Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Le point Entre Pachtouns

de Christian Merville La guerre en Afghanistan a désormais son héros, il porte le nom so british de Mark Carleton-Smith et commande les troupes de Sa Gracieuse Majesté engagées aux côtés des Américains dans l’opération « Endure Freedom ». Début octobre, le général a fini par dire à voix haute ce que tout le monde, ou presque, murmure depuis longtemps de manière quasi inaudible. « Nous n’allons pas gagner, a-t-il lâché au détour d’une interview au Sunday Times. Il s’agit de ramener cette affaire au niveau d’une insurrection contrôlable qui ne représenterait pas une menace stratégique et permettrait aux Afghans eux-mêmes de la contenir. » Un constat suivi de ce qui ressemble fort à un souhait : « Nous pourrions alors nous retirer. » À peu de chose près, Hamid Karzaï vient de dresser un bilan tout aussi négatif, reconnaissant que la situation ne fait que se détériorer et avouant l’incapacité de toutes les parties à assurer la sécurité, « malgré quelques succès importants ». On aurait voulu demander au chef de l’État de citer quelques-unes de ces glorieuses réalisations – sur lesquelles il a bien fait de ne pas s’attarder. Et pourtant, dit-il, il fut un temps, au lendemain de la chute du régime des talibans, où la vie était agréable. Il ne se trouvera personne pour prétendre le contraire, s’agissant d’une époque qui remonte à sept ans. Depuis… l’organisation Human Right Watch a dressé de la situation un tableau on ne peut plus sombre. Dans leur sécheresse, les chiffres donnent une idée effarante des dégâts : un million et demi de victimes directes du conflit, cinq millions de réfugiés en Iran et au Pakistan auxquels s’ajoutent des centaines de milliers d’exilés éparpillés aux quatre coins du globe, la plus faible espérance de vie du monde et la plus forte proportion de décès parmi les nouveau-nés et les mères, le taux le plus élevé d’analphabétisme. Enfin, avec la Somalie, l’Afghanistan est le pays qui ressent le plus cruellement les effets de la famine. Pour ajouter aux malheurs qui frappent une nation jadis qualifiée de « plus grand chaudron du monde » par James A. Michener, qui en avait brossé un tableau saisissant dans son best-seller Caravans (1963), il y a le pavot qui assure la presque totalité des rentrées invisibles sur lesquelles, affirme-t-on, les chefs de l’insurrection prélèvent leur dîme, soit une centaine de millions de dollars par an. Le 5 octobre, le New York Times faisait état de liens entre le frère du président, Ahmad Wali Karzaï, qui occupe le poste de gouverneur de la province de Kandahar, et des trafiquants d’héroïne. Le journal citait à ce propos diverses sources, dont des officiels de la Maison-Blanche, du département d’État et de l’ambassade américaine dans la capitale afghane, sans parler de la célèbre DEA (Drug Enforcement Agency) dont les agents étaient systématiquement empêchés de mener à terme leurs investigations à chaque saisie d’un lot qu’on soupçonnait appartenir à un proche de ce personnage. L’administration Bush, à en croire le quotidien, ne tient nullement à envenimer les rapports avec le régime, ni surtout à s’attirer l’inimitié des barons de la drogue et des planteurs de pavot d’opium. Voilà pourquoi la « narcocorruption » se porte aussi bien et comment elle permet aux étudiants en théologie d’assurer leurs sources de financement… avec la neutralité bienveillante de leur ennemi yankee. Et l’on en revient au triple objectif – mais qui s’en souvient encore ? – fixé à l’intervention alliée : vaincre les talibans, venir à bout du terrorisme animé par el-Qaëda, instaurer la liberté et la démocratie. À deux mois et demi de la fin du mandat de George W. Bush, que reste-t-il de cet ambitieux programme d’action ? Un amer goût d’inachevé. Bien plus : la certitude que cette guerre ne pourra pas être gagnée, malgré les milliards engloutis, malgré tous ces morts, dont le nombre dépasse maintenant celui des victimes en Irak. Pourtant, dès le mois de mai 2002, les généraux annonçaient la fin des affrontements majeurs et « le grand succès » remporté sur le terrain. Il a bien fallu déchanter depuis. À partir de leur sanctuaire du sud, les partisans du mollah Omar ont débordé sur le nord, bénéficiant de la passivité du grand voisin pakistanais. Et Oussama Ben Laden dans tout cela ? Confortablement installé dans la zone frontalière, croit-on, et jouissant d’une totale impunité, surtout depuis que l’ex-président Pervez Musharraf avait fait savoir, fort à propos, qu’il n’était pas particulièrement préoccupé par le sort d’un homme hier encore qualifié d’ennemi public numéro un. Il faut se rendre à l’évidence : l’humeur guerrière semble désormais relever d’un passé pourtant proche. Dans les heures à venir, une mini-Jirga de 50 responsables afghans et pakistanais, appartenant à la même ethnie pachtoune, doit se réunir à Islamabad pour examiner un possible règlement de la crise incluant un retrait des troupes étrangères. On ne s’en étonnera pas. C’est quand ils se montrent intraitables que les Américains sont prêts à discuter.
de Christian Merville

La guerre en Afghanistan a désormais son héros, il porte le nom so british de Mark Carleton-Smith et commande les troupes de Sa Gracieuse Majesté engagées aux côtés des Américains dans l’opération « Endure Freedom ». Début octobre, le général a fini par dire à voix haute ce que tout le monde, ou presque, murmure depuis longtemps de manière...