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Actualités - CHRONOLOGIE

Conférence Henry Laurens dresse le portrait du « terrorisme comme personnage historique » May MAKAREM

Thème d’actualité, le terrorisme mobilise les acteurs politiques, mais aussi les historiens comme Henry Laurens, professeur au Collège de France, qui a été invité par l’Université Saint-Joseph à dresser le portrait du « terrorisme comme personnage historique », expliquant les logiques, les significations du schéma même du terroriste, les significations qui lui sont attribuées et les pratiques qu’il revêt, au long des siècles. À l’initiative de la section relations internationales du département d’histoire de la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Saint-Joseph, Henry Laurens a donné une conférence sur « le terrorisme comme personnage historique ». Spécialiste de la question palestinienne et du monde arabe contemporain, auteur de plusieurs ouvrages dont Paix et guerre au Moyen-Orient : l’Orient arabe et le monde de 1945 à nos jours, L’Orient arabe à l’heure américaine : de la guerre du Golfe à la guerre d’Irak, coauteur de L’Islam et sa civilisation, Henry Laurens a tenté un long parcours historique et typologique pour définir le terrorisme dont « la notion est aussi ancienne que la guerre elle-même », fait-il observer, soulignant que les théoriciens de l’art de la guerre l’assimilent à une technique de combat. Aussi, « par rétrospection, on peut définir, à titre d’exemple, comme terroristes les zélotes juifs de l’Antiquité, les sicaires de Joseph ou les assassins ismaéliens du Moyen Âge ». À partir de la Révolution française, « terrorisme » et « terreur », c’est-à-dire partisans de Robespierre, se confondent. Cette terreur révolutionnaire d’État, qui caractérisera la politique de la révolution russe, est définie comme « une violence d’origine politique exercée contre un État ou une société de la part d’un acteur considéré comme non étatique même s’il dispose, par ailleurs, d’un soutien étatique externe au pays considéré », explique le conférencier avant de se pencher sur « une archéologie du terrorisme », qui nous renvoie à deux notions très anciennes. Tout d’abord, le « tyranisme », considéré aux XVIe et XVIIe siècles comme un « acte légitime » car le meurtre d’un tyran a pour but le bien commun, c’est-à-dire la libération de la servitude. Ensuite la « conjuration », dont « la connotation est clairement négative et appartient au domaine du complot, de la machination. La conjuration de Catilina est l’exemple célèbre dans l’Antiquité romaine ». « Tyranisme » et « conjuration » ont été utilisés dans la langue politique courante jusqu’au XVIIIe siècle, voire au-delà, indique Laurens, signalant qu’en France, « l’ultime fois où le mot conjuration apparaît, c’est sous la Révolution française ». L’Europe du XIXe siècle voit apparaître une nouvelle forme de violence : le carbonarisme, mouvement politique secret ayant pour objectif l’insurrection et l’assassinat de personnalités politiques afin de mettre fin aux régimes monarchiques répressifs et établir des régimes libéraux, voire franchement républicains. Toutefois, « par rapport à la conjuration classique, le carbonarisme est reconnu comme étant une opération désintéressée et le plus grand exemple littéraire figure dans Les Misérables de Victor Hugo qui décrit l’insurrection carbonariste de 1832 », précise le conférencier. Deux types de groupes terroristes Relativement proches du carbonarisme, les actions des mouvements nationalistes, comme l’IRB irlandais à titre d’exemple, se manifestent dès la fin des années 1850. « Le terroriste est alors un combattant illégal contre les armées régulières » et la « guérilla » son mode d’action. Il devient « un franc-tireur » et même un « partisan », durant la guerre franco-prussienne (1870) où des civils prennent les armes contre l’envahisseur. Au début du XXe siècle, la guerre des Boers, en Afrique du Sud, introduit au répertoire le nom de « commando », groupe de partisans qui mènent des embuscades et des attaques-surprise avant de s’évanouir dans la nature. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’armée britannique, puis l’ensemble des armées alliées, reprennent l’expression pour désigner l’équipe d’hommes lancés dans des opérations audacieuses contre les positions de l’ennemi. L’expansion coloniale est également considérée comme une « guerre de terreur » qui a engendré en retour un terrorisme contre le colon, et où « la solution militaire était impossible face à la force du nationalisme». L’humanitaire, par ailleurs, n’était pas admis lors des guerres coloniales, note l’historien, relevant qu’« avant 1946, la Croix-Rouge internationale était exclue de l’espace colonial ». Henry Laurens a aussi traité de l’émergence des formes contemporaines du terrorisme, lié au perfectionnement apporté par le chimiste Alfred Nobel, l’inventeur de la dynamite, qui maîtrisa la puissance de la nitroglycérine en 1875. Il distingue deux types de groupes terroristes : celui des anarchistes, à compter des années 1880, et celui des nihilistes russes, à partir de 1890-1892. Néanmoins, la prise d’assaut du siège de la Banque ottomane d’Istanbul par un groupe arménien, en 1896, constitue « le premier acte de terrorisme publicitaire ». Ce type de terrorisme, qui a pour objectif d’attirer l’attention publique, va apparaître avec force dans les Balkans. Les actes de l’ORIM, organisation révolutionnaire macédonienne, disposant du soutien de la Bulgarie, en sont, à titre d’exemple, une véritable illustration. « Ces mouvements sont le fait de jeunes, souvent des étudiants, dont la violence est une voie légitime pour réaliser des objectifs politiques, la plupart du temps d’inspiration nationaliste. » Une fin en elle-même Les deux guerres mondiales accentuent le développement du terrorisme, et le carbonarisme est utilisé par tous les belligérants. Elles ont surtout apporté avec elles la « logique de la totalisation », l’exécution des prisonniers, des déportés politiques et raciaux, les bombardements aériens et la pratique du blocus destinés à frapper aussi bien le potentiel industriel de l’ennemi que la population civile. Celle-ci devient « un objectif légitime ». De ce fait « on voit apparaître le processus de radicalisation cumulative de la violence qui devient une fin en elle-même », a dit l’historien. Traitant ensuite de la guerre froide, qui a été également une guerre de partisans de deux camps, Laurens souligne, à titre d’exemple, que la directive du Conseil national de sécurité (USA) du 18 juin 1948 a défini le champ des actions clandestines de la CIA : propagande, guerre économique, actions directes préventives, sabotages, démolitions, et mesures d’évacuation, subversion contre des États hostiles, incluant le soutien aux mouvements clandestins de résistance, aux guérillas ou groupes de libération, etc. « Donc du côté occidental, la guérilla, le franc-tireur, ou le partisan seront désormais désignés par “Freedom Fighters” ». Mais ces combattants de la liberté ont été éliminés par la répression soviétique. » Henry Laurens a également abordé la question de la lutte anti-impérialiste en Amérique du Sud (les narco-guérillas et les FARC de Bolivie), des Fractions rouges en Allemagne et des Brigades rouges en Italie. Concernant le Moyen-Orient, la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan et l’Inde, il dira que 90 % des actes terroristes sont le résultat des guerres civiles. Une région qu’il a évoquée quelques minutes seulement, isolées dans un exposé passionnant de deux heures... Ce qui implique qu’on attend d’Henry Laurens une autre conférence axée uniquement, cette fois, sur le terrorisme dans la région.
Thème d’actualité, le terrorisme mobilise les acteurs politiques, mais aussi les historiens comme Henry Laurens, professeur au Collège de France, qui a été invité par l’Université Saint-Joseph à dresser le portrait du « terrorisme comme personnage historique », expliquant les logiques, les significations du schéma même du terroriste, les significations qui lui sont attribuées...