d'avance (le 8 Mars fait tout pour empêcher la formation du Conseil constitutionnel), d'un scrutin éminemment fragile sur le plan psychologique, donc sécuritaire, Hassan Nasrallah a simplement (re)déclaré la guerre aux sunnites. Pas moins. Et que cela coïncide avec le 89e anniversaire du patriarche Sfeir, auquel le patron du Hezb a fait un insensé cadeau, et surtout avec la vingtième commémoration de l'assassinat d'un des plus grands hommes d'État que ce pays ait connus, le mufti-martyr Hassan Khaled (dont Michel Aoun doit particulièrement bien se souvenir : cheikh Khaled l'appuyait durant sa guerre contre la Syrie à la fin des années 80, une époque au cours de laquelle le très cyclothymique chef du CPL n'avait étrangement rien à redire contre les sunnites), ne relève sans doute en rien du hasard : Hassan Nasrallah ne laisse rien au hasard.
D'aucuns pourraient penser que ce qui s'appellera dorénavant l'annonce du 15 mai, cet acte de naissance du putsch, cet anti-8 Mars dans le sens où les propos tenus en ce jour de l'an 2005 étaient une promesse faite à la Syrie et que ceux d'hier sont un engagement féroce envers l'Iran, n'est en réalité qu'une bravade, qu'une fanfaronnade, une espèce de façon de remonter le moral des troupes parce que les pronostics, contrairement aux angoisses existentielles des partisans du 14 Mars, sont mauvais pour l'opposition. Peut-être. Ou pas. D'aucuns, aussi, pourraient penser que cette annonce du 15 mai est un avortement pur et simple de l'opération électorale, l'assassinat des législatives 2009. Peut-être. Ou pas. Sauf que ce qui compte, c'est la réaction d'en face. C'est un sursaut de l'Alliance du 14 Mars, censée se réunir selon l'un de ses membres la semaine prochaine, au plus haut niveau, entre les murs du très symbolique hôtel Bristol. Ce qui doit primer, désormais, dans une dimension éminemment démocratique, pacifique, légale, c'est l'instinct de survie. La survie, entre autres, des acquis amassés grâce à cette deuxième indépendance qu'une éventuelle IIIe République devra engloutir et digérer pour pouvoir respirer. Sans un plan d'action du 14 Mars, cette deuxième indépendance restera ce qu'elle est aujourd'hui : un parfait, un inespéré sitting duck.
Vingtième semaine de 2009.D'abord, un mea culpa. Un grand, un sincère mea culpa. Pardon. Pardon d'avoir écrit et réécrit que le CPL en général, Michel Aoun en particulier sont, bon gré, mal gré, infiniment otages du Hezbollah. Qu'en captifs amoureux et béats, ils auront réussi à repousser encore plus loin les...
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