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Actualités - OPINION

En quête dans la Ville éternelle

Pour l’Assomption (15 août) et la Sainte-Hélène (18 août), je résolus d’aller à Rome. Certes, ce n’était pas mon premier voyage dans la Ville éternelle, mais je voulais à nouveau faire le lien entre la Rome antique païenne et la Rome chrétienne, et cela à travers les figures de la Vierge Marie et sainte Hélène. L’une ayant porté le Christ Sauveur et l’autre Constantin l’empereur qui, à travers sa conversion après sa victoire du pont Milvius sur Maxence en 312 («?Par ce signe, tu vaincras?»), fait consacrer le christianisme en Occident et fonde peu après Constantinople (324), devenue plus tard, pour plus de mille ans, capitale de l’Empire romain d’Orient (395-1453). La Vierge (à l’origine femme humble et pieuse) porte son Fils et le recueille à Sa mort à Sa descente de croix (Pieta à Saint-Pierre de Rome), sainte Hélène (à l’origine fille d’étable) va retrouver trois siècles plus tard la Sainte Croix à Jérusalem et la ramène (327) à son fils triomphant et converti (14 septembre, élévation de la Sainte Croix). Les figures de ces deux femmes me fascinaient car, comme toutes les mères, elles sont puissantes et agissent en silence, elles créent le lien de la vie et de la mort, et portent en elles l’espoir et la douleur du monde. J’avais proposé à ma propre mère de m’y accompagner en prévision de son anniversaire, le 7 septembre, fête de la Sainte Reine et veille de la nativité de Notre-Dame («?les cloches sonnaient au soir la fête du lendemain?») et nous nous apprêtions au retour à nous recueillir pour le 25e anniversaire de la disparition de mon grand-père presque centenaire, journaliste engagé et poète érudit arabophone du début du siècle dernier qui composa peu avant sa mort (5 septembre 1983) un hymne à la Sainte Croix («?Élève-toi, élève-toi, ô Croix?»). Cet hymne fut chanté a cappella dans une église silencieuse et solennelle à ses propres funérailles, à celles de son fils aîné (le même jour, vingt-quatre années plus tard) et chaque année depuis un quart de siècle lors d’une procession que les gens de mon village accomplissent en gravissant la plus haute colline de Jezzine (construite au creux de deux vallées), sur laquelle un grand-oncle visionnaire a fait ériger une croix lumineuse. Bien sûr, au-delà de ma modeste histoire personnelle, je voulais revivre, par le symbole et le renvoi d’images, l’histoire d’une minorité d’Orient et son lien avec l’Empire romain qui bascule avec Constantin et devient pour «?l’éternité?» l’Occident. J’hésitais pour le logement entre la Via Cicerone (célèbre tribun romain qui consacra Hérodote comme père de l’histoire car, par ses enquêtes, il sortit le discours grec des mythes d’Homère) à proximité du Vatican, et la Via Cavour (important artisan de l’unité de l’Italie) qui relie le Colisée à Saint-Pierre aux liens (statue de Moïse) et Sainte-Marie Majeure (une des quatre basiliques majeures du Vatican avec Saint-Pierre, Saint-Jean-de-Latran et Saint-Paul Hors les Murs?; les trois basiliques mineures jubilaires étant Sainte-Croix de Jérusalem où sainte Hélène plaça les reliques, Saint-Laurent Hors les Murs et Saint-Sébastien et les catacombes)?: la tradition des sept églises remonte à saint Philippe Neri (1515-1595). Rome (fondée en -753 par Romulus) se divise en une prolifération de palais, de places et de fontaines (Navone, Trevi, Tritone, Di Spagna, Campo dei Fiori…), une multitude d’églises et basiliques qui constituent de véritables musées gratuits et ouverts toute la journée (la plus grande concentration d’églises dans une ville au monde, presque mille) et un foisonnement de vestiges antiques souvent transformés en églises (panthéon devenu Sainte-Marie des Martyrs et où repose Victor Emmanuel II, premier roi de l’Italie unifiée, 1871-1878, dont le monument national trône place de Venise avec l’autel de la patrie et la tombe du soldat inconnu?: il vittoriano). Tout cet ensemble produit une incroyable, éblouissante, écrasante et exaltante sensation de grandeur et de puissance spirituelle et temporelle avec deux grands pôles, le Colisée (avec son environnement?: l’arc de Constantin, le Forum romain, le Palatin, le Capitole, la colonne de Trajan avec la statue de saint Pierre, la colonne de Marc Aurèle avec la statue de saint Paul, les statues des César sur la voie impériale tracée par Mussolini) et le Vatican (siège du 265e successeur de saint Pierre avec tout le réseau de cathédrales et basiliques). Par ses conquêtes, Rome (république puis empire) devait petit à petit gouverner le monde pendant huit siècles (- 338, Rome fait l’unité du Latium, 476, chute de l’Empire romain d’Occident). Sainte Hélène, à travers son fils Constantin, joue le rôle d’intermédiaire et de passeur. Et moi je venais d’une chaîne de montagnes qui a gardé depuis quinze siècles ce souvenir lointain et toujours vivace du lien de l’Occident et de l’Orient. Ma mère, préoccupée par la situation d’insécurité et de précarité au Liban, déclina l’invitation. À travers ce périple, j’avais entrepris une quête de l’origine et du lien (dans l’impossibilité de sonder la destinée), la destination étant la même pour tous («?Tous les chemins mènent à Rome?»). Certes, l’Assomption de la Vierge (15 août) et sa Nativité (8 septembre), la 25e commémoration de la mort de mon grand-père (5 septembre) et l’anniversaire de ma mère (7 septembre), la Sainte-Hélène (18 août, que je célébrais seul pour la première fois après la disparition prématurée de ma grande amie Léna) et la fête de la Sainte Croix (14 septembre, fête symbolique et douloureuse pour les maronites du Liban qui ne savent plus à quel saint se vouer) constituaient des éléments émotionnels qui m’obligeaient à réinscrire mes symboles dans la finitude, la rationalité, la relativité, l’espace et le temps, l’histoire et la géographie. Il y avait, d’un côté, toutes les figures des pères (mythiques, religieux ou historiques) et, de l’autre, les images des mères (mythiques, religieuses ou historiques) et j’étais pris entre ces deux dimensions incertaines de mon humanité (une mythique, affective, irrationnelle et une autre historique, rationnelle, relative, calculée). Il me fallait maintenir la superposition de la réalité et du symbole, car les réalités sont diverses, parfois complémentaires et souvent contradictoires, et les symboles qui en sont issus (archétypes) tendent à être répétitifs et universels. C’est ce passage périlleux du monde des objets (matière) au monde des idées (esprit) qui me paraissait, sur terre et dans la Ville éternelle, merveilleux et désespéré. Bahjat RIZK
Pour l’Assomption (15 août) et la Sainte-Hélène (18 août), je résolus d’aller à Rome. Certes, ce n’était pas mon premier voyage dans la Ville éternelle, mais je voulais à nouveau faire le lien entre la Rome antique païenne et la Rome chrétienne, et cela à travers les figures de la Vierge Marie et sainte Hélène. L’une ayant porté le Christ Sauveur et l’autre Constantin...