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Actualités - ANALYSE

Analyse Les paramètres de la présidentielle américaine

Propos recueillis par Émilie SUEUR Changement, facteur « race », avenir du Parti républicain, nomination de Sarah Palin, impact de la crise économique sur la campagne… Trois experts français et américain analysent les paramètres de la présidentielle américaine. « Changement ». Tel est le mot d’ordre de la campagne de Barack Obama. Pour Justin Vaisse, chercheur français à la Brookings Institution, en optant pour ce mot d’ordre, repris dans son slogan de campagne « Change we can believe in », « Barack Obama, le candidat de l’opposition, a su le mieux capitaliser sur cette humeur des Américains qui veulent tourner la page de l’administration Bush ». Le changement promis sera-t-il toutefois au rendez-vous en cas de victoire du candidat démocrate ? « Le changement en question n’est pas seulement un slogan de campagne : une défaite des républicains, qui semble certaine pour ce qui est du Congrès, est aussi le symbole d’un retournement historique. Après un quart de siècle de révolution conservatrice (avec Ronald Reagan, Newt Gingrich, George Bush), de dérégulation, de reflux de l’État, l’Amérique semble se tourner davantage vers la responsabilité collective, vers un rôle accru du gouvernement fédéral, que ce soit en matière d’assurance-santé ou d’environnement. Cet effet de balancier est amplifié par la crise financière actuelle : après tout, c’est George Bush qui a commencé, sous la pression des événements, à renverser le dogme du libre marché et de la non-intervention ! » Pour Ted Stanger, journaliste et essayiste américain installé en France, l’idée de changement doit être prise avec des pincettes. « L’élection d’un président noir sera un changement d’ordre symbolique. D’un point de vue politique, il ne faut pas toutefois s’attendre à de réels changements en cas de victoire du candidat démocrate, estime-t-il. Obama a finalement un parcours politique assez conventionnel. En matière de politique quotidienne, il reste un libéral et un capitaliste. » Une analyse partagée par Yannick Mireur, rédacteur en chef de la revue Politique américaine. « L’Amérique restera l’Amérique. Nous prenons nos rêves pour des réalités en pensant que les démocrates sont l’équivalent des partis européens de centre-gauche », souligne-t-il. En ce qui concerne la politique étrangère américaine, par exemple, « même si Obama est élu, celle-ci restera motivée par les intérêts nationaux américains et une propension à agir seul quand il n’est pas possible de faire autrement », estime Yannick Mireur. En ce qui concerne la foi, « elle ne sera plus aussi militante et politique que sous Bush, mais elle continuera à tenir une place importante au sein de la société américaine », ajoute-t-il. Et ce même en cas de victoire d’Obama, comme le souligne Ted Stanger : « Obama a eu un coup de génie, il a compris que les seuls démocrates à pouvoir entrer à la Maison-Blanche venaient du Sud conservateur, comme Lyndon Johnson, Jimmy Carter et Bill Clinton. Un démocrate du Nord et “de gauche” n’a aucune chance. Durant cette campagne, Obama a donc été plus royaliste que le roi en proclamant ouvertement sa foi. » Pour Yannick Mireur, les changements se situent ailleurs. « Les États-Unis ont changé sur la question du racisme, cette question est moins importante aujourd’hui dans la sphère publique que les questions des inégalités de revenu et de richesse », estime-t-il. Barack Obama étant le premier Noir à avoir une chance d’entrer à la Maison-Blanche, le facteur « race » a été un paramètre sous-jacent de la campagne électorale. « En janvier dernier, je prédisais la victoire de McCain à cause de cette question de race, souligne Ted Stanger. Mais ensuite, le tsunami économique a balayé cette considération. » Et l’écrivain américain de rappeler qu’« historiquement, en temps de crise économique, les démocrates tirent mieux leur épingle du jeu que les républicains. Souvenons-nous de Clinton en 1982 et avant lui de Roosevelt, en 1932 ». « Les démocrates apparaissent plus cohérents quand des temps difficiles se profilent, alors que le discours des républicains, plus libéral et donc apportant moins de protection, paraît moins acceptable en temps de crise », souligne-t-il. « Si l’on ne s’intéresse qu’à ceux des électeurs susceptibles de voter démocrate, donc les Blancs ou Latinos démocrates ou indépendants (je laisse de côté le vote des Noirs), il semble que l’impact du facteur racial soit très limité », renchérit Justin Vaisse. « Cela tient à plusieurs facteurs : le premier est l’évolution des mentalités, marquée notamment par la victoire de nombreux candidats issus des minorités au cours des dernières décennies, y compris dans des circonscriptions “blanches”. Le second facteur est le poids de la crise financière : peu importe que ce candidat soit noir, il a l’air plus compétent pour gérer l’économie et prendre soin de mes intérêts. Le troisième facteur est Barack Obama lui-même: non seulement ce politicien charismatique n’est pas très noir (et ce degré de blancheur ou de noirceur compte dans toutes les sociétés multiethniques), mais il a aussi réussi à ne pas apparaître comme un candidat communautaire, de par son parcours original – ce n’est pas un Africain-Américain “canal historique” – et son discours », ajoute-t-il. Une « droitisation » de McCain? Côté républicain, John McCain a dû jouer, tout au long de cette campagne, à l’équilibriste. Tout en prenant ses distances par rapport à une administration Bush impopulaire, McCain, qui se présente comme un « Maverick », s’est trouvé contraint de donner des garanties à la base du Parti républicain. « McCain a opéré une droitisation et adopté des slogans simplificateurs pour gagner, ce qui n’est pas son style. Certains, aux États-Unis, disent d’ailleurs : rendez-nous le vrai McCain », souligne Yannick Mireur. « Sur plusieurs dossiers au cours des huit dernières années, McCain a pris des positions contraires à celles de Bush – et des autres républicains : sur les réductions d’impôt, sur le financement des campagnes électorales, sur l’immigration, sur la torture, sur le réchauffement climatique… mais depuis qu’il est le candidat du parti, il a dû revenir sur plusieurs de ses opinions originales afin de s’assurer du vote de la base conservatrice. Ce retour à l’orthodoxie lui a d’ailleurs coûté bien des voix au centre », estime Justin Vaisse. Un retour à l’orthodoxie symbolisé par le choix de Sarah Palin comme colistière. Un choix que beaucoup estiment être une erreur de casting. « McCain était désespéré. McCain est un homme peu croyant dans un parti où la foi est importante. Il est hors de l’establishement américain. Par le passé, il a livré bataille aux idéologues du Parti républicain. Un parti qu’il a même songé à quitter en 2004 pour rejoindre John Kerry. La nomination de Sarah Palin était une tentative de rectifier le tir », estime Ted Stanger. Une analyse que partage Justin Vaisse. « La question est : était-il possible de ne pas choisir “une” Sarah Palin? Depuis qu’il a remporté les primaires, McCain est confronté à une contradiction puissante. La base du Parti républicain ne l’aime pas car il est trop indépendant et, sur certains sujets, comme nous l’avons vu (immigration, climat…), proche des démocrates. Cette base est le point de départ nécessaire à une victoire, donc il fallait lui donner des gages en nommant quelqu’un comme Sarah Palin. » Si cette stratégie lui a permis de récupérer le soutien des plus conservateurs, elle a coûté à McCain celui des indépendants. « Palin fait figure d’épouvantail pour les électeurs indépendants, voire démocrates, qui aimaient bien la personnalité originale de McCain. Aurait-il eu plus de succès en choisissant par exemple Joe Lieberman, le sénateur démocrate devenu indépendant, qui avait sa préférence et qui lui aurait fait gagner des voix au centre ? On ne le saura jamais, mais on sait que cela lui aurait fait perdre le vote de la droite du Parti républicain… » ajoute Justin Vaisse. Pour Yannick Mireur, il faut rester prudent quant à l’effet Palin. « Nombreux sont ceux qui estiment que sa nomination est une erreur de casting, mais Palin reste un visage nouveau. On ne connaîtra réellement l’effet Palin qu’au moment du vote ». « Président Maverick » Au cours de cette campagne, alors que McCain a concentré ses attaques sur le « manque d’expérience » d’Obama, ce dernier a tenté de discréditer le candidat républicain en l’accusant d’incarner la poursuite de la politique de George Bush. Un point de vue que les experts nuancent. « À mon avis, si McCain est élu, on peut s’attendre à un nouveau renversement : comme il sera forcé de gouverner avec un Congrès démocrate et qu’il a démontré par le passé qu’il pouvait très bien travailler avec l’opposition, il se rapprochera naturellement du centre, devenant cette fois un “président Maverick”… ce qui promet de belles disputes avec le bureau de la vice-présidente, qui sera la gardienne de l’orthodoxie conservatrice », estime Justin Vaisse. « Aux États-Unis, le rattachement au parti perd de l’importance une fois que le candidat est élu, renchérit Ted Stanger. On peut s’attendre à ce que, en cas de victoire, McCain prenne de nouveau ses distances par rapport au Parti républicain. » Le Parti républicain en quête d’un nouveau souffle Un Parti républicain qui paraissait, ces dernières semaines, en proie à de vives tensions internes, certains représentants laissant entendre qu’une défaite de McCain aurait au moins l’avantage de permettre au parti de trouver un nouveau souffle. « Le Parti républicain est effectivement à bout de souffle d’un point de vue idéologique, mais aussi sur le terrain », note Ted Stanger. « On voit mal, à ce stade, quel nouveau départ le Parti républicain pourrait prendre, car il est écartelé entre, d’un côté, des forces de rénovation très intéressantes, de jeunes intellectuels conservateurs qui cherchent à l’adapter au contexte actuel – bien différent de celui de Ronald Reagan – et, de l’autre, une base républicaine à la fois plus limitée (essentiellement du Sud) et plus radicale, populiste et anti-intellectuelle, qui pousse le parti vers la droite, et dont l’égérie est Sarah Palin », estime, pour sa part, Justin Vaisse. Pour Yannick Mireur, les quelques voix souhaitant une défaite de leur propre parti ne sont pas représentatives. « La reconstruction du projet républicain est à faire. Et ce travail doit se faire, que les républicains gagnent ou non la présidentielle », estime-t-il. Nouvel isolationnisme? Au cours des dernières semaines de la campagne, les questions de politique étrangère semblent avoir été reléguées au second plan, derrière le dossier de la crise financière. Faut-il y voir un indice des priorités de la prochaine administration ? « Il ne faut pas y voir un signe avant-coureur d’isolationnisme, même si, pour des raisons évidentes, l’opinion va demander au nouveau président de s’occuper avant tout de la crise. Mais même la crise a une dimension internationale évidente ! Je parlerais donc non pas d’isolationnisme, mais plutôt d’humeur introvertie, bien compréhensible, estime Justin Vaisse. Par ailleurs, je ne dirais pas que les thèmes de politique étrangère ont disparu: dans les trois débats télévisés, il en a été beaucoup question, et dans le contexte post-11-Septembre, tandis que les soldats américains sont impliqués dans deux guerres, il est impossible d’en faire abstraction. Ce qui s’est produit, c’est que l’économie a tendu à reléguer ces thèmes au second plan, sans les faire disparaître. » Pour Yannick Mireur, il faut bien se souvenir qu’« il y a une différence entre le temps de la campagne et celui des responsabilités. Quand un président sera élu, tous les dossiers, y compris de politique étrangère, vont tomber sur son bureau. » Bibliographie Yannick Mireur, « Après Bush - Pourquoi l’Amérique ne changera pas », Choiseul Éditions, septembre 2008 Ted Stanger, « Sacrée Maison-Blanche! », Michalon, avril 2008 Justin Vaisse, « Histoire du néoconservatisme aux États-Unis », Odile Jacob, octobre 2008. Les programmes de McCain et Obama ÉCONOMIE - Barack Obama promet de baisser les impôts de 95 % des salariés américains et de ponctionner les revenus dépassant les 250 000 dollars annuels. Il propose une réduction fiscale annuelle de 500 dollars par salarié et de 1 000 dollars par famille. Il supprimerait aussi les impôts pour les personnes âgées dont les revenus ne dépassent pas 50 000 dollars. Il veut en revanche porter l’impôt sur les revenus du capital de 15 % à 28 % et taxer les bénéfices exceptionnels engrangés par les compagnies pétrolières afin d’accorder aux contribuables une ristourne sur leur facture énergétique. Il entend débloquer 50 milliards de dollars pour de grands travaux d’infrastructures. - John McCain promet de pérenniser les réductions d’impôts de l’administration Bush qui viennent à expiration fin 2010 et de ramener de 35 % à 25 % l’impôt sur les sociétés. Il promet de traquer les dépenses fédérales d’intérêt purement local et propose un gel pour un an des dépenses fédérales non militaires. Il veut utiliser 300 des 700 milliards de dollars du plan de sauvetage des institutions financières pour racheter des crédits hypothécaires fragiles et les remplacer par des crédits à taux fixe. IRAK - Barack Obama promet de mettre fin au conflit « de façon responsable » en 16 mois. Opposé à des bases permanentes, il est prêt à l’envoi ponctuel de troupes en cas de catastrophe ou de génocide. - John McCain pense que les États-Unis « sont en train de gagner la guerre ». Il a envisagé le maintien de troupes dans le pays « pendant 100 ans », sur le modèle des bases américaines en Allemagne, au Japon ou en Corée du Sud. IRAN - Obama est pour un dialogue avec l’Iran « si et seulement si cela peut faire avancer les intérêts des États-Unis ». Ce dialogue doit d’abord commencer à un niveau bas. Il est favorable à des sanctions internationales pour pousser l’Iran à la transparence sur son programme nucléaire. - McCain proclame qu’« une seule chose est pire qu’une action militaire, c’est un Iran nucléaire ». Hostile à l’ouverture d’un dialogue, il veut renforcer les sanctions internationales, y compris hors de l’ONU. PROCHE-ORIENT ET ISRAËL - Pour Obama, l’engagement des États-Unis à l’égard d’Israël est « non négociable ». Il est opposé à la politique de colonisation dans les territoires palestiniens. En faveur d’un État palestinien, il prône l’isolement du Hamas et du Hezbollah tant qu’ils n’auront pas renoncé au terrorisme et reconnu le droit à l’existence d’Israël. - McCain, fervent partisan de l’aide militaire à Israël, se présente comme le « pire ennemi » du Hamas. ÉNERGIE - Barack Obama est favorable à une limitation des émissions de gaz carbonique et à un marché des droits à polluer ; fixe un objectif de réduction de 80 % des émissions de carbone d’ici à 2050 ; souhaite investir 150 milliards de dollars sur dix ans dans les technologies d’énergie propre. Il est favorable, après y avoir été opposé à des forages limités en mer. - John McCain est également favorable à une limitation des émissions de gaz carbonique et à un marché des droits à polluer, et envisage une réduction des deux tiers des émissions de carbone d’ici à 2050. Il est favorable, après y avoir été opposé, à la levée du moratoire sur les forages pétroliers en mer et souhaite la construction de nouvelles centrales nucléaires. COMMERCE INTERNATIONAL - Baack Obama a proposé de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena, avec le Canada et le Mexique). Il veut s’assurer que tous les traités de libre-échange contiennent des garanties sur les conditions de travail et l’environnement. Il veut supprimer les exemptions fiscales aux entreprises américaines qui délocalisent. - John McCain soutient l’Alena et voit dans le libre-échange un outil important de la politique étrangère américaine. Un scrutin complexe Quand les électeurs américains choisiront leur président le 4 novembre, ils voteront en fait pour un groupe de grands électeurs, réunis au sein d’un « collège électoral ». C’est ce collège, relique constitutionnelle du XIXe siècle, qui élira le président et le vice-président. Créé par le 12e amendement à la Constitution en 1804, le collège compte 538 membres. Le vainqueur est celui qui obtient la majorité absolue, soit 270 voix. Chaque État est représenté par des grands électeurs en nombre égal au nombre de sénateurs et de représentants qui le représentent au Congrès. Le District de Columbia, qui englobe la capitale, Washington, n’a aucun représentant doté d’un droit de vote au Congrès, mais compte trois grands électeurs. État le plus peuplé des États-Unis, la Californie compte 55 grands électeurs. Les États les moins peuplés en ont au minimum trois. En cas d’égalité, c’est à la Chambre des représentants qu’il revient de choisir le futur président, ce qui s’est produit en 1800 et 1824. C’est le Sénat qui choisit le vice-président, comme ça a été le cas en 1836. Avec ce système, il est possible d’être élu président sans obtenir la majorité absolue des suffrages de la population. C’est ce qui s’est produit en 2000, mais aussi à trois reprises au cours de l’histoire des États-Unis. Cette anomalie arrive parce que dans presque tous les États – à l’exception du Maine et du Nebraska qui instillent une dose de proportionnelle –, le candidat qui obtient le plus de suffrages dans un État est représenté par tous les grands électeurs de cet État au sein du collège électoral. Ainsi, en Californie, il suffirait à un candidat d’obtenir une seule voix d’avance sur son adversaire pour engranger les 55 grands électeurs de cet État. En raison de ce système, les candidats privilégient quelques États-clefs (Floride, Ohio, Pennsylvanie, Michigan, Colorado...) susceptibles de passer d’un camp à l’autre et décider ainsi de l’élection. Les grands électeurs, le plus souvent des élus locaux, se réunissent dans la capitale de chaque État pour élire le président et le vice-président le premier lundi qui suit le deuxième mercredi de décembre, soit, cette année, le 15 décembre. Le collège ne se réunit pas au niveau fédéral. Étrangement, rien n’oblige les grands électeurs à respecter le vote populaire. En 2004, un des dix grands électeurs du Minnesota (Nord), État remporté par le démocrate John Kerry, a voté pour... le démocrate John Edwards qui n’était pas candidat. Cela n’a pas changé l’issue du scrutin, mais à cause de ce vote incongru, M. Kerry a officiellement recueilli 9 voix au lieu de 10 dans cet État. Quelque 700 propositions d’amendement visant à modifier ou à supprimer le collège électoral ont été soumises en vain au Congrès au cours des 200 dernières années. Le 44e président prendra ses fonctions le 20 janvier 2009.
Propos recueillis
par Émilie SUEUR

Changement, facteur « race », avenir du Parti républicain, nomination de Sarah Palin, impact de la crise économique sur la campagne… Trois experts français et américain analysent les paramètres de la présidentielle américaine.
« Changement ». Tel est le mot d’ordre de la campagne de Barack Obama. Pour Justin Vaisse, chercheur...