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Actualités - OPINION

Géorgie, Liban?: une même fatalité??

«Faire usage de force disproportionnée et être ensuite le bienvenu dans les cercles des institutions internationales. Cela ne se passera pas comme ça?!?» Condoleezza Rice. Rassurez-vous tout de suite, ce n’est pas pour le Liban que la chère Condie monte ainsi au créneau. Nous sommes en effet en août 2008, et la secrétaire d’État américaine s’apprêtait à rencontrer ses homologues de l’OTAN et de l’UE à Bruxelles sur fond de crise géorgienne. L’attitude de l’État hébreu en 2006 ne différait cependant en rien de celle que la Russie explicite dans la Pravda?: «?L’incursion en profondeur de nos troupes vise à détruire le plus possible l’infrastructure militaire géorgienne, de façon à ce que toute réhabilitation soit impossible.?» La position des États-Unis, qui ont rameuté leurs alliés pour défendre la Géorgie, est quant à elle à l’opposé de celle affichée à propos du Liban, deux ans plus tôt, qu’on peut au mieux qualifier de neutralité bienveillante face à l’agression d’Israël contre le pays du Cèdre et sa détermination implacable à détruire son infrastructure et à meurtrir sa population. Pour dresser la toile de fond du conflit sanglant en Géorgie, il faut considérer trois éléments?: d’abord, un pétrole dont le prix au baril entame pour diverses raisons une courbe baissière?; ensuite, le fait que la Russie en est le deuxième producteur mondial et a besoin des revenus qu’elle en tire pour refinancer la modernisation accélérée, entre autres, de son outil militaire?; et, enfin, que les pipelines financés par les sociétés occidentales et qui traversent la Géorgie de part en part pourront desserrer à terme l’étau énergétique russe qui étrangle l’Europe, en la reliant directement aux champs de gaz et de pétrole du Turkménistan et de l’Azerbaïdjan. La Géorgie est en effet traversée par deux oléoducs et un gazoduc qui aboutissent en Turquie et dans le port géorgien de Supsa (toujours bloqué par la Russie)?; des artères conçues pour contourner la Russie et amener de l’Azerbaïdjan et du Turkménistan vers l’Ouest du gaz ainsi que 850?000 barils de pétrole par jour. Pour tout cela, et parce qu’elle a élu un président de nationalité et d’éducation américaines, soutenu par ses troupes la présence US en Irak, et confié aux États-Unis le soin de former ses troupes d’élite, la Géorgie en arrive à détenir, en menaçant de la sorte l’hégémonie russe, une position charnière sur la carte internationale de l’énergie. Une position intenable au vu de la faiblesse militaire géorgienne et de l’hésitation de l’OTAN à lui venir franchement en aide face à l’ours russe qui se sent menacé et qui montre ses griffes. Pour étayer la logique de ces événements, il faut considérer aussi que le géant britannique BP est depuis mai dernier empêtré dans un bras de fer avec la Russie pour le contrôle de TNK-BP, une joint-venture entre BP et AAR, une compagnie qui représente un groupe de milliardaires russes qu’on dit très proche du régime. Or, un certain M. Medvedev a prêté serment le 13 mai dernier pour devenir le nouveau président de la Russie, et persévérer dans la même ligne nationaliste pure et dure de son prédécesseur, Vladimir Poutine, devenu pour l’occasion Premier ministre. Pour faire ses preuves dans cette dispute, le nouveau maître du Kremlin a choisi la confrontation et a poussé le PDG anglais de TNK-BP à s’exiler de Moscou, en usant de méthodes de harcèlement dignes d’une mauvaise série télévisée. Or TNK-BP venait juste d’annoncer qu’elle avait payé 30 milliards de dollars d’impôts en 2008, une hausse de 50?% en comparaison avec 2007?; et la preuve d’une santé insolente et d’une croissance agressive dont jouit le secteur pétrolier qu’il faut absolument ramener dans le giron national. Cette mainmise à peine voilée a provoqué l’irritation de la place boursière londonienne dont BP est l’un des fleurons. Les banques de la City eurent vite fait d’émettre des réserves, sinon des avis franchement défavorables à l’investissement en Russie. Cela contribua fortement à faire plonger les cours de la Bourse moscovite, qui avaient culminé à la mi-mai dernier, jusqu’à leur niveau le plus bas depuis un an. Sans trop verser dans les théories de complot, on ne peut que constater que BP, qui a construit pour 4 milliards de dollars l’oléoduc Baku-Tbilissi-Ceyhan (Turquie) qui contourne la Russie, est ainsi directement touchée par les événements en Géorgie. Pour compléter ce tableau, il faut y ajouter l’avis amical que M. Medvedev donna, à en croire le très sérieux magazine The Economist, aux Azéris et aux Turkmènes de dérouter leur gaz vers la nouvelle ligne Baku-Novorossisk construite entièrement en territoire russe. Entre-temps, les civils géorgiens de tous bords, excités par des propos nationalistes irrationnels, tombent des deux côtés, victimes d’une situation qui les dépasse. La hausse du baril de pétrole depuis le début de ce conflit a, quant à elle, largement financé la campagne militaire de la Russie, deuxième producteur mondial de pétrole après l’Arabie saoudite. La même Russie qui, ne l’oublions pas, reste importatrice nette de céréales de l’Occident et cherche à balancer cette dépendance en détenant un verrou énergétique?: une situation qui donne encore plus de sens à la position stratégique russe arc-boutée sur un conflit dans lequel la sympathie internationale est massivement allée à la petite Géorgie. Observons qu’entre-temps, la Pologne s’est empressée de signer un accord de bouclier antimissile avec les États-Unis, défiant ainsi ouvertement la Russie qui s’y était auparavant farouchement opposée. On ne peut que remarquer en passant l’inefficacité, face au rouleau compresseur russe, de l’aide militaire, insignifiante, apportée par les USA à la Géorgie en temps de paix?; et son absence retentissante en temps de guerre?! Également, comment ne pas voir dans la décision d’envoyer un navire de guerre américain en mer Noire une piètre tentative de consolider vaille que vaille un pouvoir vacillant – et le garder ainsi en vie jusqu’aux prochaines élections, qui sait?? L’exemple du Liban se répétant ainsi dans le Caucase?! Mais quid du Liban dans tout cela?? Il est clair que ce petit pays est devenu, à cause du succès de sa résistance (pas uniquement celle du Hezbollah), l’obstacle principal à une paix au Moyen-Orient qui ne prendrait pas ses intérêts en considération, et qui ne le paierait pas en retour pour tous les sacrifices qu’il a consentis. Cette paix avec Israël devra nécessairement inclure dorénavant le Liban, à pied d’égalité avec la Syrie, une situation aussi intenable, pour reprendre la même expression, autant pour Israël que pour la Syrie, que l’était, pour la Russie, la montée en Géorgie de l’influence américaine. Car la Résistance nationale libanaise, dans la guerre comme dans les négociations, a profondément altéré le schéma habituel qui voyait le Liban quémander une reconnaissance par la Syrie de sa souveraineté et de son indépendance, et via l’Occident et l’ONU, le respect par Israël de son intégrité territoriale. Elle lui a conféré un pouvoir de nuisance envers les protagonistes traditionnels du conflit levantin?; pouvoir qu’il urge objectivement de neutraliser dans les plus brefs délais et de la manière la plus radicale. Les dissensions internes dont nous sommes témoins prennent ainsi toute leur place et leur véritable sens dans ce puzzle moyen-oriental. Il est en fait nécessaire de briser la volonté libanaise pour éliminer un partenaire avec qui il faudrait partager le gâteau de la nouvelle paix qui s’annonce. Or le Liban, conforté par sa confiance dans sa capacité à tenir tête à l’imposante machine de guerre d’Israël, s’entête plus que jamais à opposer un refus sans concessions aux divers projets de diluer les réfugiés palestiniens dans son patchwork national. Une position qui obligerait les autres pays de la région à des concessions et des arrangements dont ils se passeraient volontiers, et les priverait d’un terrain qui leur permettait de passer leurs nerfs en toute impunité. Surtout que ces réfugiés, qui vivent dans une misère qui ne cesse de rappeler au monde la criante injustice qu’Israël leur a fait subir, sont devenus un milieu de recrutement facile pour le monde opaque et pour le moins douteux du fondamentalisme religieux, qui montre de plus en plus facilement ses crocs. Il est important et urgent de réaliser que nous ne pouvons compter, aujourd’hui encore moins qu’hier, sur l’appui de tierces puissances pour enrayer une éventuelle agression israélienne que tous les propos récents de ses dirigeants ne font qu’étayer jour après jour?; ou pour arrêter un conflit civil s’il venait par malheur à éclater. Une agression et un conflit qui seraient malheureusement de plus en plus tolérés sinon souhaités par quelques-uns pour soulager d’inavouables irritations d’inspiration confessionnelle. Parmi les manifestations nationales de ces irritations?: le retour d’un discours fondamentaliste mis en veilleuse depuis la bataille du camp de Nahr el-Bared, qui surprend autant par sa violence que par sa véhémence, et qui pose aux forces de sécurité un problème dont elles se seraient bien passées. Le rejet brutal du récent accord qui prétendait réduire les tensions intermusulmanes est, quant à lui, de bien mauvais augure pour la solidité du front intérieur face aux visées d’Israël. Sans oublier d’ailleurs la pathétique et malvenue dispute qui en serait arrivée à soi-disant opposer grecs-orthodoxes et sunnites autour de l’installation du vice-Premier ministre au Grand Sérail. Cette capacité à résister et à imposer un certain équilibre de la terreur, en infligeant des pertes significatives à Israël, était d’abord une victoire sur nous-mêmes. Cette victoire fut largement démontrée et durement gagnée au prix d’une dévastation sans précédent de l’infrastructure du Liban, qui n’a eu d’égale que la réussite de la Résistance nationale populaire et militaire, qu’elle soit institutionnelle ou guérilla, à faire face à l’agression et à refuser de céder aux sempiternels démons de la discorde. Il serait dommage aujourd’hui, sous le couvert de petites luttes d’influence et de mesquins calculs électoraux, de perdre ce formidable acquis et de glisser de nouveau dans une tourmente sans fin. Peut-on seulement faire entendre raison aux têtes brûlées de tous bords et leur rappeler combien il est inutile de parier sur l’éradication d’une des composantes libanaises au profit d’une autre?? Saura-t-on imposer un État de droit où les criminels sont sévèrement et rapidement punis au lieu d’être protégés?? Le général Chéhab l’avait bien fait au début de son mandat, appuyé par son éternel adversaire Raymond Eddé, ministre de l’Intérieur de l’époque, qui avait exigé que soient immédiatement exécutés les fauteurs de troubles confessionnels, à quelque bord qu’ils appartiennent. Aussi fragile qu’elle puisse être, l’unanimité, qui a porté le général Sleiman à la présidence de la République, reste une chance qu’il ne faut absolument pas gâcher, pour nous ressaisir et pour protéger de la haine et de l’envie de nos voisins le germe d’union nationale qui essaie de percer à travers le glacis de nos rancœurs réciproques et de nos vaines rivalités. Sachons la prendre, cette chance, et éviter ainsi de voir nos enfants nous lancer un jour au visage l’accusation d’être responsables de l’assassinat d’un pays qualifié par Jean-Paul?II de «?message pour l’humanité?». Wassim HENOUD
«Faire usage de force disproportionnée et être ensuite le bienvenu dans les cercles des institutions internationales. Cela ne se passera pas comme ça?!?» Condoleezza Rice.
Rassurez-vous tout de suite, ce n’est pas pour le Liban que la chère Condie monte ainsi au créneau. Nous sommes en effet en août 2008, et la secrétaire d’État américaine s’apprêtait à rencontrer...