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CD, DVD - Un peu plus de...

Expressions et sensations

Mon grand-père m'a dit un jour, et je ne l'oublierai pas, que si le français était la langue de la littérature, l'allemand celle de la philosophie, l'italien celle de l'amour, et bien l'arabe était la langue des sensations. Comme il avait vu juste. Comme cette langue exprime à merveille toutes les sensations de la vie. Comme elle témoigne avec justesse de chaque émotion ressentie. Comme elle traduit avec pertinence nos pires démons lorsque l'on se met à insulter, jurer, pester contre un chauffard malintentionné qui vous fait un doigt d'honneur alors que c'est lui qui est en sens interdit. La décence m'interdit de mettre sur papier nos plus belles injures. Celles qui «bi fecho el-khele2 ». Ces blasphèmes et autres insolences qui nous défoulent, malgré toute leur vulgaire portée. Dieu seul sait à quel point ils sont exquis... Mais il n'y a pas seulement les invectives qui sont mordantes. La plupart de nos expressions le sont. La « la2mané » par exemple est difficilement traduisible en français. Le sarcasme en est la définition la plus proche, mais elle n'est pas tout à fait exacte. Quant au verbe, il n'existe pas. « T'la2man 3aléyé » est énorme et inconnu dans la langue de Baudelaire. Et c'est bien dommage. Tout comme « bayyadlé wejjé ». Ah, il y a de quoi être fier, mais là encore, ce n'est pas tout à fait ça. L'action de rendre quelqu'un fier, c'est une nuance qu'on ne retrouve pas partout... On appelle une amie toulousaine pour lui raconter ses dernières histoires, ses tracas, ses petites anxiétés. Allez lui faire comprendre cette satanée « 3ab2a » qui nous prend en cours de journée. Que cet étouffement intérieur... non ce n'est pas ça. Qu'une amie en qui on avait confiance s'est avérée être « une cloche sur un derrière de mulet ». Et qu'il fallait s'y attendre car « tape l'eau, ça reste de l'eau ». Ce n'est pas vraiment ça non plus, mais ça en a l'air. Comme le Canada Dry... « Lama3 rassé » ou « j'ai eu une douleur éclair dans la tête ». Rien à dire, ce n'est pas aussi suggestif. Mais la palme revient à ce mot extraordinaire, cette odeur qui nous irrite les narines, cet écœurement qui nous prend quand on pose ses lèvres sur un verre mal lavé et que s'en dégage « ri7et zan'kha ». Non non, ce n'est ni une odeur d'œuf pourri ni de poisson avarié, c'est la « zan'kha »... Même si on trouve beaucoup d'équivalents en français ou en anglais, comme « tanjra wou lé2it ghataha », qui existe littéralement en français « marmite a trouvé son couvercle », « yallé bayto bi 2zez, ma bi réchi2 bi hjar » est beaucoup plus fort que « celui qui a une poutre dans l'œil... ». C'est beaucoup plus imagé. Cette maison de verre, on n'a aucun mal à l'imaginer volant aux éclats. Surtout que le proverbe français correspond mieux à notre « jamal ma bi chouf 7erdabto ». « Petit de taille, grand par ses actes ». « Son mari est le pied de la chaise »... Elle réside là, la puissance de notre libanais populaire. Proverbes et expressions sont tellement imagés qu'on peine souvent à en trouver la meilleure définition. Ils se définissent eux-mêmes. « El 2erd bi ayn emmo ghazél ». Immense ! « Le singe, dans l'œil de sa mère, est une gazelle ». In-tra-dui-si-ble. Et pourtant si vraie comme expression. Le sourire béat d'une mère devant sa progéniture non épargnée par la nature transparaît bien dans cette phrase. Alors, il y a tout un tas de ces petites expressions, de ces proverbes ancestraux, de ces métaphores typiques de chez nous. On trouve une multitude de variantes, selon les régions, les générations, la mode du moment... Il faut écouter les jeunes parler pour réaliser que notre langue évolue avec son temps, qu'elle adopte et importe des termes français, anglais, italiens, qu'elle les transforme au goût du jour et qu'elle finit par intégrer avec brio et intelligence des mots compliqués, scientifiques pour les rendre encore plus expressifs que dans leur signification d'origine. « Hastarit », « daprass », « tmakiyajet », « barnazna », « bawkal el-computer », « bawmaret el-siyyara » - l'improbable point mort de la boîte de vitesse. Il y en a toute une ribambelle comme celles-ci. Tout un tas. Et un seul article ne pourrait pas les réunir. Il faudrait un livre, rien que pour parler d'amour. « 7ayété », « ro7é », « albé », « to2borné »... « Enterre-moi ». Peut-on faire plus intense ? Plus signifiant ? Plus juste, que cette volonté de partir avant ceux que l'on aime ? Enfin... Excusez-moi d'avance pour cette dernière phrase très peu politiquement correcte, mais si soutenue : « Wala bi... wala bi... wala bi zi7 3an darb el... ». Amis de la poésie, au revoir.
Mon grand-père m'a dit un jour, et je ne l'oublierai pas, que si le français était la langue de la littérature, l'allemand celle de la philosophie, l'italien celle de l'amour, et bien l'arabe était la langue des sensations. Comme il avait vu juste. Comme cette langue exprime à merveille toutes les sensations de la vie. Comme elle témoigne avec...
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