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Actualités - interview

Entretien Raymond Audi : « La clôture du dossier bute sur les cas de quelques villages »

Depuis qu’il est ministre des Déplacés, Raymond Audi, ex-PDG de la Bank Audi, voudrait débloquer les choses en adoptant une politique de petits pas. L’Orient-Le Jour : Où en est aujourd’hui le dossier des déplacés ? Raymond Audi: Les réconciliations ont été conclues dans près de 85 % des villages où il y a eu accord de retour contre des indemnisations financières. La clôture du dossier bute sur les cas de quelques villages dont les habitants ne veulent pas s’entendre ou réclament des compensations trop importantes. Ces gens crânent, mais n’ont pas récupéré leurs propriétés, pas plus que leur capital. Tout aurait dû être terminé en trois ans, mais cela fait treize ans que cela dure. Le problème est qu’il y a eu du sang, des vendettas, des démolitions de maisons ou de lieux de culte. Le dossier est aussi difficile que délicat, et mon ministère s’est vu attribuer une plus grande responsabilité qu’initialement prévue. Par ailleurs, beaucoup de villages réintégrés par leurs habitants sont devenus de belles localités et des centres de villégiature très prisés et prospères. C’est une réponse aux gens qui critiquent et disent que rien n’a été fait. Mais il est impossible de satisfaire tout le monde. L’OLJ: Beaucoup de déplacés se plaignent de la corruption qui a entravé les opérations de retour. Que pouvez-vous dire à ce propos ? R.A.: J’ai entendu beaucoup de personnes parler des énormes pots-de-vin qu’elles ont dû payer pour obtenir leurs indemnités. Mais personne n’a porté plainte ou n’a donné de preuves, car ils ont eu peur que cela n’entrave la récupération de leurs biens. Malheureusement, certaines personnes ont été contraintes d’accepter des compromis pour faire avancer les choses. Ce ministère a aussi vu passer plusieurs ministres qui ne suivaient pas tous la même ligne politique. Des dossiers non recevables ont été acceptés, à plusieurs reprises, juste pour faire plaisir à des proches. Cela a créé une situation confuse. On ne peut nier la corruption, mais trouver où elle est située est difficile. Mieux vaut aller de l’avant, sinon on ne s’en sortira pas. Il est important de savoir que le ministère, avec ses 220 fonctionnaires, a un système informatique très performant. L’OLJ: Quels sont vos objectifs durant votre mandat ? R.A.: Je ne peux dire qu’au bout de deux mois, je maîtrise la totalité du dossier. J’envisage d’adopter une politique de petits pas. Je ne voudrais pas non plus perdre du temps à éplucher les vieux dossiers et à ressasser le passé. Je voudrais aller de l’avant, entamer des négociations et essayer de débloquer les choses le plus rapidement possible. La priorité est actuellement de clore le dossier du village de Kfarmatta où la réconciliation a eu lieu. Car le dossier des indemnisations n’est toujours pas terminé. J’espère monter au village d’ici à une quinzaine de jours pour finaliser l’affaire. Les indemnisations seront payées au fur et à mesure, car l’État nous débloque l’argent au compte-goutte. D’ailleurs, nous venons de recevoir 10 milliards de livres libanaises pour ce village. On nous en promet 20 autres. Nous pourrons ainsi satisfaire beaucoup d’habitants, mais il n’est pas question d’augmenter les sommes allouées à chaque famille déplacée. Concernant les autres villages où le montant des indemnisations est sujet de litige, je voudrais pousser les déplacés à signer un protocole d’accord avec le ministère. Nous sommes déterminés à travailler en toute conscience pour leur restituer leur capital dans les meilleures conditions. Je voudrais aussi réussir à résoudre le dossier du village de Brih qui est en suspens à cause de la Maison druze, entre autres (qui empiète sur un terrain appartenant à des chrétiens). Un terrain adjacent a été acheté pour permettre la construction d’une nouvelle Maison druze. Je propose aux habitants de Brih de me réunir avec eux pour la mise en place d’un dossier complet accompagné de propositions de solutions. Je suis prêt à présenter ce protocole à des pays arabes amis, afin qu’ils nous aident à récolter des fonds et à clore ce dossier. L’OLJ: Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans votre tâche ? R.A.: Le problème principal est que du sang a coulé dans la Montagne. La réconciliation ne peut se faire sans que chacun y mette du sien. Mais la dépendance des problèmes locaux de la conjoncture régionale rend les choses plus ardues. Les Libanais doivent savoir résister et faire preuve de résilience. Malheureusement, ils sont manipulés et radicalisés par des chefs de bandes qui politisent le dossier et leur promettent monts et merveilles. Il est aussi important d’envisager les choses avec réalisme, et de ne pas s’acharner à comparer la vie actuelle dans les villages de montagne à ce qu’elle était avant la guerre. Car aujourd’hui, la montagne n’exerce plus aucun attrait pour les jeunes. Ces derniers préfèrent la ville, dont ils profitent des avantages. Ils ne montent que rarement visiter leurs villages où ils ne passent même pas la nuit. Par ailleurs, le manque de fonds retarde la solution au problème des déplacés. L’État envisage d’obtenir ces fonds avec des bons du Trésor, mais vu la crise financière internationale, j’estime que ce n’est pas le moment de lancer une telle opération. Quant aux fonds, c’est auprès des États arabes que nous pourrions les trouver, mais à la condition de constituer des dossiers. De plus, nombre de demandes d’indemnisations ne sont pas accompagnées de titres de propriété. Il est vrai que dans beaucoup de villages, on ne donnait pas de titres de propriété, mais des attestations indiquant les limites d’un terrain. Il est d’ailleurs arrivé que des moukhtars peu scrupuleux distribuent de faux certificats de propriété moyennant une somme d’argent. Dans ce cas, il est difficile d’identifier le véritable propriétaire de certaines habitations. Enfin, il est important de savoir que l’argent du ministère ou de la Caisse des déplacés n’a pas uniquement servi aux indemnisations, mais à un certain nombre de projets de développement. Je noterais à titre d’exemple que cet argent a servi à la rénovation des façades de la rue principale de Aley. M. Joumblatt entendait ainsi développer le tourisme dans la région et créer une ambiance favorable au retour des gens.
Depuis qu’il est ministre des Déplacés, Raymond Audi, ex-PDG de la Bank Audi, voudrait débloquer les choses en adoptant
une politique de petits pas.

L’Orient-Le Jour : Où en est aujourd’hui le dossier des déplacés ?
Raymond Audi: Les réconciliations ont été conclues dans près de 85 % des villages où il y a eu accord de retour contre des indemnisations...