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Actualités - interview

Interview Fadlallah à « L’Orient-Le Jour » : Le confessionnalisme politique tribal est responsable des maux du Liban

Mahmoud HARB L’uléma assure qu’en cas de problèmes avec Téhéran, les chiites arabes ne soutiendront pas l’Iran au détriment de leurs patries. Quoique ultrasécurisé, le quartier général de l’uléma Mohammad Hussein Fadlallah situé à Haret Hreik, en plein cœur de la banlieue sud, est d’une simplicité, d’une modestie étonnante. Le visiteur peine à croire que cette humble bâtisse, restaurée en grande partie après les dommages que lui ont infligés les bombardements israéliens de l’été 2006, abrite l’un des dignitaires religieux chiites les plus modernistes, les plus positivement audacieux de la région. Toujours est-il que l’on finit par se rendre compte que d’une certaine façon, le bâtiment ressemble au maître de céans : un mélange troublant de sobriété et de détermination. Le visiteur cherche d’emblée dans le visage, dans la voix de Mohammad Hussein Fadlallah les traits de cet imam impétueux dont les prêches avaient enflammé les esprits de la communauté chiite au cours des années 1980. En vain. Une inébranlable sérénité flotte sur son visage souriant, qui trahit toutefois une grande ténacité capable de dépasser de nombreux tabous. Les opinions de l’uléma et ses fatwas sont en effet souvent perçues comme progressistes. Par exemple, contrairement à la majorité écrasante de ses pairs, il a adopté une position d’ouverture à l’égard du clonage et des recherches sur les cellules souches ; préféré consulter le calendrier lunaire sur Internet au lieu de scruter le ciel à la recherche du croissant annonciateur du jeûne de ramadan ou de l’Adha ; pris la défense de l’intégrité physique de la femme, de son droit de riposter aux violences conjugales et de bénéficier d’une sexualité épanouie… L’on dit même que le dignitaire religieux – qui aurait refusé de quitter la banlieue sud pendant la guerre de juillet, malgré les bombardements, les menaces israéliennes à son encontre et ses problèmes de santé – n’est guère enthousiasmé par le paradigme du wilayet el-faqih. En cette période de conflit, d’aucuns attendent donc de lui aujourd’hui des positions politiques plus tranchées à cet égard, chose qu’il évite soigneusement. Sans chercher à éluder la moindre question politique, Mohammad Hussein Fadlallah ne déroge pratiquement pas d’ailleurs à l’attitude prudente et posée qu’il s’est imposée. L’on accroche même un micro sur le col de son interlocuteur et l’on filme l’entretien, par précaution. « Un usage de la maison » dû probablement à un souci d’éviter toute extrapolation des propos d’un uléma qui pourrait, s’il le désirait, bouleverser l’ordre établi sur la scène communautaire, voire nationale. * * * L’Orient-Le Jour – Comment évaluez-vous l’état des rapports interconfessionnels au Liban ? Sommes-nous dans une période de discorde ouverte ? Mohammad Hussein Fadlallah – « L’expression “discorde confessionnelle” ne saurait être employée pour décrire la réalité des rapports entre les communautés libanaises. La discorde est en effet synonyme de l’existence d’un mouvement de violence enracinée dans les sentiments et ressentiments confessionnels qui opposent une collectivité à une autre, dans une lutte pour les intérêts ou les positions exclusives que cherche à obtenir une communauté au détriment d’une autre. Ceci n’apparaît aucunement au Liban où la coexistence entre les différentes communautés est une réalité tangible. Nous relevons également qu’il n’y a aucune séparation entre les communautés dans les domaines politique, économique, commercial ou éducatif. Les différentes confessions se complètent, interagissent, collaborent dans l’ensemble de ces domaines. Il est toutefois indéniable qu’il y a au Liban des tensions nourries non pas par la pluralité confessionnelle mais par la multiplicité des affiliations partisanes, politiques ou régionales extranationales. Nous décelons dans le discours libanais une sorte de fanatisme propre aux différentes régions du pays. Par exemple, certains responsables de la capitale parlent de Beyrouth comme s’il s’agissait d’une région indépendante du reste du pays. Il en va de même des discours qui ont pris la défense de certaines régions récemment visées par des accusations et des attitudes de certaines parties dans le Sud, la Békaa ou le Kesrouan. Même le différend entre sunnites et chiites n’a pas atteint le stade de discorde, en dépit de certains événements politiques auxquels certains ont voulu conférer une connotation confessionnelle, comme c’était le cas des incidents du 7 mai. Ces incidents ont été déclenchés par les deux décisions du Conseil des ministres, qui ont poussé la Résistance à se sentir menacée par un plan régional. Il ne s’agissait pas d’un problème entre les communautés sunnite et chiite, quoi qu’en disent certains politiciens ou chefs religieux. La Résistance a simplement cherché à montrer qu’elle était menacée par un camp dirigé par le Conseil des ministres. Et cette question a été exploitée au niveau local aussi bien qu’au niveau international, notamment par les États-Unis, l’Europe et certains pays arabes. Le problème était toutefois éminemment politique et n’avait aucun rapport avec la religion. Ceux qui sont entrés à Beyrouth ne voulaient pas porter atteinte à certaines parties simplement parce qu’elles sont sunnites. Nous remarquons même que certains chefs sunnites ont rejoint ce camp chiite et que certains chefs chiites ont soutenu le camp sunnite. Les problèmes issus des incidents du 7 mai ont été réglés sur la scène druze. Quant à la communauté chrétienne, le problème découle du différend historique entre telle et telle partie en ce qui concerne la représentation des électeurs chrétiens. Le problème au Liban n’est ni religieux ni confessionnel. Le conflit politique local ne s’enracine pas dans des querelles religieuses, mais est plutôt dû au système confessionnel qui pèse sur la scène politique libanaise. Pour chercher le responsable de nos problèmes, nous devons tourner nos regards vers le confessionnalisme politique qui exploite la pluralité des croyances religieuses. Il s’agit d’une structure tribale qui érige les préceptes religieux en idole à adorer et non en message à comprendre et à suivre. » OLJ – Comment évaluez-vous le positionnement de la communauté chiite à l’égard de l’identité libanaise ? Chiisme et libanité sont-ils aujourd’hui en conflit ? MHF – « Permettez-moi de préciser que ma réponse à cette question n’est pas dictée par des vues confessionnelles, mais par les réflexions de celui qui observe la communauté chiite en tant que partie politique active. Les chiites ont été souvent privés de leurs droits les plus élémentaires, y compris la participation au tissu politique libanais. Cette communauté a cru en la résistance contre Israël. Cette croyance est aujourd’hui partagée par toutes les parties locales, même si certaines ont tardé à s’y joindre, pour des raisons qui leur sont propres. Toujours est-il que les chiites ont poursuivi leur combat contre Israël grâce à la Résistance islamique et ont réussi à former une armée populaire résistante qui a libéré les territoires occupés en 2000 et vaincu l’agresseur en 2006. Cette victoire est indéniable, bien que certaines parties locales la redoutaient et que le camp arabe pro-américain continue de la nier, comme le montrent les propos encore récents d’un haut responsable libanais. Du fait de certaines complications des rapports politiques locaux, certains Libanais ne veulent pas se montrer fiers d’un camp qui a réussi, face à Israël, des exploits qu’aucun pays arabe n’a pu réaliser. C’est pour cela que les parties libanaises proches de la politique des États-Unis et de l’Union européenne qui soutiennent Israël ont lancé une campagne contre la Résistance. Ils veulent désarmer cette dernière alors même qu’ils savent que l’armée ne possède pas d’armes suffisantes pour affronter les agressions israéliennes. D’autant que l’on ne peut résister à Israël que par les méthodes d’une guérilla et non par celles d’une troupe régulière. Le camp libanais qui suit les Américains ne veut pas que le Liban soit fort grâce à sa Résistance. Un haut responsable du gouvernement a même refusé au cours de certaines conférences étrangères d’évoquer la Résistance islamique, préférant parler de Résistance libanaise. Il reste que la force de la Résistance n’est pas due à ses armes, mais plutôt à la ténacité de la population du pays. Ils ont été jusqu’à accuser la Résistance d’être responsable de la catastrophe de juillet. Ils ont présenté la question des débris humains de soldats israéliens comme étant un problème humain, sans avoir daigné dénoncer les massacres commis par Israël contre le peuple libanais. Certains disent qu’Israël est l’ennemi du Liban. Mais ils n’ont affronté cet ennemi que par la diplomatie. Que reprochent-ils à la Résistance ? Le chapitre noir des incidents de Beyrouth ? Mais mis à part cet épisode, la Résistance n’a accompli que le bien alors que ceux qui dénoncent la “menace chiite” ont détruit l’économie du Liban. La communauté chiite est l’une des plus vieilles du Liban. Et les chiites libanais sont profondément enracinés dans ce pays et ne sont venus ni d’Irak, ni d’Iran, ni du Pakistan. » OLJ – Chiisme et arabité sont-ils aujourd’hui paradoxaux ? MHF – « Les liens qui unissent les chiites arabes à leur arabité sont indissociables. La communauté a de tout temps été fidèle à l’arabité et le restera. La communauté chiite du Liban a même remporté des victoires contre l’ennemi, au nom de l’arabité, alors que d’autres n’ont fait qu’accumuler les défaites pour le monde arabe. En Arabie saoudite et dans certains pays arabes, les chiites sont des citoyens de deuxième ou même de troisième ou de quatrième catégorie. Ils sont privés des droits accordés à leurs compatriotes. Ils subissent les colères d’ulémas qui les accusent d’apostasie, autorisent leur assassinat et tentent de les empêcher de résister à Israël. Malgré tout cela, les chiites sont de bons citoyens dans leurs pays respectifs. Les chiites saoudiens ne sont pas iraniens. Ce sont des ressortissants saoudiens qui entretiennent des relations avec l’Iran tout comme l’Arabie saoudite entretient des relations avec Téhéran. Les rapports des chiites arabes avec l’Iran sont religieux. Certains d’entre eux étudient dans les “hawzat” (écoles théologiques chiites, NDLR) iraniennes ou sont liés par le “taklid” (le fait pour un fidèle chiite de se choisir un ayatollah pour guide spirituel et de « l’imiter », c’est-à-dire d’observer ses fatwas dans le domaine religieux, NDLR) aux ulémas iraniens. Leur attitude est semblable à celle des croyants sunnites qui suivent les enseignements de la mosquée al-Azhar. Les chiites arabes ne soutiendront toutefois pas l’Iran sur le plan politique, au détriment de leurs patries respectives, en cas de problèmes entre ces dernières et Téhéran. »
Mahmoud HARB

L’uléma assure qu’en cas de problèmes avec Téhéran, les chiites arabes ne soutiendront pas l’Iran au détriment de leurs patries.
Quoique ultrasécurisé, le quartier général de l’uléma Mohammad Hussein Fadlallah situé à Haret Hreik, en plein cœur de la banlieue sud, est d’une simplicité, d’une modestie étonnante. Le visiteur peine à croire...