Belles vs Vote

Sois belle et vote. Sois belle et adhère au manichéisme politique ambiant, comme tout le monde, sans trop poser de questions. Sans remettre quoi que ce soit en question. D'ailleurs c'est presque une évidence de demander cela à une femme. Tout le monde sait que son rôle est cantonné à quelques secteurs de la vie sociale, sans plus. Même si tu soignes ton look, que tu recherches constamment la perfection, que tu te remets en permanence en question, aussi bien physiquement qu'intellectuellement, sois belle et tais-toi. Sois belle et laisse-toi mener par les mâles de ce pays, contente-toi d'être belle pour te caser enfin, coûte que coûte. Sois belle, sois juste belle, sans jamais pouvoir donner la nationalité libanaise à tes propres enfants alors que ton compatriote mâle, lui, est totalement habilité par la loi à le faire. Sois belle et accepte sans broncher toute la violence de la gent masculine à ton égard, même si après ça tu n'es plus vraiment belle. Sois belle et vote, un point c'est tout.
À qui imputer la responsabilité du silence qui a entouré la publication de ces affiches électorales un peu partout sur le territoire libanais ? À une agence de publicité qui se serait soudainement emmêlé les pinceaux en oubliant que ce type de message - misogyne et méprisant - ne passe pas ? Et puis, en considérant que le message en lui-même ne serait absolument pas choquant, le choix du visage féminin censé illustrer l'idée véhiculée par le slogan laisse perplexe. En quoi une top model brésilienne est-elle représentative de la femme libanaise ? Les femmes au Liban devraient en somme se contenter d'être - ce qu'elles ne sont pas - siliconées, artificielles, totalement incapables d'avoir un avis politique propre. Elles devraient voter aveuglément pour tel ou tel candidat, telle ou telle liste. Un point c'est tout.
À qui imputer la responsabilité de ce silence ? Les femmes libanaises, celles qui travaillent, dirigent activement leur entreprise, se lèvent tôt chaque matin, celles qui sont bardées de diplômes, celles qui sont engagées dans des associations, celles qui ont fait en sorte que le rêve de la révolution du Cèdre est devenu une réalité, celles qui sont engagées dans l'opposition et rêvent que leur parti remporte les élections, toutes ces femmes, où sont-elles ? Comment acceptent-elles de se faire cataloguer de manière aussi simpliste, aussi réductrice, alors qu'elles font partie de la population active et que c'est en très grande partie grâce à elles - ferventes consommatrices - que l'économie libanaise continue de tourner ? Pourquoi savent-elles se montrer hyperexigentes lorsqu'il s'agit de mode, de coupe de cheveux ou de voiture de luxe ? Pourquoi ne recherchent-elles pas aussi le meilleur en politique ? Pourquoi n'exigent-elles pas le respect de leur rôle sociopolitique ?
Mais il faut aussi, c'est vrai, savoir se montrer réaliste. Pourquoi s'attendre à une campagne électorale politiquement correcte à l'égard des femmes lorsque d'autres slogans ont déjà égratigné bon nombre de principes fondamentaux de la société libanaise ? Pourquoi s'attendre à une campagne qui épargne les femmes - et finalement, leur dignité - lorsque les responsables de ce pays ont purement et simplement rejeté la proposition de loi tendant à imposer un quota féminin de 30 % au sein de chaque liste électorale ? Merci messieurs, encore une fois, car le ton était d'ores et déjà donné ; il n'y avait plus qu'à attendre le faux pas qui suivrait. Maintenant, c'est fait. Il est toutefois regrettable que cette affiche n'ait pas été purement et simplement retirée par le courant politique qui l'a lui-même conçue. Que la boîte de publicité qui a créé le concept - finalement assez douteux - ne se soit pas rendu compte par elle-même que le message pourrait mal passer, voire être mal interprété. Et que les femmes de ce pays, toutes tendances politiques confondues, surtout celles au pouvoir, surtout celles qui font partie de l'opposition, ne soient pas assez convaincues de leurs droits en tant que citoyennes pour demander des comptes aux auteurs d'une campagne de publicité qui égratigne fortement leur identité, leur dignité et leur place au sein d'une société, même si celle-ci se cherche encore.