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Actualités - OPINION

Les changements sur la scène locale

L’accord de Doha constitue le principal tournant qu’a connu le Liban depuis la révolution du Cèdre et l’accord de Taëf (voir L’Orient-Le Jour du 8 octobre 2008). Favorisé par la phase de détente et d’expectative que traverse la région, il a mis fin au blocage des institutions prévalant depuis leur boycottage par l’opposition et reflète le nouvel équilibre des forces sur la scène locale caractérisé par : – Le recul de la coalition du 14 Mars dont le pari sur le soutien occidental et, sinon la chute, du moins l’affaiblissement du régime syrien s’est avéré illusoire. Sans compter qu’elle a commis plusieurs erreurs. La dernière en date étant la malencontreuse décision du gouvernement Siniora ayant provoqué le coup de force du Hezbollah contre Beyrouth et le Chouf. – L’affaiblissement plus prononcé de son aile sunnite, traumatisée par sa défaite militaire à Beyrouth, et qui risque d’être tentée par un flirt dangereux avec les groupes intégristes financés par l’Arabie saoudite. – Le regain d’activisme de ces derniers, surtout à Tripoli, où les violents combats qui les ont opposés aux alaouites font planer la menace d’une ingérence syrienne. – L’union sacrée druze face à l’agression contre « leur » Montagne. – Le renforcement du Hezbollah qui a obtenu satisfaction sur plusieurs des revendications de l’opposition. Bien que le fait d’avoir retourné ses armes vers l’intérieur ait dévoilé son vrai visage et lui ait fait perdre une partie du capital de sympathie dont il jouissait au-delà de la communauté chiite. – Le rétablissement relatif de l’influence politique de la communauté chrétienne qui, malgré ses divisions, a bénéficié de plusieurs facteurs favorables : la fin de l’occupation syrienne. Le fait, qu’ayant perdu ses « privilèges » politiques, elle n’a plus à craindre une coalition dirigée contre elle, la lutte pour le pouvoir opposant désormais davantage les sunnites et les chiites. La nouvelle loi électorale qui lui confère un rôle d’arbitre entre le 14 et le 8 Mars. L’élection d’un président de la République admis par toutes les parties, après des années de marginalisation puis de vacance de la présidence. Enfin, malgré les griefs qu’on peut avoir à son égard, la position du général Aoun dont le document d’entente avec le Hezbollah a sans doute épargné aux régions chrétiennes de subir, de la part de ce dernier, le même sort que Beyrouth-Ouest et le Chouf. Mais cet acquis ne justifie pas les arguments du général, en faveur d’une sorte d’alliance non déclarée entre les communautés chrétienne et chiite, implicitement dirigée contre le sunnisme réputé plus intolérant et accusé d’accaparement du pouvoir et de dérive vers l’intégrisme d’inspiration wahhabite. Outre qu’elle procède d’une logique étroitement confessionnelle, cette argumentation ignore la conversion des sunnites libanais au souverainisme. Mais surtout elle occulte le fait que Hezbollah, qui a confisqué l’opinion chiite, représente une menace pour la formule libanaise du fait de son idéologie, de son caractère totalitaire, de son allégeance à l’Iran et de son armement. D’une capacité de dissuasion douteuse, celui-ci accroît au contraire. Les risques de guerre. La détermination du parti de Dieu à ne pas s’en dessaisir, même en cas de retrait israélien des fermes de Chebaa, montre bien que son agenda ne se limite pas à la cause de la libération du territoire, mais vise des objectifs plus ambitieux : passer d’un État dans l’État à un contrôle déterminant de l’État à travers un partage du pouvoir plus conforme au poids démographique de la communauté chiite (la formule du tiers, tiers, tiers). Et faire du Liban le seul pays arabe engagé dans une lutte sans merci contre « l’axe américano-sioniste ». Mais le problème du désarmement du Hezbollah dépasse les capacités du gouvernement libanais. Sa solution, si elle devait intervenir, dépendra de l’issue du bras de fer entre l’Iran et les États-Unis alliés à Israël ainsi que des négociations entre ce dernier pays et la Syrie. Conséquences et scénarios probables Quel que soit le résultat des élections présidentielles américaines, il ne faut pas escompter de changements radicaux au niveau de la politique de Washington au Moyen-Orient. On peut cependant supposer que, n’ayant pas à assumer l’héritage de l’administration républicaine, Barack Obama pourrait se monter plus enclin à accélérer le rythme de retrait des troupes américaines d’Irak pour en redéployer une partie en Afghanistan, et moins réticent à engager des négociations avec l’Iran. Cette éventualité, la sur- extension des capacités militaires américaines, la crise financière que traverse le pays ; enfin la leçon de l’aventure irakienne, qui a montré qu’il est plus facile de gagner la guerre que la paix, pourrait éloigner pour le moment le risque d’une frappe militaire préventive américaine contre les installations nucléaires iraniennes, que d’aucuns prévoyaient comme imminente. C’est en tout cas l’option que viennent de conseiller cinq anciens secrétaires d’État américains. Quant à Israël, il ne semble pas qu’il ait la capacité de le faire sans l’aval et l’appui américains. On se dirige donc probablement vers une poursuite de la politique actuelle de négociations avec l’Iran assortie d’une tentative d’isolement et d’un renforcement des sanctions contre ce pays. Il faut cependant s’attendre à ce que le Kremlin soit moins enclin à coopérer avec Washington et ses alliés européens sur ce dernier volet après l’affaire de la Géorgie. De toute façon, bien que l’Iran soit confronté à une crise économique aiguë, il est douteux que la politique de sanctions ne fasse plier le régime des mollahs pour qui l’idéologie et la volonté de puissance priment sur toute autre considération. La possibilité d’une guerre à moyen terme n’est donc pas à écarter avec les conséquences désastreuses que cela implique pour la région et le Liban. Placé en première ligne face à Israël, notre malheureux pays ne manquera pas de subir une attaque israélienne dévastatrice, soit à titre préventif, soit en riposte à des tirs de missiles du Hezbollah. Il existe bien sûr deux autres scénarios. Le premier, hautement improbable, étant que la communauté internationale ne finisse par se résigner à ce que la République islamique ait la bombe au grand dam d’Israël… et des pays musulmans sunnites, avec le risque de prolifération que cela implique. Mais après tout, l’expérience prouve que la possession du feu nucléaire n’a eu, depuis Hiroshima et Nagasaki, qu’un rôle de dissuasion mutuelle. Cela a été le cas lors de la guerre froide et l’est toujours entre l’Inde et le Pakistan. Quant au dernier scénario, il est que la politique du bâton et de la carotte ne finisse par inciter l’Iran à renoncer au nucléaire militaire en contrepartie d’une reconnaissance du rôle régional prédominant auquel il aspire. Il part de l’hypothèse que l’Iran n’a pas intérêt à troubler un nouvel ordre régional qui lui convient. Et que, tant qu’il ne sera pas agressé, il jouera un rôle stabilisateur, comme on l’a vu avec la conférence de Doha. Il n’empêche qu’une issue positive, des négociations entre Damas et Tel-Aviv, qui affaiblirait à la fois l’Iran et le Hezbollah, faciliterait grandement les choses. Une telle issue, même si elle n’interviendra pas de sitôt, serait évidemment très favorable au Liban, à condition qu’elle ne se fasse pas à ses dépens. Pour cela, la classe politique locale, qui n’a pas voix au chapitre, devrait tirer les leçons du passé en tentant d’éviter que le pays ne continue d’être un pion sur l’échiquier politique régional. Il est vain d’escompter que le Hezbollah renonce à son alignement sur la wilayet el-faqih. Mais aucune idéologie n’empêche le camp souverainiste d’adapter sa stratégie à la nouvelle conjoncture et de faire moins confiance à la protection américaine. Enfin, on ne peut qu’espérer une consolidation du processus de réconciliation intercommunautaire qui semble s’amorcer. Ibrahim TABET
L’accord de Doha constitue le principal tournant qu’a connu le Liban depuis la révolution du Cèdre et l’accord de Taëf (voir L’Orient-Le Jour du 8 octobre 2008).
Favorisé par la phase de détente et d’expectative que traverse la région, il a mis fin au blocage des institutions prévalant depuis leur boycottage par l’opposition et reflète le nouvel équilibre des...