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Liban - Société

Voyance : lorsque l’insécurité mène à la dépendance

À une époque où la recherche de l'immédiateté demeure le maître-mot, la voyance semble être le moyen « sûr » pour apaiser l'angoisse face à l'incertitude du lendemain. Un exercice, rejeté tant par le christianisme que par l'islam, qui peut mener, dans certains cas, à la dépendance.
« M'aime-t-il ? », « Me trompe-t-il ? », « Vais-je rester célibataire toute ma vie ? », « Mon projet sera-t-il couronné de succès ? », « Serais-je un éternel chômeur ? », « Mon projet de voyage tombera-t-il à l'eau ? »... Autant de questions qui hantent les esprits au quotidien.
Dans l'incertitude du lendemain, dépassés par les soucis et les problèmes qui s'accumulent, tous les moyens semblent permis pour un tant soit peu de tranquillité d'esprit. Il y a les pragmatiques qui prennent les choses en main, refusant de céder au désespoir ou d'être en proie à l'anxiété. D'autres placent leur foi en Dieu, convaincus qu'« Il connaît mieux que tous ce qui est pour notre bien ». Il y a aussi ceux qui, minés par la panique et l'inquiétude, tentent d'avoir une réponse immédiate susceptible de les apaiser. Et pour ce faire, ils consultent les devins, les cartomanciens, les astrologues..., bref toute personne « capable de lire l'avenir » et de réconforter leur esprit tourmenté.
Visiter les voyant(e)s occasionnellement ne pose pas de problème, du moins d'un point de vue psychologique, les religions étant contre toute pratique cherchant à entrer en contact avec l'invisible. Ces « consultations » deviennent dangereuses lorsqu'elles créent une dépendance chez les personnes qui en bénéficient. Les individus dont la vie est suspendue aux lèvres de ces devins et qui ne sauraient agir sans solliciter leur aide ne sont que très nombreux.

Concept socioculturel
« La voyance est un métier en expansion et les voyantes continuent à être consultées, explique Dana Mitri Obegi, psychothérapeute. C'est un métier très ancien qui a toujours existé. Déjà dans la mythologie grecque, l'Oracle a prédit à Laïos et Jocaste qu'ils auront un fils (Œdipe) qui tuera son père et épousera sa mère. C'est donc dans notre culture et notre conscient collectif que les voyantes existent. » La voyance est ainsi un concept socioculturel tant en Orient qu'en Occident, qui ne concerne pas uniquement la classe pauvre ou non éduquée, mais également les personnes ayant suivi des études supérieures ou qui occupent de hauts postes. L'ancien chef de l'État français, François Mitterrand, à titre d'exemple, consultait « son astrologue » avant d'entamer toute activité.
« Tout comportement, lorsqu'il n'est pas excessif, n'est pas pathologique, poursuit Dana Obegi. Il le devient à partir du moment où il crée une dépendance, que ce soit à la voyance, à l'alcool, à la cigarette, au shopping ou à toute autre activité. Il est toutefois important de signaler que la dépendance n'a pas lieu d'exister s'il n'y a pas un vide à combler. » Celui-ci peut concerner une étape à franchir, comme le choix des études universitaires à suivre, l'avenir d'une relation amoureuse, la peur de ne pas décrocher le job dont on rêve, etc.
« Consulter une voyante, c'est aussi régresser à l'âge de l'enfance lorsqu'on demandait aux parents qu'est-ce qu'on allait devenir ou sur la manière dont il faudrait agir, constate la psychothérapeute. La voyante vient ainsi rassurer l'individu dans cette angoisse et cette souffrance. Elle met en scène ses désirs, ses envies et les concrétise. Sachant que dans le domaine de la voyance, les tabous n'existent pas. »
Il est important donc, à ce stade, d'analyser la personnalité de la voyante, estime Dana Obegi. « En général, c'est une personne très sensible, censée, sage, intuitive, qui sent généralement ce qui se passe dans la vie de son interlocuteur et ce qu'il a envie d'entendre. Mais est-elle vraiment illuminée ? »

La culture de l'immédiateté
Être tranquille, sécurisé et assuré sur son avenir demeurent les mots d'ordre qui poussent d'aucuns à faire appel aux services des voyantes. « Mais il y a aussi le message de mystère, d'énigme et de rêve qu'ils recherchent chez cette personne, comme lorsqu'elle annonce à l'une de ses clientes, à titre d'exemple, qu'elle va rencontrer un homme brun, mais qu'elle n'est pas sûre ce qu'il va lui amener, indique Dana Obegi. Ces "prédictions" rassurent donc l'interlocutrice tout en gardant le mystère. C'est cette ambivalence et ce paradoxe de la situation que les gens adorent. »
À cette recherche de la tranquillité s'ajoute, selon Dana Obegi, l'envie d'avoir des réponses immédiates. « À une époque où il est presque possible de choisir le sexe de son enfant, les gens supportent de moins en moins l'effet de surprise, constate-t-elle. La culture de l'instant et de l'immédiateté bat son plein. De nos jours, l'après n'existe pas. Il y a l'ici et le maintenant. Et nous le remarquons, nous psychothérapeutes, dans notre travail avec les enfants qui ont du mal à se projeter dans l'avenir. »
La suggestion est un autre motif qui pousse à consulter les devins. « La voyante suggère en fait à sa cliente la décision à prendre, note Dana Obegi, ce qui s'oppose au travail analytique et psychothérapeutique. En effet, le propre d'une psychothérapie c'est d'aider l'individu à devenir libre et maître dans le sens de se laisser vivre, emporter par la vie, savoir comment sortir des situations difficiles et accepter de faire des choix qui lui ressemblent. La voyance, lorsqu'elle devient suggestive, écarte les individus de leur "moi". Ils cherchent ainsi la réponse chez un autre, au moment où ils n'ont qu'à regarder en eux. L'emprise des voyantes sur l'individu est mauvaise et aliénante. Ce dernier est ligoté et n'est plus maître de lui-même. »
Et Dana Obegi d'insister : « Les voyantes sont des femmes révoltées contre l'idée du destin. Elles pensent pouvoir en libérer leurs clients. Les voyantes sont aussi convaincues qu'elles font du bien aux autres en leur permettant d'éviter les mauvaises situations. À la base, ce sont des personnes avec de très bonnes intentions. Elles ignorent toutefois qu'en prédisant les événements, elles font du tort aux autres, d'autant qu'elles leur ôtent la liberté de choisir et de vivre leur vie. Il ne faut pas minimiser le poids qu'ont les paroles sur les autres. Nous, en tant que psychothérapeutes, travaillons à libérer nos patients d'une parole destructrice qui leur a été dite. »
« M'aime-t-il ? », « Me trompe-t-il ? », « Vais-je rester célibataire toute ma vie ? », « Mon projet sera-t-il couronné de succès ? », « Serais-je un éternel chômeur ? », « Mon projet de voyage tombera-t-il à...
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