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Actualités - CHRONOLOGIE

Baalbeck Hasmik Papian, une divine diva…

Un grand piano à queue, au couvercle légèrement ouvert, en bois noir lustré, où derrière les touches d’ivoire officiera en toute efficacité Avo Kouyoumdjian, trône au fond du temple de Bacchus. Les chauves-souris volent en rase-mottes dans le velours de la nuit de cet imposant vestige romain au plafond décapité, laissant palpiter à ciel découvert des étoiles à la lueur vacillante. Les flaques des spots lumineux sur les vieilles pierres sculptées, tout encore engourdies par le silence d’une journée écrasante de chaleur, réveillent la poussière du temps. Des pierres certes ensommeillées mais parfaitement aux aguets… Aux aguets de Hasmik Papian, la cantatrice à la voix de cristal, la diva aux mille vocalises et aux mille succès d’Erevan à Paris en passant par Milan, Vienne, New York et récemment les Chorégies d’Orange. La «?divine soprano?», comme la qualifient les élogieux extraits de presse qui la précèdent, surgit sur scène sous une pluie d’applaudissements. La démarche altière, un port de reine conciliant grâce et beauté, sourire aux lèvres, vêtue d’une robe longue noire fourreau en satin avec épaules et bras nus, la cantatrice, qui affronte avec la même assurance aussi bien Aïda que la Norma, est devant l’auditoire du Festival de Baalbeck. Un auditoire religieusement recueilli et prêtant une oreille attentive aux modulations belcantistes d’une diva au chant d’or et de velours, de feu et de passion, mais aussi de tendresse et d’une certaine grâce tout en douceur impalpable…. Un répertoire riche mais accessible aux plus profanes des belcantistes est concocté avec un subtil doigté par une soprano rompue aux feux de la rampe. Un répertoire varié conjuguant en toute simplicité l’attachement à des arias connues du grand public, mais réservant aussi quand même une bonne place à une virtuosité attestant d’une fine culture musicale ainsi que de remarquables capacités et prouesses vocales. Une voix ductile, au souffle puissant… De Haendel à Puccini en passant par Mozart, Donizetti, Rossini et Verdi, tous les miroitements, toutes les métamorphoses, tous les masques, tous les mythes, toutes les mélancolies, tous les élans, tous les contrastes, toutes les fantaisies du cœur et de l’esprit sont permis… Des rigueurs classiques aux langueurs romantiques avec un soupçon d’éclats modernes, les siècles se télescopent, les frontières s’effacent, les mélodies s’enchaînent, la fraîcheur de la nuit change de couleur, de tonalité, de vibration… Toutes les intermittences du cœur et les cris de la passion ont place dans ce sublime gosier aux trilles les plus aiguës, aux intonations les plus intenses, aux timbres les plus troublants, aux modulations les plus caressantes. De l’ouverture avec l’aria de l’enchanteresse Alcina ( ah mio cor, schernito sei) de G.F. Haendel à la délicate invocation Vissi d’arte de la Tosca de Puccini, c’est un même chant pour les amours contrariées et malheureuses, un bilan et un tour d’horizon de la vie sentimentale dans tous ses impondérables... Chant vibrant, se prolongeant sous des transformations multiples, pour une voix intense et ductile, une voix qui semble défier le temps malgré les quarante ans de la diva toujours domptant une technique vocale haut de gamme et exceptionnelle. De la complainte d’Électre, fille d’Agamemnon, dans l’Idoménée de Mozart aux épanchements et imprécations de Leonora dans La force du destin de Verdi, en passant par les cruelles douleurs de la Reine Elisabeth devant la trahison de son favori Robert Devereux, le comte d’Essex, de Donizetti, ou les soyeux et ondoyants élans d’espoir de Mathilde dans le légendaire Guillaume Tell, le dernier opéra de Rossini, le chant dans ses diverses ramifications et métamorphoses a surtout ici la vertu d’un ardent passeur d’émotion. Pour la seconde partie du programme, presque entièrement consacrée à Giacomo Puccini, Hasmik Papian a donné toute l’amplitude d’une voix au souffle intense et puissant, tout en délicate nuance. De la rêveuse et aérienne aria de Madga (chi il bel sogno), de la Rondine aux demandes éplorées de Lauretta à son père (oh mio babbino caro) dans Gianni Schicchi, en passant par les vapeurs saturantes, le triste vague à l’âme et les espoirs fous, par une journée radieuse, de Un Bel di vedremo de Madame Butterfly et la célèbre et admirable aria ( Vissi d’arte) de la Tosca, tout l’art lyrique, de roulades en bravoure de contre-ut, de l’un des plus brillants compositeurs des XIXe et XXe siècles, est sublimement représenté par une vraie déesse du chant. Profondément conquis, le public a fait une ovation sensationnelle à la cantatrice qui tire avec élégance sa révérence en gravissant les marches d’un temple immémorial. En bis, abandonnant le bel canto italien (pour y revenir quand même avec une aria d’Adrienne Lecouvreur de Cilea), Hasmik Papian se lance, à travers un bouquet de mélodies aux fragrances d’une douceur suave, dans l’âme musicale de son pays d’origine, l’Arménie… Entre la passion d’Anouche d’Armen Tigranian et une berceuse d’une dissolvante tendresse, voilà le sillage le plus enivrant des œuvres de la terre de Ganatchian et de Komitas qui flotte comme une poudre scintillante dans l’air…Un nouveau tonnerre d’applaudissements pour un récital d’une souveraine beauté dont on n’est guère rassasié… Edgar DAVIDIAN
Un grand piano à queue, au couvercle légèrement ouvert, en bois noir lustré, où derrière les touches d’ivoire officiera en toute efficacité Avo Kouyoumdjian, trône au fond du temple de Bacchus. Les chauves-souris volent en rase-mottes dans le velours de la nuit de cet imposant vestige romain au plafond décapité, laissant palpiter à ciel découvert des étoiles à la lueur...