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Actualités - OPINION

L’« effet Obama » Cécile Gault

D’après un sondage réalisé par les instituts TNS-Sofres et Logica les 2 et 3 septembre 2008 sur leur choix s’ils participaient à la présidentielle américaine, 80 % des Français interrogés se prononceraient en faveur de Barack Obama, contre 7 % pour John McCain. Cette préférence pour le candidat démocrate n’est certainement pas une surprise, ni même une nouveauté. En 2004 par exemple, à l’occasion d’un sondage similaire, 72 % des sondés avaient plébiscité John Kerry. Il n’est pas non plus surprenant que les journalistes et analystes politiques français observent de très près les campagnes et les candidats. Le président des États-Unis est sans doute le dirigeant le plus puissant de la planète et il est compréhensible que le monde ait les yeux rivés sur l’Amérique en période électorale. Ce qui interpelle cependant, c’est non seulement le fait que l’intérêt que les Français portent à cette particulière élection s’étend à toutes les franges de la population, au-delà des simples médias et élites, mais également et surtout la ferveur inhabituelle qui se ressent dans les débats à ce sujet. De simples citoyens de toutes les origines et de toutes les classes sociales expriment ouvertement un soutien parfois quasi inconditionnel au sénateur de l’Illinois. Dans un pays dont la classe politique peine à offrir des personnalités qui rassemblent, ce plébiscite ne passe certainement pas inaperçu. Un comité de soutien français a même été créé (« France for Obama », www.pour-obama.fr), qui compte parmi ses membres les ex-ministres Jack Lang et Édith Cresson, le philosophe Bernard Henry-Lévi, l’actuel maire de Paris et candidat au poste de premier secrétaire du Parti socialiste Bertrand Delanoë, ou encore le professeur Olivier Duhamel, ancien député européen et enseignant à Sciences-Po. Cette grande école parisienne a d’ailleurs organisé en mars dernier une conférence réunissant juristes, professeurs et étudiants autour du thème : « L’effet Obama en France. » La perspective, est bien différente d’il y a quatre ans, alors que la majorité des Français soutenait John Kerry simplement parce qu’il n’était pas George W. Bush. L’intérêt suscité par Barack Obama va bien plus loin et, fait rare alors qu’il s’agit d’un candidat à l’élection d’un pays étranger, comporte une dimension affective inédite. La question se pose dès lors des raisons de cet engouement. Le soutien français à Barack Obama est bien sûr en partie fondé sur des considérations géopolitiques et stratégiques. Pour commencer, les relations entre les États-Unis et la France ont été pour le moins refroidies par l’attitude de l’administration Bush, de sorte que les Français ont développé une certaine forme de méfiance à l’égard du Parti républicain de manière générale. Ensuite, en termes d’idéologie politique, la France se reconnaît plus dans les politiques économiques et sociales prônées par les démocrates que par les républicains : traditionnellement, l’Hexagone est le pays occidental emblématique de l’État-providence, ce mal tant craint et décrié par John McCain et sa colistière, Sarah Palin. Enfin, les déclarations de Barack Obama en matière de politique étrangère semblent plus en accord avec les positions françaises que celles de son opposant. Le fait qu’il ait voté contre la guerre en Irak lui vaut déjà un certain capital d’approbation et ses affirmations répétées que la politique étrangère des États-Unis doit se faire en partenariat avec leurs alliés font effet de baume apaisant sur le ressentiment provoqué par les agissements américains unilatéraux des huit dernières années. Beaucoup de Français partagent sur ce point l’analyse de Jean-Claude Beaujour, avocat au barreau de Paris, lors de la conférence Sciences-Po et selon qui « Obama peut être celui qui va pouvoir renouer le dialogue de l’Amérique avec le reste de la planète ». Tout ceci explique certes la préférence intellectuelle des Français pour Obama, mais pas l’enthousiasme qu’il inspire. La vérité, c’est que la nomination de Barack Obama en tant que candidat démocrate a jeté une lumière nouvelle sur le débat autour de l’intégration des minorités en France. Toujours à l’occasion de la conférence sur « l’effet Obama », le professeur Duhamel explique ainsi que le parcours du jeune sénateur américain « fait prendre conscience à des gens qui l’ignoraient […] du caractère incroyablement arriéré de la société française sur ce plan ». De fait, malgré de nombreuses lois contre les discriminations et autant de déclarations de bonne volonté, les Français d’origine africaine et/ou arabe sont encore très largement absents aux postes à responsabilités, que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère publique. Ce qui relance la discussion sur la discrimination positive notamment, que la France refuse obstinément dans toutes ses formes comme allant à l’encontre du principe fondateur de la République, qui ne doit être qu’« une et indivisible ». Autrement dit, lorsque vous avez la nationalité française, vous êtes français, un point c’est tout. On ne peut comprendre l’attitude de la France vis-à-vis de l’intégration de ses minorités sans maîtriser cette tautologie fondamentale. Peu importe d’où vous venez, le dieu que vous priez ou la couleur de votre peau. Si vous avez la nationalité française, vous êtes un enfant de la République, et c’est là tout ce qui compte. Parler de la « communauté arabe/noire » en France exprime sans doute une réalité sociologique, mais cela peut vite devenir une gaffe politique et est très certainement incorrect d’un point de vue constitutionnel. Il n’y a pas de « communautés » en France, il y a un peuple uni et uniforme. La République, garante de cette liberté de conscience si chère aux Français et qui est au cœur de la Constitution et des lois sur la laïcité, refuse de voir des différences, quelles qu’elles soient, entre ses enfants, donc de légiférer en conséquence (dans les limites de ce qui est nécessaire au maintien de l’ordre public), même dans le cadre de la lutte contre les discriminations. La théorie constitutionnelle le lui interdit. Le postulat, louable dans son esprit et pertinent à la réalité historique de l’époque où il a été établi, il y a plus d’un siècle, est que c’est là la meilleure façon de protéger la liberté de pensée et la liberté religieuse des citoyens. Il en découle qu’il n’existe aucune statistique officielle sur le nombre de Français issus des minorités dans la haute fonction publique, puisqu’une telle pratique serait inconstitutionnelle. Les concepts de race et d’ethnicité ne sont pas reconnus par la République qui considère encore très largement que l’égalité devant la loi suffit à aplanir les inégalités sur le terrain, ce qui exclut absolument tout recours à aucune forme de discrimination positive. Ainsi, le test établi par la Cour Suprême américaine, dans la décision Regents of the University of California v. Bakke, 438 US 265 (1978), selon lequel, à compétences égales, l’origine ou la couleur de peau d’une personne peuvent être prises en compte par une université publique dans son choix entre deux postulants, serait inconstitutionnel en France, en ce qu’il reviendrait à ce qu’une entité publique et républicaine admette que les Français ne sont pas tous pareils. Inacceptable. Or, si ça ne l’était pas déjà, il devient de plus en plus évident que ce système d’intégration par l’aveugle ne fonctionne pas. Une majorité de la population, de tous les bords, reconnaît désormais qu’il est toujours bien plus facile de trouver un emploi, par exemple, lorsque l’on porte le prénom François, que lorsque l’on s’appelle Mohammad. Pour ceux qui réclament un changement de méthodologie, le parcours d’Obama fait figure d’exemple, de preuve que la diversité aux plus hauts niveaux dans les démocraties occidentales est atteignable maintenant, tout de suite. Barack Obama symbolise ainsi ce que la France s’est pour l’instant montrée incapable d’accomplir. Pour Olivier Duhamel, l’investiture d’Obama et son élection potentielle à la tête des États-Unis montrent « que les mentalités ont changé », ajoutant « que la France se rendra bien compte que si les États-Unis ont su franchir le pas, ont pu […] se réconcilier avec cette histoire coloniale, la France sera bien obligée de se réconcilier avec sa propre histoire coloniale ». Bien sûr, les problèmes de discrimination raciale aux États-Unis sont bien loin d’être résolus. De plus, la comparaison entre la situation des Afro-Américains et des Français d’origine africaine et/ou arabe peut être trompeuse, car elle ne prend généralement pas en compte la différence de contexte socio-historique. Enfin, un certain nombre d’experts s’accordent à dire que l’élection de Barack Obama n’entraînerait pas un changement fondamental de la politique étrangère américaine. D’une part, dans les faits, une administration démocrate hériterait d’une situation à la fois nationale et internationale qui ne lui laisserait qu’une marge de manœuvre restreinte. D’autre part, dans plusieurs apparitions publiques, Obama n’a pas exclu, sous conditions, une intervention militaire au Pakistan sans l’accord d’Islamabad, ce qui suggérerait qu’il n’est pas aussi opposé aux actions unilatérales américaines qu’il a pu le laisser entendre. Pour l’instant cependant, l’essentiel n’est pas là, car l’« effet Obama », c’est le symbole, et non pas l’homme ou le politicien. Si Obama est élu, la communauté internationale aura amplement le temps de s’interroger sur la direction réelle de sa politique étrangère. En attendant, que le mythe autour de lui soit justifié ou non, son investiture a ouvert de nouvelles perspectives dans le débat français sur l’intégration. Quand on sait que dans les faits, la France n’a pas avancé ou presque sur ce sujet depuis, au bas mot, quinze ans, cette relance du débat est en elle-même une percée. *Cécile Gault est dans sa dernière année de double-master de droit international public au Washington College of Law à Washington DC, en partenariat avec l’Université Paris X-Nanterre.
D’après un sondage réalisé par les instituts TNS-Sofres et Logica les 2 et 3 septembre 2008 sur leur choix s’ils participaient à la présidentielle américaine, 80 % des Français interrogés se prononceraient en faveur de Barack Obama, contre 7 % pour John McCain. Cette préférence pour le candidat démocrate n’est certainement pas une surprise, ni même une nouveauté. En...