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Actualités - CHRONOLOGIE

Prix Fixation des marges commerciales : protection du pouvoir d’achat ou « aberration économique » ?

Mahmoud HARB Au nom de la lutte contre l’inflation, le ministre de l’Économie, Mohammad Safadi, a réinstauré un plafonnement des marges commerciales, suscitant les critiques de certains milieux économiques. Si l’Association des consommateurs s’est empressée de saluer la remise en place du système de marges fixes, datant de 1972 et suspendu par l’ancien ministre Sami Haddad, certains agents économiques en revanche ont jugé cette décision « aberrante et dépourvue de fondements scientifiques ». Une source économique, interrogée par L’Orient-Le Jour, souligne d’abord que la marge commerciale est la différence entre le prix de vente et le prix d’achat, sans prendre en compte les coûts de distribution et les différentes charges subies, comme les salaires, les loyers, les frais de stockage, les paiements d’intérêts, les frais de publicité, etc. Or « il est impossible de définir une marge uniforme par branche de produits commerciaux, poursuit la source précitée. À titre d’exemple, le ministre Safadi a limité la marge de la vente de tous les tissus et produits vestimentaires à 15 %. Sauf que comme tous les autres marchés, celui des vêtements est largement segmenté. Il existe des magasins situés dans des zones plus ou moins populaires et qui vendent des produits bas de gamme, fabriqués en Asie. D’autres boutiques, implantées dans des quartiers huppés, offrent des produits de luxe, importés d’Europe. Comment peut-on imposer la même marge de bénéfice aux unes et aux autres, eu égard à l’asymétrie de leurs charges respectives ? » s’interroge-t-elle. Sami Salmane, directeur de la compagnie de distribution Transmed, confirme cette analyse. « Notre politique commerciale repose sur l’élaboration d’une marge composite. Nous nous attribuons une marge faible qui ne dépasse pas les 1 ou 2 % sur les produits de première nécessité ou à forte élasticité (dont la demande est très sensible à la variation des prix). En contrepartie, nous prélevons une marge plus élevée sur les produits haut de gamme ou à faible élasticité. L’État ne peut pas nous imposer des marges uniformes pour tous les produits. C’est une aberration économique qui a été mise en place à la veille des élections, pour faire croire à la population qu’on est en train de régler le problème de l’inflation importée », s’indigne-t-il. Pour sa part, une source économique officielle qui a requis l’anonymat « pour ne pas lancer une polémique avec Mohammad Safadi » note que la fixation des marges commerciales entravera l’adhésion du Liban à l’Organisation mondiale du commerce, qui interdit toute forme de fixation des prix et des marges, et portera atteinte à l’image du Liban à l’étranger. « Cette décision engendrera une dégradation du classement du Liban en matière d’environnement d’affaires et d’investissement. Elle découragera les investissements des sociétés étrangères au Liban, car les compagnies internationales ont pour habitude de suivre à la lettre les réglementations des pays où elles s’implantent », affirme-t-elle. Cela risque en revanche de ne pas être le cas des compagnies locales. La source précitée relève en effet que « de nombreux magasins, comme les grandes surfaces, proposent à leur clientèle une large gamme de produits. La marge sur les huiles par exemple est limitée à 10 %, contre 15 % pour les fruits et légumes. Or pour que la décision du ministre soit correctement appliquée, il faudrait que ce type de magasin tienne une comptabilité indépendante par branche de produits, ce qui est totalement impossible ». De toutes les manières, il ne fait aucun doute que les moyens financiers et humains mis à la disposition du ministère ne lui permettent pas de surveiller et de contrôler l’ensemble du marché. « Prendre des décisions dont on est incapable d’assurer le suivi ne fera que renforcer la corruption et le paiement de pots-de-vin. Les marges et les prix doivent être déterminés par le libre jeu de la concurrence et par l’équilibre de l’offre et de la demande. Si on les fixe par décrets, on risque aussi de se retrouver confrontés à une pénurie, une détérioration de la qualité ou à une aggravation de la fraude et au développement d’un marché parallèle, comme cela a été le cas avec le poulet », souligne la source. La fixation du prix de vente du poulet entier avait en effet entraîné sa disparition et son remplacement par d’autres formes de poulet, dont les prix étaient libres. Mais cela fait désormais partie du passé, puisque Mohammad Safadi a également fixé les prix de vente du poulet désossé ou en morceaux, toujours au nom de la protection du pouvoir d’achat, surtout en plein ramadan. Or selon le président de l’Association des agriculteurs, Antoine Hoayeck, les prix définis par le ministre sont égaux, voire inférieurs au coût de production du poulet local. « La fixation d’un prix comportant une marge étroite engendre une concentration du marché. Dans cette hypothèse, seuls les grands producteurs pourront réaliser des profits, grâce à leurs économies d’échelle. Ils absorberont donc leurs petits concurrents ainsi que les éventuels nouveaux intrants sur le marché. Si un jour le décret définissant les prix est abrogé, on risque de se retrouver face à une structure oligopolistique qu’il serait difficile de briser », affirme M. Hoayeck, ajoutant que « la mesure risque aussi de provoquer une détérioration de la qualité des produits, l’ancrage des prix décourageant les efforts des entreprises à ce niveau ». Nous avons tenté de joindre le ministère de l’Économie pour obtenir son avis sur la question, mais en vain. Seul un proche du ministre Safadi nous a expliqué que les dernières décisions que ce dernier a prises en termes de marges et de prix « visent à limiter la dégradation des conditions sociales du pays ». Et cette source de conclure : « Le libéralisme économique doit être encadré par des règles et des institutions de surveillance. Pourquoi ceux qui nous accusent d’avoir porté atteinte à la liberté du marché ne protestent-ils pas contre l’ancrage du taux de change de la livre ? »
Mahmoud HARB

Au nom de la lutte contre l’inflation, le ministre de l’Économie, Mohammad Safadi, a réinstauré un plafonnement des marges commerciales, suscitant les critiques de certains milieux économiques.


Si l’Association des consommateurs s’est empressée de saluer la remise en place du système de marges fixes, datant de 1972 et suspendu par l’ancien ministre...