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Perspective La culture du non-État Par Michel Touma

« Ce qui est à toi est à toi et à moi, et ce qui est à moi est à moi. » Ce petit dicton populaire semble dicter l’attitude globale du 8 Mars, notamment du Hezbollah – entraînant avec lui le CPL –, à l’égard de la majorité et de la coalition du 14 Mars. Comment expliquer autrement l’ire des forces dites de « l’opposition » face au résultat de l’élection par le Parlement de cinq des dix membres du Conseil constitutionnel ? En clair, le 8 Mars reproche aux députés de la majorité d’avoir voté pour… les candidats qu’ils appuient ! C’est ainsi l’une des fonctions essentielles du Parlement – celle de voter, précisément – qui est remise en question. Le président Michel Sleiman n’a d’ailleurs pas manqué de relever, lors du dernier Conseil des ministres, l’absurdité de la situation en soulignant, ce qui est après tout une lapalissade, que l’élection par le Parlement des cinq membres du Conseil constitutionnel est « l’une des manifestations de la démocratie ». Mais bien au-delà des joutes verbales politiciennes et de l’aspect anecdotique de la position du 8 Mars, l’essence du problème réside dans la vision que le Hezbollah s’est forgée du projet de l’édification de l’État. Une vision fondée sur le non-État. Car, nous ne le répéterons jamais assez, le projet politique du Hezbollah est par essence supranational. Il s’inscrit dans un carcan idéologique à dimension régionale dépassant largement les frontières de l’entité libanaise. Il ne saurait, par conséquent, s’accommoder du cadre, trop étroit pour lui, trop réducteur, d’un État libanais. Le projet du Hezbollah ne peut se développer, ne peut perdurer, ne peut tendre vers les objectifs convoités que si l’État central reste faible, miné de l’intérieur, gangrené. Pour que le mini-État de facto du parti chiite puisse accroître son espace vital, il doit rogner sur celui du pouvoir étatique. Pour que ses circuits économiques autonomes puissent prospérer, pour que ses propres services puissent fonctionner, le parti doit préserver « ses » régions échappant au contrôle du gouvernement. Et il doit donc sans cesse porter des coups de Jarnac réguliers aux structures officielles en discréditant, en neutralisant les institutions constitutionnelles. Cela explique que le Hezbollah et ses alliés aient recours, à la moindre occasion, au chantage du tiers de blocage et de la paralysie de l’appareil étatique, à tous les échelons du pouvoir. C’est d’ailleurs ce qui fait leur force : peu leur importe que l’action du gouvernement ou du Parlement soit perturbée ou torpillée. Ils n’ont rien à perdre et tout à gagner sur ce plan puisque la faiblesse de l’État constitue leur oxygène qui leur permet d’étendre leur influence. Cette culture du non-État constitue en quelque sorte un passage obligé pour le projet supranational du Hezbollah, lequel représente lui-même la raison d’être essentielle du parti chiite. Le dernier discours prononcé dans ce cadre vendredi dernier par le secrétaire général adjoint de la formation pro-iranienne, cheikh Naïm Kassem, à l’occasion de la manifestation de solidarité avec la population de Gaza, est à cet égard particulièrement significatif. Se lançant dans une violente diatribe contre l’Amérique, qualifiée de « grand Satan », contre le Conseil de sécurité, accusé d’être « à la solde de l’Amérique », et contre les pays arabes, pour leur passivité à l’égard du drame vécu par les habitants de Gaza, le numéro deux  du Hezbollah a déclaré sans détour : « Nous sommes pour la résistance susceptible de libérer toute la terre palestinienne et de restituer la Palestine à ses habitants. Que ceux qui sont venus d’en dehors la Palestine cherchent un moyen de retourner là d’où ils sont venus. » De tels propos peuvent être inscrits, certes, au compte de la nécessaire harangue adressée à une foule massée pour se solidariser avec Gaza. Ce serait cependant une erreur de perception que de se contenter de cette seule lecture de l’allocution. La teneur de ce discours illustre en effet parfaitement le caractère supranational du projet du Hezbollah, lequel est (faut-il le rappeler ?) l’un des fondements de la doctrine et de l’idéologie du parti chiite. Il suffit de lire le livre fondamental écrit par le même Naïm Kassem sur le Hezbollah pour prendre conscience de l’importance de la dimension régionale et fondamentalement chiite « iranienne », et spécifiquement khomeyniste, qui sous-tend la vision qu’a le parti de la chose publique et de la société qu’il cherche à façonner à son image. Blocage systématique des institutions au gré de ses intérêts, refus de se conformer au jeu politique traditionnel et aux pratiques démocratiques les plus élémentaires lorsqu’ils tournent en sa défaveur, efforts soutenus pour empêcher par divers moyens l’émergence d’un État central fort, consolidation régulière de son mini-État et de ses circuits économiques et services autonomes : l’épisode de l’élection par le Parlement des membres du Conseil constitutionnel ainsi que la teneur du dernier discours de Naïm Kassem ont parfaitement illustré en l’espace de quelques jours la dimension antiétatique et supranationale du projet politique du Hezbollah. Un double paramètre, bétonné par un ancrage idéologique à la République islamique iranienne, qui n’est pas pour faciliter une issue heureuse à la conférence de dialogue initiée par le maître de Baabda.
« Ce qui est à toi est à toi et à moi, et ce qui est à moi est à moi. » Ce petit dicton populaire semble dicter l’attitude globale du 8 Mars, notamment du Hezbollah – entraînant avec lui le CPL –, à l’égard de la majorité et de la coalition du 14 Mars. Comment expliquer autrement l’ire des forces dites de « l’opposition » face au résultat de l’élection par le...