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Actualités - ANALYSE

Perspective L’inexcusable dérive

de Michel Touma Il est parfois dans l’histoire des nations des évolutions, des mutations sociopolitiques dont il serait impardonnable de ne pas saisir la portée véritable, la dimension nationale. Tel est, en particulier, le cas de l’événement fondateur qu’a constitué la révolution du Cèdre. Loin du brouhaha politicien et des méandres clientélistes, les développements majeurs qui ont marqué le printemps de Beyrouth ont représenté une spectaculaire convergence, inespérée et sans précédent, de la ligne de conduite des leaderships sunnite et druze avec le projet politique et les slogans défendus par les factions chrétiennes depuis des décennies. Les thèmes de la défense de la souveraineté et de l’indépendance politique du Liban, de la primauté de l’État central face aux mini-États de tout genre, de la préservation du pluralisme et des spécificités libanaises dans l’environnement arabe, de la neutralité positive que le pays du Cèdre devrait adopter à l’égard des axes régionaux ont été au cœur du discours chrétien depuis la fin des années 60, voire depuis la première indépendance de 1943. Or ces mêmes leitmotive constituent l’ossature de l’esprit, du projet rassembleur du 14 Mars. Un esprit dont les prémices étaient perceptibles dès l’année 2001, et dont la ligne directrice a été tracée et définie par les fameux appels annuels de Bkerké à partir de septembre 2000. Le slogan « Liban d’abord » brandi à plus d’une reprise par Saad Hariri est dans ce contexte particulièrement révélateur de la profonde évolution, foncièrement historique, intervenue dans le comportement politique sunnite. Et nous revenons sur ce plan de très loin. Il est irréversiblement révolu, le temps où certaines factions sunnites avaient refusé la carte d’identité libanaise lors de la proclamation du Grand Liban en 1920. Il est largement dépassé, le temps où la rue sunnite lorgnait du côté de la Syrie « sœur », ne vibrait que pour Nasser, n’avait d’yeux que pour la résistance palestinienne, ne se reconnaissait pas dans l’État, se méfiait profondément de l’armée libanaise. L’épisode de Nahr el-Bared, les déclarations répétées d’un Fouad Siniora, en sa qualité de Premier ministre, invitant la Syrie à « s’habituer à l’idée » que le Liban est indépendant, insistant en outre pour que seul l’État impose désormais l’ordre à Nahr el-Bared, sont significatifs d’une longue et lente maturation. Le député Ahmad Fatfat précise à cet égard que le premier déclic de cette évolution remonte à la guerre de 1982 lorsque la rue sunnite, assiégée par l’armée israélienne, pratiquement abandonnée à son triste sort par l’hinterland arabe, a pris conscience du fait qu’en définitive, son seul recours est l’État libanais et qu’il était de son intérêt vital de tourner désormais son regard vers le pays du Cèdre. Négliger une telle mutation, ne pas capitaliser sur ce changement profond, de manière à le consolider et le stimuler davantage, revient à porter un coup de Jarnac au projet libaniste et à saper concrètement l’un des fondements de l’entité libanaise. Les récentes attaques répétées de certains leaders du 8 Mars contre Fouad Siniora, qu’une partie non négligeable de l’establishment et de la rue sunnites perçoit comme l’un de ses principaux symboles politiques, sont d’autant plus surprenantes qu’elles ont pour conséquence de renforcer, par ricochet, des mouvances fondamentalistes au détriment d’une faction qui a rejoint, qu’on le veuille ou non, le projet souverainiste. Cette posture manifestement antisunnite peut s’expliquer par de petits calculs politiciens et électoralistes. S’il en était ainsi, cela serait inexcusable dans une situation de crise existentielle comme celle qui secoue le Liban depuis trois ans. Si, par contre, elle était mue par un alignement aveugle, non pas sur la nécessaire option d’un pacte avec la composante chiite libaniste, mais sur l’axe stratégique syro-iranien, cela ne serait alors rien moins qu’une impardonnable dérive historique.
de Michel Touma

Il est parfois dans l’histoire des nations des évolutions, des mutations sociopolitiques dont il serait impardonnable de ne pas saisir la portée véritable, la dimension nationale. Tel est, en particulier, le cas de l’événement fondateur qu’a constitué la révolution du Cèdre.
Loin du brouhaha politicien et des méandres clientélistes, les développements...