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Actualités - interview

Interview Faute de réformes, des fissures apparaîtront au sein de la société saoudienne Émilie SUEUR

De passage à Beyrouth, Mai Yamani, chercheuse associée au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient, décrypte les causes et les conséquences de l’absence de réformes réelles en Arabie saoudite. À la mort du roi Fahd, en 2005, un vent d’espoir balaie le royaume saoudien quant à une possible ouverture. Cet espoir est nourri par l’arrivée au pouvoir du roi Abdallah, dont le style diffère sensiblement de celui de son demi-frère. En 2003, alors qu’il exerçait la régence du royaume, le roi Fahd étant dans l’incapacité de gouverner depuis une embolie cérébrale en 1995, Abdallah avait en effet commencé à évoquer le lancement de réformes, annoncé des élections municipales et initié un « dialogue national ». Cinq ans plus tard, Mai Yamani, chercheuse associée au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient, à Beyrouth, estime qu’« en termes de réformes internes, il n’y a pas changement réel », que ce soit au niveau du Majlis el-Choura, du cabinet et surtout du judiciaire. Selon la spécialiste de l’Arabie saoudite, le roi Abdallah était sincère dans sa volonté de réformes, mais il a été confronté à deux obstacles, la famille royale et l’establishment religieux. En ce qui concerne la famille royale, celle-ci « comprend 22 000 membres. Ils forment des coalitions qui ne parviennent pas à un consensus en matière de réformes », explique Mai Yamani. L’establishment religieux wahhabite contrôle « plusieurs leviers du pouvoir, au niveau des médias, de l’éducation, de l’armée et surtout du judiciaire. Les religieux sont comme un État dans l’État et il existe de nombreux exemples de leur obstruction aux réformes », souligne-t-elle. Pour compliquer un peu plus la chose, l’establishment religieux entretient des relations étroites avec certains membres de la famille royale, « notamment les princes Nayef et Sultan, mais pas avec Abdallah ». En raison de ces obstacles, l’ébauche d’un processus de réforme est teintée d’une certaine « schizophrénie », ajoute Mai Yamani. Ainsi, en janvier 2003, une centaine d’intellectuels islamistes et libéraux, sunnites et chiites, avaient adressé à Abdallah, alors prince héritier, une pétition intitulée « vision du présent et de l’avenir de ce pays » à travers laquelle ils demandaient des élections nationales et locales ainsi que la séparation des pouvoirs. Quelques jours plus tôt, le prince héritier lui-même avait présenté à des intellectuels saoudiens un projet de « charte de réforme du monde arabe ». Pourtant, quelques semaines plus tard, un groupe d’intellectuels étaient jetés en prison. « Il n’y a pas de réforme, seulement la poursuite des vieilles méthodes. Le régime continue de considérer les Saoudiens comme des enfants, estime la chercheuse. Avec l’argent du pétrole, les salaires des fonctionnaires sont augmentés, des jeunes envoyés à l’étranger pour étudier... Tout cela n’est qu’une poursuite du patronage. Ce n’est pas la bonne manière de répondre aux attentes des Saoudiens qui ne veulent plus être les sujets du passé, mais les citoyens de l’Arabie saoudite. » L’absence de réformes est d’autant plus grave que, selon Mai Yamani, le fossé entre la population et le pouvoir ne cesse de s’élargir. « Entre la classe dirigeante, composée essentiellement d’octogénaires, et la population, dont 50 % a moins de 15 ans, il y a un fossé pas seulement d’âge, mais de culture », affirme-t-elle, avant d’ajouter que Riyad ne peut uniquement compter sur l’argent du pétrole, alors que le prix du baril fluctue, pour maintenir la stabilité. « Il faut investir dans l’éducation. Les dirigeants savent ce qui doit être fait. Ils doivent lancer un processus de réforme réel et complet, faute de quoi des fissures vont commencer à apparaître au sein de la société saoudienne », avertit Mai Yamani. Outre les réformes, l’autre grand défi auquel fait face l’Arabie saoudite est la lutte contre le terrorisme. « Après le 11 septembre 2001, l’Arabie est passée par une phase de déni, elle ne pouvait accepter que 15 des 19 terroristes viennent de chez elle », souligne la spécialiste. Ensuite, Riyad a trouvé une stratégie pour se distancier des terroristes en les désignant sous le label « minorité des égarés ». Parallèlement, Riyad a voulu se positionner en tant que pionnier de la lutte antiterroriste, en ouvrant notamment des centres de rééducation pour jihadistes. Cette semaine, les autorités ont en outre annoncé que 991 personnes suspectées d’activités terroristes seraient jugées. « Attention, la guerre contre le terrorisme est aussi utilisée pour bloquer les réformes », avertit Mai Yamani, avant d’ajouter qu’il semblerait que parmi les personnes appelées à être jugées figurent des religieux ayant accusé le régime de corruption. « Aujourd’hui, deux menaces pèsent sur le régime saoudien : les radicaux islamistes nouvelle génération qui ont des tendances terroristes et les réformateurs qui réclament plus de justice sociale et une monarchie constitutionnelle. Riyad prend très au sérieux la lutte contre le terrorisme. Mais il me semble qu’aux yeux du régime, ceux qui demandent des réformes politiques sont plus dangereux que ceux qui prêchent le jihad. »
De passage à Beyrouth, Mai Yamani, chercheuse associée au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient, décrypte les causes et les conséquences de l’absence de réformes réelles en Arabie saoudite.

À la mort du roi Fahd, en 2005, un vent d’espoir balaie le royaume saoudien quant à une possible ouverture. Cet espoir est nourri par l’arrivée au pouvoir du roi Abdallah, dont le...