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Actualités - OPINION

Lettre à un cousin de Syrie

Mon cher Jirjis, Malgré nos liens de parenté et notre appartenance commune à la religion chrétienne, nous demeurons étrangement différents sur le plan politique. Tu t’étonnais l’autre jour de la réaction des Libanais que ni toi ni les tiens n’avaient jamais admise. Tu me disais que les Syriens chrétiens sont surpris par notre hostilité à l’égard du régime de Damas. Ne souhaitant pas polémiquer avec un cousin que j’aime, je me garderai bien d’énumérer la longue liste de griefs que nous avons à l’égard du régime de ton pays. Que tu sois fidèle à ton pays est une chose digne d’éloge. Que ton allégeance aille exclusivement à l’État syrien est une vertu qu’il faut applaudir. Que ton amour pour ta patrie soit passionné à ce point est une preuve de ton attachement profond à une échelle de valeurs exemplaire. Ton intérêt pour les affaires libanaises est louable et je te remercie de t’inquiéter de notre sort. Cependant, il est utile que nous puissions nous mettre d’accord sur les risques et les dangers qui guettent mon propre pays. Tu accordes une importance primordiale à ce fondamentalisme sunnite salafiste qui semble t’effrayer. Tu ne comprends pas l’esprit « 14 Mars » qui nous anime et tu le condamnes car, pour toi, il signifie « soumission au sunnisme politique ». Mon pauvre Jirjis, Quand donc vas-tu grandir ? Quand vas-tu enfin te rendre compte que dans la cité, nous sommes des individus et non des collectivités. Quand donc vas-tu saisir cette nuance fondamentale qui distingue l’esprit du clan ou de la communauté de l’esprit de la citoyenneté ? Durant les longues heures de conversation que nous eûmes ensemble, tu répétais comme un leitmotiv : « Mais pour nous chrétiens, etc. ». Tant que tu partiras du point de vue que le lien religieux prime sur le lien civique, tu demeureras, mon bon Jirjis, un sujet du sultan ottoman, un individu servile, uniquement préoccupé par sa survie immédiate au prix des pires compromissions avec le pouvoir discrétionnaire du sultan et de ses sous-fifres. Au fond de toi-même et de ton être tourmenté, tu resteras toujours un dhimmi, un protégé, c’est-à-dire un citoyen de seconde catégorie. Sur les places publiques de Beyrouth, je suis un citoyen libre, uniquement préoccupé des lois qui me protègent et qui me garantissent mes libertés fondamentales et mes droits. Tu me disais combien le Dr Bachar et sa charmante épouse sont pleins de sollicitude à l’égard des chrétiens. Je te crois. Tant mieux si cela peut te rendre heureux. Quant à moi, je préfère savoir que les lois de mon pays sont supérieures en efficacité à tous les liens d’homme à homme que je peux établir. Je sais combien est détestable le fait d’être le vassal d’un seigneur. Je préfère m’en remettre à la dure réalité de la loi plutôt que de dépendre de la bonne volonté de quiconque, fût-il mon propre père. Tu nous reproches d’aimer le sunnite ? Et pourquoi donc dois-je le détester et lui vouer une haine paranoïaque ? À cause des salafistes dis-tu ? Mais ces derniers sont d’abord un problème pour lui autant que pour moi. Accepterais-tu qu’on dise de toi que tu es un croisé fanatique pour la seule et unique raison que tu es membre de l’Église chrétienne ? Pourquoi alors transformes-tu, avec autant de mauvaise foi, tous les sunnites en d’affreux assassins assoiffés de sang chrétien ? Ton attitude est encore plus raciste et plus détestable que celle des pires racistes d’Occident pour qui le seul mot d’Arabe représente un tueur prêt à égorger sa victime innocente. Quand donc vas-tu sortir de tes vieux cauchemars d’enfant ? Quand vas-tu cesser de croire que tu es encore à l’ère des drogmans et que ton unique rôle de dhimmi est de servir à la table de Monsieur le Consul ou de Monsieur l’Ambassadeur ? Cher Jirjis, Si seulement tu pouvais oublier ce passé détestable de la dhimmitude qui t’a enfermé dans l’univers clos des millets du sultan. Quand donc vas-tu sortir de l’utérus identitaire ? Si seulement tu pouvais comprendre ce que signifie l’air de la liberté que nous avons respiré et qui coule dans nos veines depuis que, individuellement, nous nous sommes retrouvés par centaines de milliers un certain 14 mars 2005. Oublie nos politiciens et leur folklore imbécile. Je me moque de ces grands niais, uniquement préoccupés d’assurer leur statut de zaïm. Je me moque de ces fils de notables dont l’unique mérite est d’être sorti d’un ventre de notable. Au diable la diarrhée verbale de tel vieillard hargneux, rancunier, revanchard et pétri de haine féroce. Ce ne sont là que sornettes et discours non respectables. Comment ? Que deviendront les chrétiens en Orient ? Mais ils sont l’Orient. Ils ne sont pas une tribu recroquevillée sur elle-même. Ils ne sont plus des dhimmis que tel sultan despotique ou tel tyran sanguinaire ou tel dictateur sémillant peuvent instrumentaliser à leur guise. Contrairement aux apparences et malgré toute la propagande du régime de ton pays, je peux te garantir que le Printemps de Beyrouth sera celui de la nouvelle arabité. Le vieux nationalisme arabe est bel et bien mort. C’était une lubie que nous, chrétiens, avions introduite en Orient et dont les sunnites se sont enfin libérés pour retrouver leur vieil atavisme patricien. Il ne s’agit ni d’un 14 mars, date éphémère, ni d’un printemps, saison tout aussi éphémère. Il s’agit d’un certain état d’esprit, celui de l’arabité levantine, celle qui n’a pas peur de relever le défi de la modernité. Cette arabité reste encore à mettre en place et c’est à partir de Beyrouth qu’elle construira son modèle et son projet. J’espère t’avoir convaincu. Ton cousin de Beyrouth Pr Antoine COURBAN
Mon cher Jirjis,
Malgré nos liens de parenté et notre appartenance commune à la religion chrétienne, nous demeurons étrangement différents sur le plan politique. Tu t’étonnais l’autre jour de la réaction des Libanais que ni toi ni les tiens n’avaient jamais admise. Tu me disais que les Syriens chrétiens sont surpris par notre hostilité à l’égard du régime de...