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Actualités - ANALYSE

Étude Analyse critique du projet d’assurance-vieillesse

L’institution d’une assurance-vieillesse est en elle-même une initiative indispensable. Le problème se pose toutefois au niveau du passage d’un régime à un autre en instaurant un système inadéquat. Ancien président du conseil d’administration de la CNSS, M. Georges Khadige fait la lumière sur cette question. Passer du régime des indemnités de fin de services à celui de l’assurance-vieillesse, comme le prévoit explicitement l’article 49 du code de Sécurité sociale, est sans conteste une excellente mesure, et ce n’est certainement pas le signataire des présentes observations qui dirait le contraire, lui qui avait été présenté lors de son élection à la présidence du conseil d’administration de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) en 1983 comme « l’homme de l’assurance-vieillesse ». Évoluer d’un régime à un autre en instaurant un système inadéquat est par contre tout à fait différent. En effet, le nouveau projet, tel qu’approuvé par les commissions parlementaires conjointes, appelle un certain nombre de remarques car il présente des lacunes, des incohérences, des pièges, et méconnaît des droits acquis ou des droits sociaux fondamentaux. Il serait cependant fastidieux de vouloir le passer au crible de façon exhaustive dans une étude telle que celle-ci, qui s’adresse au grand public, et qui ne peut donc pas se permettre de procéder à une analyse juridique approfondie, qui ne serait guère de mise et serait au contraire totalement hors de propos. Qu’il nous suffise donc, pour éclairer le lecteur, de relever les principaux points suivants : 1- Le nouveau projet, contrairement à celui qui avait été élaboré par une commission que le signataire avait eu l’honneur de présider, qui avait été transmis à la Chambre le 15 avril 1987, mais n’avait jamais vu le jour, et qui ne soumettait obligatoirement au régime de l’assurance-vieillesse que les salariés qui entreraient en service après la date de sa mise en application ainsi que « ceux qui, en service à cette date, n’auraient pas encore accompli quinze ans de services dont les cotisations à la CNSS auraient été effectivement dues » (sic), le projet actuel soumet impérativement, comme deuxième catégorie, « tous ceux qui n’auraient pas encore atteint l’âge de cinquante-cinq ans au moment de l’entrée en vigueur du nouveau régime » (sic). Or la différence entre les deux critères est très grande, ce qui a suscité des inquiétudes chez nombre d’assurés, qui ont commencé à craindre pour leurs indemnités de fin de service (IFS) et à envisager sérieusement de liquider celles-ci, même prématurément, avant que le nouveau régime ne soit mis en application. En effet, est-il juste juridiquement, et encore plus moralement et socialement, d’ignorer : 1- les droits acquis par les assurés qui n’ont pas encore 55 ans, mais ont déjà quand même 15 ans de services ou plus, voire 40 (l’âge minimum d’embauche étant de treize ans) ? 2- les données inhérentes à la mentalité libanaise ? 3- les projets que commencent à échafauder les salariés dès qu’ils approchent des 20 ans de service ? 4- les engagements qu’ils peuvent avoir pris ? et j’en passe, et de les soumettre obligatoirement à un nouveau régime, qui ne leur convient pas nécessairement ou dont, peut-être ils ne veulent pas ? N’est-ce pas là une atteinte grave à leurs droits et à leur situation ? Atteinte que le code de Sécurité sociale lui-même n’avait pas osé leur porter en 1963 et avait donné le choix à tous ceux qui étaient en service à la date de mise en application du nouveau régime des IFS entre l’adhésion volontaire au dit régime ou le maintien de leur ancien statut code du travail. Est-il également souhaitable d’inciter indirectement tous les salariés, qui ont vingt ans de service et plus, mais qui ne voulaient pas liquider leurs IFS avant l’âge de 60 ans ou de 64 ans pour bénéficier du calcul de ces IFS sur base d’un salaire plus élevé et de bénéficier aussi du demi-mois supplémentaire pour les années de services dépassant les vingt premières, à s’empresser de liquider ces IFS avant que n’entre en vigueur le nouveau régime et donc à perdre ces avantages ? Et quid alors de ceux qui n’ont pas encore vingt ans, mais qui pour sauver des IFS sur lesquelles ils comptent pour de multiples raisons vont être amenés à liquider prématurément leurs IFS quitte à perdre au départ 15 % de leur montant au moins, sans compter les autres pertes ? A-t-on pensé à tout cela ? L’a-t-on envisagé ? L’a-t-on pris en considération ? L’a-t-on accepté délibérément ? 2- Par-delà l’objection fondamentale ci-dessus, on relève dans le projet à l’article 50/1 par exemple un grave flou quant à la fixation du montant de la pension, ce qui lui donne un caractère aléatoire, inadmissible socialement, qui fait que le salarié se trouve dans l’impossibilité de connaître avec certitude ce montant à l’avance ou même de s’en faire une idée plus ou moins précise puisque ce montant est rendu : 1- fonction des cotisations « payées » par l’employeur (sic) et non pas « dues » par celui-ci, ce qui est tout à fait inacceptable, la CNSS étant, elle, responsable du recouvrement des cotisations et non le salarié et qu’elle ne saurait en aucun cas faire assumer à celui-ci la responsabilité et les conséquences du non-recouvrement, 2- fonction de paramètres financiers et économiques liés au produit de l’investissement du capital et des ressources de l’assurance-vieillesse autant de paramètres qui peuvent être utilisés pour des calculs actuariels et prévisionnels dans le cadre de l’étude de la gestion financière du régime et éventuellement pour une bonification ou une revalorisation des pensions, mais en aucun cas pour la fixation, au départ, de celles-ci, laquelle fixation se doit d’être claire, nette et précise, et totalement perceptible par le salarié et susceptible de lui permettre d’organiser sa retraite en conséquence, sans imprévus ni aléas. 3- Que dire aussi de beaucoup d’autres dispositions, qui ne sont pas nécessairement heureuses, telles que 1- le mode équivoque et incertain de la gestion du nouveau régime, qui se veut concilier les inconciliables, ménager la chèvre et le chou, apporter du nouveau dans le système actuel de gestion des prestations de la CNSS sans vraiment en apporter et vouloir contenter tout le monde au détriment des impératifs d’une bonne gestion, scientifique, transparente, indépendante. Or une telle gestion est indispensable pour rassurer les employeurs sur la bonne et saine utilisation de la nouvelle contribution qui leur est demandée et pour permettre aux salariés de percevoir aisément comment sera assurée leur pension de retraite et éloigner d’eux les craintes et les appréhensions d’avoir à subir mensuellement le même calvaire qu’ils subissent déjà pour parvenir à leurs droits en matière d’assurance-maladie. 2- la nécessité pour certaines décisions d’une proposition conjointe des ministres du Travail et des Finances, ce qui risque fort de rendre encore plus compliquée plus lente et plus aléatoire la prise de ces décisions. 3- les conditions et le taux de la participation de l’État au financement du nouveau régime, ceci sans parler des dangers que présente ce que le projet appelle « le financement » avec ses « sources », « le compte général de la Caisse », « le mode d’audit », « la commission d’investissement », et pour finir « les dispositions transitoires », autant de questions, qu’il serait, comme nous l’avons dit, fastidieux d’analyser et de commenter ici, mais sur lesquelles nous avons jugé quand même opportun d’attirer l’attention pour qu’on puisse en prendre connaissance et conscience, et se rendre compte de ce que contient effectivement le projet, qui deviendra peut-être bientôt loi impérative, et ce qu’il en adviendra pour des milliers d’assurés. 4- Non moins grave que ce qui précède est hélas une pratique de l’État devenue assez courante depuis de nombreuses années et qui consiste à faire figurer dans une même loi, et sous un titre général et assez équivoque, différents sujets assez éloignés les uns des autres, et encore plus du titre principal qui est attribué à la loi, et qu’il n’est pas certain qu’ils auraient été approuvés s’ils avaient été proposés séparément. Cette pratique correspond peu à l’orthodoxie juridique dans la confection des lois et rend souvent très malaisé le travail du juriste auquel il devient presque impossible de savoir où tel sujet a été traité législativement tant il ne lui viendrait même pas à l’esprit que ceci ait pu l’être dans telle loi qui pourtant n’était nullement censée le traiter. Il en a été ainsi par exemple de la loi n° 12/65 du 17 février 1965 qui dans son article 10 a créé le Conseil national du travail alors que cette loi n’était censée traiter que du salaire minimum et des majorations de vie chère. Il en a été ainsi également de la loi relative aux personnes handicapées et qui a relevé l’âge limite pour l’octroi des allocations familiales et des prestations de l’assurance-maladie. En ce qui concerne le projet en question, il s’agit en fait d’un cas moins flagrant mais non moins notable puisque ce projet, que tout le monde perçoit comme instaurant simplement le régime de l’assurance-vieillesse, modifie des délais de prescription, des dispositions relatives aux cotisations mais aussi et surtout l’économie même du conseil d’administration de la CNSS. Ainsi, au-delà de la réduction du nombre des membres qui composent le conseil et qui, somme toute, est une question secondaire, il porte gravement atteinte à l’esprit même de la gestion mixte de l’institution puisqu’il substitue à l’élection du président et des membres du bureau une nomination par décret. Or un président et des membres du bureau élus par leurs pairs, qui représentent les trois pôles participant à la gestion de la CNSS : patronat, salariat et État jouissent d’une représentativité, d’un prestige, d’un pouvoir moral et surtout d’une autorité et d’une indépendance dont ne peuvent pas jouir un président et des membres nommés par décret, qui deviennent des quasi-fonctionnaires et donc implicitement soumis aux ordres du pouvoir exécutif qui les a nommés. Or ceci ne correspond nullement à l’esprit du code de Sécurité sociale promulgué le 26 septembre 1963 qui a tenu à donner surtout au président du conseil d’administration une situation privilégiée par rapport à tous les autres présidents de conseil d’administration de même qu’il a tenu à ce que la CNSS ne soit pas un « établissement public », preuve en est qu’il a supprimé délibérément cette mention, qui figurait explicitement dans le projet initial et dans son exposé des motifs et l’a remplacée par la qualification d’institution indépendante à caractère social et ne l’a soumise qu’à sa propre loi, la soustrayant explicitement à la Fonction publique, à l’Inspection centrale et ne la soumettant qu’au contrôle à posteriori de la Cour des comptes, la voulant par conséquent « un établissement de droit privé à qui il a confié la gestion d’un secteur d’utilité publique », et à ce titre elle devait tout naturellement être soumise à la tutelle assez restrictivement d’ailleurs, du ministère du Travail et encore plus restrictivement du Conseil des ministres et, détail très significatif, le code dispose qu’en cas de conflit entre ledit conseil d’administration et le ministre du Travail, le conflit est soumis à l’arbitrage du Conseil des ministres. Ainsi les deux parties sont mises sur un pied d’égalité et leur conflit doit être tranché par arbitrage. Cela, hélas, et depuis plusieurs années, n’a plus l’air de plaire à tout le monde et certains cherchent à tout prix à faire de la CNSS un établissement public, même au détriment de dispositions législatives et encore plus de l’esprit du code même de Sécurité sociale et veulent ignorer tous les impératifs qui avaient guidé le père de la Sécurité sociale libanaise, le président Fouad Chéhab, ainsi que ses conseillers, le père Le Génissel et l’intendant Lay, et qu’avaient magistralement appliqué les fondateurs de la CNSS avec à leur tête S.E. le docteur Rida Wahid. Ce sont tous ces acquis qui sont aujourd’hui en cause avec, semble-t-il, une nouvelle vision de la Sécurité sociale, et le projet de réforme du conseil d’administration de la CNSS n’en est malheureusement qu’une illustration supplémentaire. Le Parlement auquel sans doute sera soumis prochainement le projet approuvé par les commissions le votera-t-il tel quel ou lui apportera-t-il les amendements nécessaires ? C’est ce que les jours à venir nous révéleront. Georges KHADIGE Avocat à la Cour, professeur de droit du travail et de la sécurité sociale à la facuté de droit et de sciences politiques de l’USJ, ancien président du conseil d’administration de la CNSS
L’institution d’une assurance-vieillesse est en elle-même une initiative indispensable. Le problème se pose toutefois au niveau du passage d’un régime à un autre en instaurant un système inadéquat. Ancien président du conseil d’administration de la CNSS, M. Georges Khadige fait la lumière sur cette question.
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