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Actualités - REPORTAGE

Correspondance Proust en Amérique, un neuroscientifique sans le savoir

WASHINGTON, d’Irène MOSALLI Écrivain, neurologue et cuisinier, l’Américain John Lehner déclare nul et non avenu le divorce entre la science et les arts. Dans son ouvrage, inspiré par la lecture de Du côté de Swan, John Lehner présente un Proust à l’esprit scientifique et d’autres gens de lettres ainsi que des artistes de la même veine. Tout en maniant la plume, les notes de musique et les pinceaux, ils faisaient de la science sans le savoir...?C’est l’étude qu’un jeune auteur américain, John Lehner, vient de publier dans un ouvrage intitulé Proust était un neuroscientifique. Déclinant trois différentes disciplines (l’écriture, la neurologie et la cuisine), il déclare nul et non avenu le divorce entre la science et les arts. Un jour qu’il étudiait la nature de la mémoire, il choisit de lire, pour se détendre, Du côté de Swan, espérant par la même occasion en apprendre plus sur la construction des phrases. Or il découvre que le goût et l’odorat déclenchent d’intenses souvenirs et que la mémoire dépend du moment et de l’humeur de la souvenance individuelle. Proust l’avait ainsi expérimenté en 1913, bien avant ceux devenus experts dans ce domaine. Science et art : coexistence pacifique Sans perdre de temps, Lehrer se met à examiner les œuvres de ses artistes préférés pour savoir ce qu’ils pourraient lui apprendre sur le fonctionnement de l’esprit. Il constate que la créativité inspirée des écrivains et des musiciens avait ouvert la voie à de nouvelles théories sur lesquelles les hommes de science planchaient avec de sèches données de base. Il donne l’exemple de l’écriture expérimentale de la femme de lettres américaine Gertrude Stein, qui a présagé le travail grammatical du linguiste Noam Chomsky. Dans Le Sacre du printemps, Stravinsky a anticipé les trouvailles des neurologues lors de la prise de consciences des motifs sous-jacents: ce que l’esprit peut parfois trouver laid de prime abord peut être perçu comme très beau plus tard. Cézanne, qui a voulu aller au-delà de l’«impression», a été l’explorateur de la capacité de transposition de l’œil. Puis le poète Walt Whitman s’est fait le chantre de «l’indissociabilité» de la chaire et de l’esprit. Il trouve aussi dans les mammites d’Escoffier, «le chef des rois», des sauces liées au plaisir du palais et de l’esprit, mitonnant l’art culinaire de la France d’aujourd’hui. Proust avait écrit qu’après la mort et l’éparpillement des choses, seuls demeurent le goût et l’odorat, vaste structure de la mémoire. Quatre-vingt-dix ans plus tard, une psychologue de l’Université de Brown, Rachel Herz, démontrait que le goût et l’odorat sont les puissants évocateurs de la mémoire. Selon elle, ce pouvoir se trouve dans les nerfs olfactifs et gustatifs reliés à l’hippocampe que Lehrer appelle «le centre de la mémoire à long terme». Récemment, des chercheurs de l’Université de New York ont prouvé que Proust avait correctement appréhendé la mutabilité de la mémoire. Dans les années 50, le baron Charles Percy Snow, à la fois savant et romancier britannique, était devenu célèbre, notamment pour avoir déploré le fossé entre les sciences et les humanités. Aujourd’hui, les adhérents d’un mouvement baptisé Bio Poétique sont intéressés de savoir comment la littérature est nécessaire à leur savoir. Lehrer, lui, a la certitude qu’il peut exister une troisième culture, celle de la coexistence pacifique entre la science et la littérature.
WASHINGTON,
d’Irène MOSALLI


Écrivain, neurologue et cuisinier, l’Américain John Lehner déclare nul et non avenu le divorce entre la science et les arts.

Dans son ouvrage, inspiré par la lecture de Du côté de Swan, John Lehner présente un Proust à l’esprit scientifique et d’autres gens de lettres ainsi que des artistes de la même veine.
Tout en maniant la...