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Dimanche sanglant à Beyrouth Randy GADDO

Je me rappelle que la matinée du 23 octobre 1983 était agréable et ensoleillée à Beyrouth. Une légère brise balayait l’air, et un calme bienvenu régnait. Dimanche est en général un jour de repos. Nous bénéficions d’ordinaire d’heures supplémentaires de sommeil puis d’une gâterie, en l’occurrence une omelette, dans une des baraques. Nous n’avons plus eu d’omelettes après le 23 octobre. Je m’étais réveillé tôt ce jour-là parce que j’avais du travail. En tant que sergent des marines et photographe, j’avais été envoyé à Beyrouth pour préparer un documentaire sur les troupes qui devaient tenter d’instaurer la paix au Liban au terme de plusieurs années de guerre civile. Ce matin-là, j’avais huit pellicules à développer et à imprimer avant d’aider mes camarades à effectuer des travaux d’étanchéité dans notre bunker, un travail nécessaire puisque la saison des pluies approchait. J’avais établi un laboratoire de développement de photos, dans le seul endroit où il avait été possible de trouver de l’eau courante, à savoir dans la salle de bains au troisième étage des baraques, sachant que je ne dormais pas dans l’immeuble. À 6h, j’étais déjà sorti de ma tente. J’étais seulement à mi-chemin des baraques. J’entendais les oiseaux gazouiller plus fort que d’habitude. Peut-être parce que, pour changer, on n’entendait pas ce jour-là le bruit de l’artillerie dans la Montagne. J’avais décidé qu’il me fallait une tasse de café avant de commencer à travailler. Je suis donc retourné à la salle d’opérations, j’ai pris une tasse et je me suis installé au petit bureau de campagne pour planifier ma journée. Vingt minutes plus tard, j’ai entendu deux ou trois coups d’un M16. Avant de réaliser ce qui se passait, j’ai senti un souffle d’air très chaud sur mon visage. Puis j’ai entendu une sorte de grondement, et je me suis vu soulevé et projeté plusieurs mètres en arrière, comme une poupée de chiffon. J’étais étourdi. Heureusement, j’avais mon casque et mon gilet pare-éclats. Ils ont absordé une bonne partie de l’onde de choc. J’ai tout de suite pensé qu’un obus a explosé tout près. Je suis sorti en m’attendant à voir un trou près de la tente. Mais ce que j’ai vu, je ne l’oublierai jamais. Au-dessus des baraques vers lesquelles je m’étais dirigé 20 minutes plus tôt, un champignon se formait. J’ai couru en sa direction, et je me rappelle aujourd’hui qu’après avoir contourné un coin, j’avais remarqué que tous les arbres étaient sans feuilles. Dans ma course, j’ai atteint un endroit à partir duquel j’étais censé voir les baraques, et là, je me suis arrêté net : ce n’était pas ce que j’étais supposé voir. La tour de contrôle de l’aéroport, proche de nous, apparaissait devant moi. Tout s’est déroulé ensuite au ralenti. Une épaisse poussière grise retombait au sol, couvrant tout comme un drap épais. Je me suis efforcé de reprendre mes esprits et c’est ainsi que j’ai commencé à voir des choses, des choses humaines qui m’ont ramené durement à la réalité parce que, sans vouloir entrer dans des détails scabreux, il était évident que de nombreux hommes avaient péri. J’ai couru de nouveau vers la chambre d’opérations pour donner l’alerte et chercher de l’aide. J’ai vu mon supérieur, le major Bob Jordan, notre responsable des relations publiques, couvert de poussière, l’air hagard parce qu’il avait été lui aussi projeté par le souffle de l’explosion. J’ai dit – probablement crié, je ne m’en souviens plus : « Les baraques ne sont plus là. » Ces mots prononcés à Beyrouth en 1983 étaient aussi difficiles à croire que « Les tours jumelles ont disparu », répétés le 11 septembre. Les baraques étaient une forteresse cernée de murs épais en béton armé. C’était le quartier général des forces israéliennes. Elles avaient résisté aux bombardements terrestres et maritimes, mais il n’en demeure pas moins qu’elles avaient disparu. Et avec elles, quelque 200 marines, 18 marins et 3 soldats. Des centaines d’autres ont été blessés. Cinq ans plus tôt, à la vingtième cérémonie commémorative de l’attentat, qui s’est déroulée au Beirut Memorial de Jacksonville, en Caroline du Nord, j’ai rencontré une des nombreuses filles qui avaient perdu leur père ce jour-là. Elle était encore un bébé lorsque les terroristes ont tué son papa. Elle était venue pour en savoir davantage sur lui, grâce aux informations que les hommes qui avaient servi avec lui pouvaient lui donner. Son père lui avait écrit de nombreuses lettres de Beyrouth. Elle en avait apporté une avec elle et me l’avait fait lire. La lettre était datée de septembre 1983. Il lui expliquait que les gens aux États-Unis allaient s’interroger sur les raisons pour lesquelles leur pays s’impliquait à Beyrouth et pourquoi il était important de laisser les Libanais récupérer leur liberté. Il lui expliquait aussi qu’il valait mieux affronter les terroristes, là-bas, là où ils vivaient, au lieu d’avoir à les combattre 20 ans plus tard aux États-Unis. Il est apparu qu’il avait raison sur toute la ligne, sauf sur le point relatif au calendrier. Il a fallu seulement 18 ans à la guerre pour s’exporter aux États-Unis. Si nous étions restés sur le terrain 25 ans plus tôt, au lieu de nous retirer après l’attentat, il est fort possible que les attentats du 11 septembre n’auraient pas eu lieu. Parallèlement, quelqu’un qui estime aujourd’hui que nous pouvons rentrer dans notre coquille et espérer que le terrorisme s’éloignera simplement ne serait pas en train de voir les leçons que l’histoire nous offre. Les gens s’interrogent sur le point de savoir si nous réalisons quoi que ce soit en Irak et en Afghanistan. Ma réponse est affirmative. Les terroristes n’ont plus de refuges sûrs en Afghanistan. Si nous nous retirons d’Irak avant le moment opportun, devinez qui s’y installera : l’Iran. Le même Iran qui a entraîné les combattants du Hezbollah, qui ont tué 241 de mes camarades en cette matinée d’octobre à Beyrouth. Qui de nous voudrait un jour regarder 25 ans en arrière et regretter de ne pas être resté ?
Je me rappelle que la matinée du 23 octobre 1983 était agréable et ensoleillée à Beyrouth. Une légère brise balayait l’air, et un calme bienvenu régnait.
Dimanche est en général un jour de repos. Nous bénéficions d’ordinaire d’heures supplémentaires de sommeil puis d’une gâterie, en l’occurrence une omelette, dans une des baraques.
Nous n’avons plus eu...