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Actualités - ANALYSE

Perspective Une question de confiance

Par Michel Touma En soulignant lors de sa récente visite de travail à Beyrouth que la France tirera les conséquences qui s’imposent si la Syrie ne respecte pas ses engagements à l’égard du Liban, le Premier ministre français François Fillon ne croyait pas si bien dire ; et ne croyait pas si bien faire, puisqu’il a effectivement mis le doigt sur la plaie. Car de sérieux doutes continuent de planer dans nombre de milieux sur les véritables intentions du régime syrien concernant la situation sur la scène libanaise. De fait, et au risque de déplaire au général Michel Aoun, qui souligne qu’il est nécessaire de normaliser les rapports avec Damas suite au retrait syrien du Liban, force est de relever que la crise de confiance demeure entière entre le pays du Cèdre et la Syrie. Contrairement à ce qu’a laissé entendre le chef du CPL, cette crise qui mine les relations entre les deux pays n’est nullement conjoncturelle, elle ne se limitait en aucune façon au seul problème d’une présence militaire « anschlussienne » ; elle est indépendante des personnes. Elle dépasse les cas particuliers de Saad Hariri, Walid Joumblatt, Amine Gemayel, Samir Geagea ou Michel Aoun. De même qu’au début de la guerre, elle n’était pas liée au positionnement de Camille Chamoun, Pierre Gemayel, Bachir Gemayel, Kamal Joumblatt, Raymond Eddé et bien d’autres. Si bien que ce serait une insulte faite à l’intelligence des Libanais que de leur faire croire qu’une visite en grande pompe sur les bords du Barada pourrait tourner la page de la tension entre les deux pays. Certes, l’occupation et la tutelle étalées sur trois décennies ainsi que des facteurs inhérents à la nature même du régime syrien en place depuis le début des années 70 ont aggravé le problème, déjà endémique au départ. Le conflit entre le Liban et la Syrie a de profondes racines historiques. Il suffit pour s’en convaincre de consulter des archives ou de parcourir certains éditoriaux du siècle dernier. Dans les années 40, la Syrie a ainsi tenté de bloquer l’adhésion du Liban à la Ligue arabe. En 1948, elle a manifesté sa mauvaise humeur après la signature d’un accord financier entre le Liban et la France en imposant de sérieuses restrictions à la libre circulation aux frontières, interdisant notamment l’entrée en territoire libanais de produits alimentaires. À l’époque, le cabinet Fouad Siniora n’existait pas… Au début des années 50, la Syrie a, de nouveau, verrouillé les frontières pour faire pression sur le Liban et l’amener, en vain, à s’aligner sur le système d’économie dirigée prônée alors par les dirigeants syriens. En 1973, elle a – encore une fois – fermé ses frontières avec le Liban pour contraindre le président Sleimane Frangié (en dépit de ses liens privilégiés avec le président Hafez el-Assad) de stopper ses tentatives de juguler les flagrantes atteintes à la souveraineté nationale de la part des organisations palestiniennes armées. À l’époque, le 14 Mars n’existait pas… Le climat créé par ces pressions continues et cette longue série de manifestations très peu « fraternelles », pour le moins qu’on puisse dire – qui ne sont pas sans rappeler le contexte présent –, a été reflété sans détours par la presse de l’époque. Le 22 février 1948, Michel Chiha écrivait, dans un éditorial publié dans le quotidien Le Jour : « Nous attendons de nos amis de Damas de réfléchir et de comprendre que leur façon d’agir, si capricieuse et si arbitraire, est décourageante. » Le 13 mars 1950, Georges Naccache dénonçait dans les colonnes de L’Orient la « violence inouïe de l’attitude syrienne », alors que quelques mois plus tard, René Aggiouri stigmatisait, toujours dans les colonnes de L’Orient, « le complexe antilibanais » qui sévissait « dans les milieux économiques et politiques syriens ». Le 30 octobre 1953, Georges Naccache s’élevait dans un éditorial contre le fait que les autorités syriennes aient diffusé un fascicule sur la Foire de Damas reproduisant une carte de la région sur laquelle le Liban était superbement absent… Et le 23 novembre 1954, à la suite de nouvelles pressions syriennes, Michel Chiha, signait dans Le Jour ces lignes, qui demeurent plus que jamais d’actualité : « Si onze ans de souveraineté ont enseigné quelque chose, c’est que le Liban vit de la liberté et qu’il mourrait sans elle. La Syrie officielle, qui le sait, fait ce qu’elle peut pour nous enchaîner à elle. C’est une vue assez courte ; car le meilleur allié de la Syrie, en face de mille dangers, c’est un Liban indépendant et prospère. » Il reste que l’on ne peut bâtir l’avenir en restant figé dans le passé, comme l’ont d’ailleurs si bien démontré les circonstances de la révolution du Cèdre et le positionnement, depuis plus de trois ans, de certaines composantes du 14 Mars. Mais pour dépasser les égarements des jours anciens, des mesures concrètes, quotidiennes, soutenues, pour la construction de la confiance sont impératives. C’est surtout aux Syriens de prendre l’initiative à cet égard, car c’est à leur niveau que le bât blesse depuis des décennies. Et ce ne sont sûrement pas des gesticulations médiatiques ou des visites à nette connotation politicienne qui pourront ouvrir une page nouvelle dans les rapports avec Damas. En bon visionnaire, Michel Chiha relevait déjà à ce propos, en février 1948 : « L’esprit de fraternité doit gouverner la vie quotidienne, l’effort de chaque jour, les pensées, les intentions et les actes de ceux qui gouvernent. » C’est donc un profond et radical changement de mentalité, d’approche politique, de comportement, sur base de nouveaux critères d’action et de jugement, qui est requis sur les bords du Barada, un « change of behavior », comme le prônent les Américains. Certains intellectuels et journalistes syriens ont pris conscience des racines du problème et de l’importance de cet enjeu historique et existentiel. Ils ont tenté d’ouvrir une timide voie démocratique et de repenser les rapports avec le Liban sur des bases modernes et avant-gardistes. Ils se retrouvent aujourd’hui, pour la plupart, en prison…
Par Michel Touma

En soulignant lors de sa récente visite de travail à Beyrouth que la France tirera les conséquences qui s’imposent si la Syrie ne respecte pas ses engagements à l’égard du Liban, le Premier ministre français François Fillon ne croyait pas si bien dire ; et ne croyait pas si bien faire, puisqu’il a effectivement mis le doigt sur la plaie. Car de sérieux doutes...