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Actualités - OPINION

Liban francophone ? De profundis !

Après avoir longtemps hésité, j’ai finalement préféré laisser passer la vague d’optimisme euphorique engendrée par la tenue du Salon du livre francophone pour dresser cet état des lieux de la francophonie au Liban, dont le titre déplaira probablement à ceux qui trouvent que la francophonie s’y porte bien et que la langue française continue à y être, plus ou moins correctement, pratiquée par (presque) la majorité des Libanais, comme le laisse entendre le sondage publié dans L’Orient-Le Jour du 23 octobre dernier, qui estime que les Libanais sont plus ou moins francophones. Ce qui n’est pas vrai et est démenti par les faits concrets suivants qui démontrent que la réalité est totalement différente. Qu’il me soit d’abord permis de souligner qu’on a trop souvent tendance à donner de la francophonie une définition étriquée fondée uniquement sur un critère de langue en considérant que la francophonie est constituée par l’ensemble des populations qui ont la langue française en partage. C’est en se fondant sur ce critère unique que le sondage précité a abouti à ses conclusions. À mon sens, la francophonie ne se limite pas à la seule considération de « langue en partage », mais est constituée par tout un patriotisme de valeurs morales et humaines générées par la déclaration des droits de l’homme, et si elle est actuellement sur une pente descendante, c’est bien parce que ces valeurs sont elles-mêmes en régression et en train de céder la place à une mondialisation matérialiste et robotisée qui fait fi des valeurs humaines, et n’a de considération que pour la productivité et le rendement. Cela étant, qu’en est-il, actuellement dans les faits, de la francophonie au Liban par rapport à ce qu’elle avait été ou ce que certains semblent croire qu’elle l’est encore ? Dans le domaine des relations internationales Naguère, on disait que la langue française était la langue diplomatique du Liban alors qu’actuellement, la diplomatie libanaise, quand elle n’est pas muette, s’exprime beaucoup en arabe et en anglais, et rarement en français au cours des rencontres et des réunions internationales. Et si le Liban est, officiellement, francophone, dites-moi donc pourquoi les membres de nos sélections sportives nationales portent sur leur maillot le nom de « Lebanon » plutôt que celui de « Liban », et pourquoi, dans les compétitions sportives internationales, l’écriteau qui précède le porte-drapeau de notre délégation présente celle-ci sous cette même dénomination ?... Dans le domaine de la TV et des médias Naguère, nous avions l’avantage de bénéficier de plusieurs émissions télévisées sur plus d’un canal francophone telles que Au théâtre ce soir et Bouillon de culture, mais, pour reprendre un mot de Jean-Claude Boulos, au lieu de Bouillon de culture, nous avons eu droit à Bou... Melhem. Rappelons-nous, par ailleurs, qu’avant de saborder la « C33 », les annonceurs sur cette chaîne étaient très fiers de faire par de cette disparition en troquant sur l’écran le costume de ville par un « cherwal », signe de progrès. Questionné par moi à ce sujet, le responsable de l’époque m’informait la bouche en cœur que ce progrès répondait aux désirs des téléspectateurs. Comme si le rôle des émissions télévisées n’était pas de relever le niveau de ces derniers plutôt que de dégringoler à leur niveau. Toujours dans ce domaine des émissions télévisées, il serait intéressant de recenser le nombre des programmes et des annonces en langue française par rapport à ceux en arabe ou en anglais. La plus édifiante à ce sujet est l’annonce des programmes du « Cassino dou Liban »... Par ailleurs, un regard rapide sur le seul (et probablement dernier) quotidien francophone du pays, qui précise dans son titre new look qu’il est un « quotidien libanais d’expression française » – et que je lis quotidiennement avec beaucoup d’intérêt –, ce regard rapide permet de constater que les annonces, petites et grandes, en langue anglaise sont de plus en plus fréquentes et, souvent, plus nombreuses que les annonces en langue française. Dans ce même domaine publicitaire, presque tous les dépliants concernant les traiteurs et autres home delivery sont rédigés dans les seules langues arabe et anglaise. Même LibanPost s’est mis de la partie puisque le dernier dépliant que j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres vante, seulement en arabe et en anglais, les avantages des services qu’il met à la disposition des usagers, estimant probablement que les usagers francophones ne sont pas dignes de bénéficier de ces services. L’objectif des médias étant d’atteindre le plus grand nombre possible d’usagers, cette multiplication d’annonces en langue anglaise ne signifie-t-elle pas que la majorité des usagers a cessé d’être francophone ? Dans le langage courant Dans le langage courant, on entend de moins en moins dire « pardon », « bonjour » et « au revoir », mais de plus en plus « sorry », « hi » et « byyyye », en allongeant le plus possible cette dernière syllabe pour paraître davantage « in the mood »... Pour essayer de camoufler cet état des lieux et de le justifier, certains soutiennent que le pluralisme des langues est enrichissant. Cela est, peut-être, vrai, mais ne devrait quand même pas aboutir à l’appauvrissement d’une des deux langues au point de la ravaler au rang de parent pauvre, car nous ne voulons pas que cette belle langue française se désintègre complètement chez nous et que disparaissent avec elle le tact, la noblesse, le savoir-vivre, l’éthique et la déontologie que les collègues et universités francophones ont inculqués aux contemporains de notre génération. Conclusion Au-delà de la communauté de la langue française, la francophonie est, surtout, une communauté de valeurs culturelles, morales et humaines. Bien sûr, les francophones ont la langue française en commun, mais en plus de cela, ils ont surtout, ils devraient en tout cas avoir, en commun ces mêmes valeurs qui sont de plus en plus ignorées, sinon bafouées parce que la francophonie semble elle-même en perte de vitesse dans ce domaine du fait qu’elle est détournée de son véritable objectif, qui devrait être la réhabilitation de ces valeurs et leur promotion, plutôt que d’essayer de freiner l’expansion de la langue anglaise. N’oublions pas que celle-ci a, en fait, toujours été la langue la plus parlée dans le monde en raison, peut-être, de l’étendue de l’ancien Empire britannique, et du langage scientifique, électronique et financier moderne. Il faudrait donc se garder de créer et d’entretenir une polémique à ce sujet et de laisser croire à l’existence d’une lutte d’hégémonie entre la langue française et la langue anglaise. Cette conception erronée constitue, peut-être, un des principaux freins au rayonnement de la francophonie. Que les deux langues continuent donc de se développer normalement et parallèlement, et que les échanges entre elles s’organisent harmonieusement, ce qui ne peut être que source de riches enseignements, et que la francophonie se consacre davantage à la réhabilitation de ses valeurs fondamentales. Charles DAHDAH
Après avoir longtemps hésité, j’ai finalement préféré laisser passer la vague d’optimisme euphorique engendrée par la tenue du Salon du livre francophone pour dresser cet état des lieux de la francophonie au Liban, dont le titre déplaira probablement à ceux qui trouvent que la francophonie s’y porte bien et que la langue française continue à y être, plus ou moins...