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L’exposition « anonyme » des résultats du concours pour la Maison des arts et de la culture ne permet pas le débat

Par Hala YOUNES
Le concours, lancé par le ministère de la Culture en juillet 2008 pour la construction d'un centre culturel à Beyrouth, a été un grand succès de participation. Sur plus de 700 équipes internationales inscrites, 388 ont remis leurs contributions, exposées au Forum de Beyrouth. Ils ont répondu par le dessin et l'argumentation au sujet complexe et ambitieux d'un bâtiment de 20 000 mètres carrés C'est la première fois depuis la reconstruction que l'État lance un concours ouvert d'architecture pour la construction d'un équipement public. L'événement mérite d'être salué.
Cette affluence a été suscitée par le caractère exceptionnel de la manifestation et par l'intérêt du programme dans ses enjeux sociaux et politiques. Le site choisi était particulièrement stimulant, parce que stratégique : en bordure du ring, à la lisière entre le centre-ville et la ville proprement dite, dans un terrain présentant de très fortes contraintes urbaines et topographiques.
Cet effort considérable pour penser la Maison des arts et de la culture à Beyrouth représente de la part de l'ensemble des équipes concurrentes une somme de plusieurs centaines de milliers d'heures de travail hautement qualifiées et non rémunérées. C'est le risque que prennent régulièrement les architectes entraînés par la passion de leur beau métier, mais c'est avant tout un engagement intellectuel dans le débat sur la ville, la culture et l'architecture.
Pour les équipes internationales, cet engagement manifeste l'intérêt que suscite toujours Beyrouth dans le monde de l'architecture. Leur contribution est une formidable opportunité pour mesurer sous leur regard les enjeux urbains dans notre ville. Pour les équipes libanaises, cette participation représentait une obligation, un « tribut » pour reprendre les mots d'un concurrent, contribution indispensable dans un débat si rare sur le sens, la place et la représentation d'un espace culturel commun des Libanais.
Malheureusement, cette compétition majeure et les contributions innombrables ont suscité très peu d'intérêt dans le public. La presse a faiblement relayé, commenté et critiqué l'événement. Le choix du jury n'a pas été expliqué, ni argumenté. C'est un bien mauvais augure pour la future Maison des arts et de la culture. Comment va-t-elle présenter et honorer le travail des artistes quand on mesure la faiblesse de la communication concernant la pensée des architectes ? La communication est le pivot de la politique culturelle. Il est de la responsabilité du ministère de la Culture de donner à cet événement la dimension et l'écho qu'il mérite.
Dans ce genre de compétition, organisée sous les auspices de l'UIA (Union internationale des architectes), les contributions sont présentées au jury de manière anonyme afin que les délibérations puissent se dérouler en toute sérénité. Une fois les lauréats désignés, l'anonymat doit être levé sur l'ensemble des projets, qui sont alors exposés au public. Cette exposition est un engagement des organisateurs, elle n'a pas pour but de remettre en cause le choix d'un jury souverain, mais de rendre son jugement lisible. Elle doit permettre de trier les réponses en fonction de leurs provenances géographiques, des types de concurrents, professionnels ou étudiants, et des enjeux urbains et architecturaux qui ont été traités en priorité. Elle doit rendre publiques les contributions de chaque équipe, sa composition et les textes expliquant chaque démarche afin de lancer le débat précieux que suscite ce genre d'événement.
Une semaine après la proclamation des résultats, aucun débat, table ronde ou communication du jury n'est programmé. Si l'on fait exception des projets des lauréats, les 388 projets sont, aujourd'hui encore, exposés en vrac sous une identité cryptée. Leurs panneaux sont présentés en désordre, les textes ne sont pas accessibles, ni la composition des équipes. Une liste distribuée au compte-gouttes permet aux visiteurs chanceux d'identifier de manière lacunaire le mandataire administratif uniquement. Comment lancer le débat si les projets présentés demeurent anonymes, si le public et la presse ne connaissent pas l'identité, la nationalité et la composition des équipes, si les professionnels ne connaissent pas le point de vue de leurs collègues, ni celui du jury ? Quand on sait qu'il ne reste que quelques jours à l'exposition, que rien n'est fait pour la rendre lisible, ni pour lancer le débat, on est saisi d'un immense sentiment de gâchis.
Les organisateurs ont manifestement été débordés par l'ampleur de la participation mais sont-ils prêts à corriger le tir et assumer leurs responsabilités ? C'est pourtant là une très grande opportunité. Pour qu'un tel événement puisse se reproduire au Liban et obtenir la participation et l'intérêt national et international qu'il mérite, les efforts des organisateurs doivent être proportionnels à l'engagement des participants. Ce qui a motivé les milliers d'architectes qui se sont investis dans ce projet, ce n'est pas l'appât du gain ou le seul fragile espoir d'être distingué, c'est un engagement intellectuel dans la fabrication de la ville.
La Maison des arts et de la culture est bien plus qu'un projet d'architecture, c'est une réflexion menée par des équipes pluridisciplinaires d'artistes et d'intellectuels engagés dans la définition d'un espace public, et forcément politique, susceptible de représenter et d'accueillir la production artistique dans notre pays. Le ministère bénéficie de 388 contributions sur ce sujet, c'est une mine de réflexions inestimables, il n'est pas permis de perdre cette opportunité.

Hala YOUNES
Architecte
Le concours, lancé par le ministère de la Culture en juillet 2008 pour la construction d'un centre culturel à Beyrouth, a été un grand succès de participation. Sur plus de 700 équipes internationales inscrites, 388 ont remis leurs contributions, exposées au Forum de Beyrouth. Ils ont répondu par le dessin et l'argumentation...

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