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Scène Mourir pour mieux renaître Colette KHALAF

Au théâtre Gulbenkian (LAU), la création collective « Utopia »*, signée Nagy Souraty, illustre l’état de démantèlement d’un monde malade en quête d’humanité. Une œuvre troublante qui témoigne d’une grande maîtrise de l’art scénique. Utopia est l’un des ouvrages de Thomas More écrit en 1516, dans lequel l’écrivain imagine une île où la vie des habitants serait tellement réglée par l’État qu’il lui serait possible d’échapper aux injustices et violences inévitables, même dans la société la mieux développée. Au XIXe siècle, le mot «utopie» a servi à la construction de systèmes socialistes, avec d’autres idéologies proposées initialement par Thomas More. Cette société inspirera celles créées plus tard respectivement par Aldous Huxley et George Orwell dans Le meilleur des mondes et 1984.  Mais pour la création de Nagy Souraty, il ne s’agissait pas de se fonder sur un texte théâtral spécifique, ni d’avoir une certaine trame dramatique au sens traditionnel. Le point de départ était un atelier d’écriture où une vingtaine d’étudiants allaient mettre en commun des idées sur l’humanité et son avenir face au monde moderne. Le tout construit, par la suite, sur un fond musical où plusieurs disciplines, notamment la danse et le chant, fusionneraient pour illustrer ce monde dans l’impasse. Le prix à payer pour vivre dans la paix et l’égalité dans Utopia ne serait-il pas un total anéantissement de l’être ? Du réel au virtuel Ce sont des barres métalliques, comme le squelette de chantier ou peut-être d’une ville. Les jeunes gens et jeunes filles qui s’y balancent se lancent de grands draps blancs, les nouent et les dénouent, se recouvrent et se découvrent dans une mécanique bien huilée. Utopia ce sont des chants, des berceuses, des comptines en échos à d’autres musiques immémoriales. Venant d’une autre vie ou de cette vie même enfouie sous les décombres. Rêve ou vécu? La pièce n’est pas conçue pour nous donner des réponses. Se balançant entre ciel et terre et vêtus de simples bandelettes, les personnages cherchent, par leurs mouvements, à changer de peau, à se débarrasser de leur carcasse humaine. Une sorte de mue. C’est un firmament étoilé d’arabesques, de volutes, ou d’écritures qui, soudain, les enveloppe. Leurs questionnements ne sont plus que cris de douleur, sanglots longs ou borborygmes incompréhensibles. Le langage universel n’est plus qu’«incommunicabilité», semble suggérer Utopia. Assiste-t-on à la fin de l’humanité ou à sa renaissance? Les êtres humains sont-ils dans un état de limbes? En attente? Et de quoi? Sous l’éclairage admirable signé Mona Knio, le public semble assister à un chant du cygne qu’évoquent les petits volatiles en papier lancés sur la scène. En perpétuel questionnement, Nagy Souraty ne fait pas dans la demi-mesure. Son travail, élaboré et mûri, donne à voir une œuvre complète et touchante. Il partage sa vision de la ville utopique avec un public qui se laisse emporter et fasciner. De la petite ville de Beyrouth à l’humanité toute entière, les interrogations – d’abord étroites: «quelle est la texture de la peau de Beyrouth»? – atteignent une dimension universelle. Un travail sur la mémoire et sur la survie – «Je ne veux pas vivre, mais je ne veux pas mourir» – qui revisite les grands thèmes et symboles de l’humanité. Cette dernière, dans ces froissements de draps qui évoquent le linceul, semble creuser sa propre tombe. Malgré une noirceur soutenue, la création théâtrale de Nagy Souraty est un bain de jouvence. Avec sa dynamique et le talent de la troupe, elle réveille les léthargiques et rappelle à ceux qui semblent l’oublier que l’homme est toujours capable de renaissance après la mort. * LAU Beyrouth, théâtre Gulbenkian. Ce soir et les 23, 24 et 25 janvier à 20h30. Tél. : 01/786464. Fiche technique Mise en scène : Nagy Souraty. Directrice de production : Hala Masri. Directrice technique, conception lumières : Mona Knio. Conception décors : Bernard Mallat et Michael Stabnton. Costumes: Sue. Z. Chamma. Conception affiches, programmes et billets : May Ghaibeh.
Au théâtre Gulbenkian (LAU), la création collective « Utopia »*, signée Nagy Souraty, illustre l’état de démantèlement d’un monde malade en quête d’humanité. Une œuvre troublante qui témoigne d’une grande maîtrise de l’art scénique.
Utopia est l’un des ouvrages de Thomas More écrit en 1516, dans lequel l’écrivain imagine une île où la vie des habitants serait...