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Nos Lecteurs ont la Parole - Échos de l’Agora

L’arrière-cuisine d’Apicius

Par Pr Antoine COURBAN
L'opulence et les extravagances des orgies romaines nous ont laissé le souvenir du plus grand gastronome de l'Antiquité, Apicius. Contemporain de Jésus-Christ, né sous le règne de l'empereur Tibère, Apicius était le responsable des cuisines de Tibère Auguste. Nous lui devons des recettes dont la mémoire a traversé les siècles comme l'illustre « foie aux figues » ou ces curieux « tétons de truie », sans compter la « vulve farcie » de la même truie. Toutes ces fantaisies faisaient les délices de la société dégénérée de l'Empire. Les convives de la Villa de Tibère, sur l'île de Capri, pouvaient jouir de l'exceptionnelle vue sur les rochers de Faraglioni tout en savourant de sublimes délicatesses inventées par Apicius comme les fameux « talons de chameaux » et le mémorable « pâté de langues d'oiseaux ». Les récents propos du général Michel Aoun sur les langues coupées et les mains brisées me font évoquer ces succulents souvenirs historiques.
Je m'exerce donc à mon futur statut de manchot et de citoyen « glossoctomisé » (à la langue coupée) en essayant péniblement de saisir le texte du présent papier avec mes orteils en lieu et place de mes doigts appelés, hélas, à disparaître. Quant à ma langue, elle ira bientôt rejoindre celle de centaines de milliers de citoyens libanais qui s'honorent d'être des hommes libres. Les Apicius de Rabieh pourront ainsi préparer un gigantesque « pâté de langues à l'orange » qu'ils parfumeront avec le meilleur anis de Damas. Comme cerise sur le gâteau et, eu égard à la pourpre cardinalice, ils n'oublieront pas de couronner leur chef-d'œuvre culinaire avec la langue de Son Éminence le cardinal Sfeir, spécialement apprêtée selon la recette de haute gastronomie connue sous le nom de « langue écarlate ».
N'en déplaise aux promeneurs des orangeraies parfumées de Rabieh, tout citoyen libre se reconnaît dans les propos de Mar Nasrallah Boutros Sfeir, à savoir qu'un Liban authentiquement souverain, libre et indépendant est l'antithèse des choix idéologiques, stratégiques ou tactiques des dirigeants 8-Marsistes. Il appartient à l'électeur de trancher, non les langues récalcitrantes des hommes libres, mais de refuser ou d'accepter le choix de vassalisation du Liban à l'axe irano-syrien et sa mise au ban de la communauté internationale que l'axe en question traite par-dessus la jambe.
Mais les propos de Michel Aoun sont loin d'être aussi anodins et folkloriques que certains veulent le croire. Cet intérêt pour notre corps et nos organes ne découle pas de simples figures de rhétorique qui enjolivent un discours devenu lassant à force d'être répétitif. Cet intérêt pour le corps traduit, chez son auteur, une indiscutable transparence de l'inconscient comme le démontre Michel Foucault dans son célèbre Surveiller et punir. Cette transparence elle-même doit être appréciée, par le même électeur, à sa juste valeur, c'est-à-dire comme annonciatrice d'un risque de passage à l'acte au cas où le général exercerait le pouvoir.
Michel Foucault a bien montré que les supplices corporels de jadis étaient le signe du corps à cors entre le souverain et ses sujets. Il est surprenant de noter que les supplices ont disparu, en France, après la fin de la monarchie et ne furent rétablis qu'à la restauration de cette dernière. Tout acte relevant du droit pénal est une atteinte directe au corps même du souverain. Toute déviance par rapport à la norme de l'ordre établi par le souverain est l'équivalent d'un sacrilège, c'est-à-dire un viol d'un espace frappé d'interdit, celui du corps du monarque souverain. Dès lors, ce dernier étale en public sa puissance en s'en prenant au corps de celui qui a osé porter atteinte à son intégrité. Le supplice des corps ne se conçoit que dans le contexte d'un pouvoir absolu et totalitaire. Le monarque au pouvoir absolu est un être à part qui incarne, dans sa personne physique, la continuité du ciel et de la terre. C'est pourquoi, son pouvoir est nécessairement autocratique, tyrannique et surtout totalitaire. Il englobe, en quelque sorte, l'ensemble de l'espace et de tout ce qu'il contient.
La transparence de l'inconscient qui se profile derrière les menaces du général Michel Aoun est le signe indiscutable d'une telle conception du pouvoir. La pensée politique du général de Rabieh est, par essence, liberticide, parce que totalitaire. Dans un tel système, toute déviation, toute contradiction mettent en danger l'intégrité de la personne même du despote qui risque, dès lors, de réagir en tyran sanguinaire. Dans les supplices de jadis, ce sont les bourreaux qui agissaient pour le compte du monarque. Nous sommes en droit de nous demander si le général Michel Aoun, en s'en prenant directement à nos corps, agit en monarque absolu, c'est-à-dire pour son propre compte ; ou bien en bourreau, c'est-à-dire pour le compte d'un maître.
Dans tous les cas, tout semble se passer, aux yeux de l'idéologie 8-Marsiste comme dans l'appel du fondateur de la secte violente des Sikhs, le Gourou Nanak qui ne cessait de répéter à ses fidèles : « Si vous voulez participer au Jeu de l'amour, alors venez à moi en tenant votre tête entre vos mains. »
L'opulence et les extravagances des orgies romaines nous ont laissé le souvenir du plus grand gastronome de l'Antiquité, Apicius. Contemporain de Jésus-Christ, né sous le règne de l'empereur Tibère, Apicius était le responsable des cuisines de Tibère Auguste. Nous lui devons des recettes dont la mémoire a traversé...

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