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Actualités - OPINION

La psychologie de la peur

Les querelles estudiantines ne sont pas chose nouvelle. Dans toutes les universités du monde, le clivage atteint parfois son paroxysme et les empoignades sont normales d’autant plus qu’une semaine ou deux après, on en vient à rigoler. J’écris en connaissance de cause, ayant subi moi-même il y a quelques longues années l’ire d’éléments irascibles. Je voudrais, avant d’aller plus loin, saluer l’avocate Claude Assaf qui, dans son article « L’ordre et la politique » paru dans L’Orient-Le Jour du 25 novembre 2008, s’élevait contre la politisation du barreau de Beyrouth. Fils de bâtonnier moi-même, j’ai vécu de près quelques élections. À l’époque, les membres du conseil de l’ordre ainsi que les bâtonniers étaient élus pour leurs valeurs intrinsèques et non pour leur allégeance politique. Les temps changent, il est vrai, mais quand même, il n’est pas permis que la politique prenne le pas sur la représentativité réelle d’une personne, de ce qu’elle a fait, ce qu’elle a apporté à sa corporation, à son entourage, ses états de service, son programme, sa place et son renom dans la société, son calibre et sa crédibilité. Bien sûr, dans un pays normalement constitué, les partis politiques sont une nécessité. Aux États-Unis, il y en a deux, en Angleterre aussi, en France trois. C’est généralement à travers l’affiliation à des partis que se font et se défont les ambitions politiques et les échelons gravis. Mais à la base, il y a un engagement fort envers son pays, l’appartenance à une patrie, et non à une communauté ou à une religion, et encore quand on n’a pas l’œil qui lorgne au-delà des frontières. Au Liban, il y 18 communautés et partant, 18 partis politiques ou 36, ou plus encore, car à l’intérieur de chaque communauté existent des clivages. C’est à en perdre son latin. Heureux celui ou celle qui pourrait démêler cet écheveau. Pour faire plus simple et ne pas s’empêtrer dans les détails, on a divisé les Libanais en deux catégories : le 8 et le 14 Mars, les méchants et les bons, ou les bons et les méchants, pour que nul ne se sente visé dans mon texte. D’un côté comme de l’autre, un rassemblement hétéroclite d’ambitions à peine ravalées qui s’envolera en éclats au premier coup dur. Je me demande ce qui peut bien unir aujourd’hui ceux qui, hier encore, se massacraient et s’insultaient, sinon la peur d’une catastrophe quelconque, dont eux-mêmes ne soupçonnent pas l’existence, mais à l’aide de laquelle ils se font mutuellement peur pour rester artificiellement unis et avec laquelle ils tentent de nous contaminer. Je n’ai pas oublié Babrak Karmal ou Somoza, et tous les noms d’oiseau qu’on utilisait en invectives, même s’il faut parfois faire table rase du passé et pardonner. Mais l’histoire, dit-on, est un éternel recommencement, et malheureusement, nous avons trop souvent la mémoire courte, surtout en politique où les alliances durent l’espace d’une élection, chacun voulant par la suite être le premier et imposer aux autre la vérité, sa vérité. Je n’ai pas oublié non plus Tony, Bachir, le président Moawad, Gebran, Pierre et les autres, tous les autres, qu’ils aient eu un nom ou un prénom, ou qu’ils été d’illustres inconnus fauchés par la mort parce qu’ils n’avaient pas eu peur, parce qu’ils croyaient aux lendemains meilleurs ou qu’on leur avait fait avaler le gros mensonge de la guerre civile. Je n’oublie jamais le président Rafic Hariri, qui nous a fait partager son rêve d’un Liban, capitale du monde arabe ou du monde tout court et qui a tenté de gommer ce sentiment abject qui veut qu’une partie de la population était plus favorisée que l’autre, payant de sa personne et de sa crédibilité pour faire respecter l’équilibre communautaire dans les institutions étatiques. Il n’a pas eu peur, lui, et nous non plus, ce 14 mars, quand tout le pays, lettrés, illettrés, hommes, femmes, vieux, jeunes, enfants, bien portants ou malades, a bravé les forces d’occupation, comme on les appelait alors, et est descendu dans la rue, ce qui a incité les pays amis à accentuer leur pression jusqu’au retrait du dernier soldat syrien de notre territoire national. Le 14 Mars, c’est le peuple qui l’a fait, qui l’a entrepris et qui l’a réussi. Bien entendu, il a fallu un catalyseur à cet énorme élan spontané : c’était l’espoir de voir notre pays revivre en nation libre, souveraine et indépendante. C’était une promesse d’avenir, non pas une fugace lueur d’espoir, mais un soleil brillant de tous ses feux. Dommage que cette promesse n’ait pas été tenue, que l’espoir soit devenu déception. Étions-nous assez mûrs pour nous gérer nous-mêmes ? La bataille des élections législatives de 2005, bien que gagnée en nombre de sièges, fut rapidement vidée de sa substance. On repartait à zéro. Les élections législatives de 2009 pointent déjà, et il semble que pour les gagner, on ait choisi comme grand titre, en toile de fond, « la peur » , la peur d’un retour syrien. C’est de bonne guerre peut-être, mais où est l’espoir ? Allons-nous proposer à ce qui nous reste comme jeunesse dans ce pays des cauchemars , la couleur sombre de la trouille, l’épouvantail en treillis rouge et vert, le retour en arrière alors qu’ils ont tout l’avenir à contempler et à bâtir ? Quel programme, sauf la peur, va-t-on nous proposer ? Rafic Hariri avait placé ses campagnes sous le signe de l’avenir, du renouveau, de lendemains heureux, du printemps qui est venu quand même un 14 mars et dont nous n’avons pas su faire fleurir les bourgeons. Celles et ceux qui ont réellement fait le 14 Mars ne sont certainement pas ceux qui l’ont confisqué à leur profit, qui en ont fait un commerce. Ceux qui ont fait cette date n’auront pas peur pour l’avenir ni d’un retour syrien au Liban, et ne se laisseront pas gouverner, même à partir de Damas. La psychologie de la peur est l’apanage des faibles et de ceux qui manquent d’assurance, même si, pour le cacher, ils ont le verbe fort et l’ergot haut. Personne n’est en droit d’utiliser cet argument ; l’avenir et l’espoir, c’est demain et non pas hier. Il faut donner de l’espoir aux gens, les faire rêver. Hier, un hôtel qui a coûté plus d’un milliard et demi de dollars a été inauguré en grande pompe à Dubaï sur une île prise sur la mer. Pensez-vous que ceux qui ont investi tant d’argent l’ont fait en pensant qu’un quelconque raz-de-marée pourrait un jour tout balayer d’une seule vague ? La psychologie de la peur n’est pas un thème gagnant et encore moins payant ; il ne faut pas que le sacrifice de ses amis, ses parents, ses camarades ait été vain ; certes, l’espoir qu’ils nous avaient donné a été tué, mais leur esprit demeure, et notre pays, avec toute sa beauté et ses malheurs, a traversé les âges. Il est grand temps que le Liban redevienne une nation à part entière, avec une armée forte, une police efficace, un système judiciaire équitable, des écoles, des universités, des espaces verts, des routes, de l’eau courante, de l’électricité, des hôpitaux, des médicaments à la portée de tous. Il est grand temps de rendre à l’être humain toute sa dignité et de cesser de l’épouvanter en criant au loup. Georges TYAN Conseiller municipal de Beyrouth
Les querelles estudiantines ne sont pas chose nouvelle. Dans toutes les universités du monde, le clivage atteint parfois son paroxysme et les empoignades sont normales d’autant plus qu’une semaine ou deux après, on en vient à rigoler.
J’écris en connaissance de cause, ayant subi moi-même il y a quelques longues années l’ire d’éléments irascibles.
Je voudrais, avant...