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Actualités - OPINION

LA CHRONIQUE de Nagib Aoun Enfants de la double négation

«Confessionnalisme : système politique du Liban qui répartit entre les diverses confessions les sièges au Parlement et les postes dans les grandes fonctions publiques. » L’implantation de la religion dans la vie politique et administrative, comme l’explique en une phrase le Petit Larousse qui nous a également fait cadeau du terme « libanisation » de triste mémoire. Confessionnalisme : un chef-d’œuvre d’équilibre, disaient certains, un message universel, renchérissaient les autres, la preuve par quatre millions (le nombre supposé des Libanais résidents) que plusieurs communautés peuvent vivre en bonne entente et constituer un État, une nation, clamaient, unanimes, les parrains de la fameuse formule libanaise. L’État hébreu, aujourd’hui, en rit, les Libanais en pleurent, et les voisins proches ou lointains, arabes ou perse, à défaut d’en tirer les conclusions, en cueillent les fruits pourris. Les émissaires occidentaux, eux, Bernard Kouchner en tête, se contentent, pour l’instant, de constater les dégâts au chevet de l’éternel malade. Un petit tour et puis s’en vont, l’air de dire : « On restera à votre écoute, mais de quel bois vous chauffez-vous donc ? » Incorrigibles, les Libanais ? Allons donc ! Le ver était dans l’écorce dès le départ et tous ont fait semblant, des décennies durant, de croire au miracle. Des accolades par-ci, des morceaux recollés par-là et toujours ce même leitmotiv, ce même gros mensonge exhumé à chaque rupture, à chaque réconciliation : ni vainqueur ni vaincu. Les rancœurs, entre-temps, s’accumulaient, les frustrations aussi… et quand l’humiliation devient insupportable, quand l’intégrisme pointe le bout du nez, renifle dans les bas-fonds de la misère confessionnelle, on ne s’explique plus alors à coups de poing, mais à coups d’obus. On ne s’identifie plus au pays, mais à la communauté. Ce n’est plus l’intérêt de l’État qui prime, mais celui du clan, de la confession à laquelle on appartient. Avant d’être libanais, on est alors chiite ou sunnite, druze ou chrétien. Hier, on accusait les maronites de vouloir se forger un « marounistan », aujourd’hui, c’est un « chiistan » qui se développe, un « sunnistan » qui se fraye un pénible chemin, un « druzistan » qui se calfeutre, qui se recroqueville. Mais attention, l’appartenance à la « mère nourricière » n’est jamais remise en question. Le cèdre, tous veulent le défendre, tous veulent le préserver, mais chacun à sa façon, selon ses propres croyances ou convictions. Un cèdre éclaté dont les branches tombent, inertes, dans l’escarcelle de chaque communauté. Le ver, je vous l’avais bien dit, est dans l’écorce depuis la nuit des temps… depuis que Salomon fit bâtir le temple de Jérusalem avec les cèdres du Liban. *** Dans les faits, où en sommes-nous aujourd’hui ? Un président élu à l’arraché, mais qui n’entend pas se laisser faire, un gouvernement enfanté au forceps et qui ne vivra pas plus de dix mois, une armée qui s’évertue de rester au-dessus de la mêlée, mais qui se fait inexorablement piéger par les milices de quartier : une première fois sur l’ancienne route de Saïda, entre Chiyah et Aïn el-Remmaneh, une seconde fois dans les dédales de Beyrouh-Ouest, une armée harcelée à Tripoli et à Tarik Jdidé parce qu’elle n’est pas intervenue pour empêcher l’affront, l’humiliation de mai dernier. Le Hezbollah chiite, d’un côté, les salafistes sunnites, de l’autre, un parti qui ne jure que par le wali el-fakih, d’un côté, une mouvance extrémiste qui ne rêve que d’en découdre avec le premier, de l’autre. Et, cerise sur le gâteau : une partie chrétienne, maronite de surcroît, qui se met en tête de défendre les droits de la communauté orthodoxe « lésés par le sunnisme envahissant ». Michel Murr en a soudainement perdu et la voix et les repères. Une campagne qui n’a pour seul résultat que de réveiller les antagonismes islamo-chrétiens, maronito-sunnites plus précisément, ceux-là mêmes que l’accord de Taëf avait réussi à éteindre. Une démagogie à relents électoraux qui a emprunté hier les chemins tortueux du Liban-Sud et qui ouvre largement la porte à la grande interrogation : dans ce climat pernicieux, fait de soif de vengeance, de haines communautaires et d’arrière-pensées sournoises, quelle autorité peut garantir le succès, sinon la tenue même de l’échéance électorale ? *** Il n’y a pas si longtemps de cela, Georges Naccache avait lancé sa phrase célèbre : deux négations ne font pas une nation. Ces deux négations ont fait, depuis, beaucoup d’enfants, tous animés des mêmes fureurs confessionnelles, des mêmes haines primitives. Allez donc voir le film égyptien Hassan wa Morcos qui passe actuellement en ville. Effrayant de vérité : les dérives confessionnelles dans toute leur perversité, la bêtise humaine dans toute sa nudité. Mais y a-t-il encore quelqu’un au Liban pour entendre raison ? Nagib AOUN
«Confessionnalisme : système politique du Liban qui répartit entre les diverses confessions les sièges au Parlement et les postes dans les grandes fonctions publiques. » L’implantation de la religion dans la vie politique et administrative, comme l’explique en une phrase le Petit Larousse qui nous a également fait cadeau du terme « libanisation » de triste...