Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

IMPRESSION Naphtaline Fifi ABOU DIB

Aux écoliers comme aux prisonniers l’enfermement aiguise les sens. Coupé du monde extérieur on a le flair en alerte et c’est à l’odeur qu’on reconnaît les saisons. Tout à coup le vieux frangipanier du collège déverse le trop plein d’une floraison frénétique. Le parfum lourd des pétales charnus redouble de vigueur au contact du sol chauffé à blanc. Il remonte par bouffées jusqu’aux premières fenêtres, avec des accents de soleil et de mer. Les gardénias sont déjà éclos dans leurs pots de fortune. Leur senteur vive trompe la chaleur quand le fond de l’air, lui, a déjà quelque chose de fané. Mais ce n’est pas encore l’été. L’été viendra dans un sac en papier, sous la forme d’une neige odorante agglutinée en flocons cristallins et pesants. Alors commencera le rituel joyeux et funèbre qui consiste à préparer la maison pour la fermeture saisonnière. Magique naphtaline annonciatrice de liberté, d’épaules nues, de peau cramée, de chevilles écorchées aux pédales des bicyclettes ; du souffle bourdonnant des pinèdes, de la rumeur obsédante des vagues et du ballet des crabes sur le sable durci à la tombée du jour. Au début, la naphtaline sent le départ. Elle a le parfum frais des commencements, des pages de garde, des premiers matins. On la verse en pluie sur les tapis qu’on enroule ensuite avec le geste précis de l’embaumeur. Bientôt, c’est toute la maison qui sera momifiée, cryogénisée dans ces cristaux éclatants qui exhalent leur pétrole, figée sous les housses, bâillonnée, contrainte au silence, au repli, à l’attente ; condamnée à l’intrusion des mites et des cafards, et des insectes familiers que la solitude invite. Mais la naphtaline veille à la tranquillité des lares. Elle garde les bibliothèques des xylophages indiscrets. Son odeur répulsive tient à distance les hordes minuscules que naguère les bruits inquiétaient. On lui confie la demeure et l’on claque la porte sans se retourner. Sans se retourner ! Il sera toujours temps, à la rentrée, d’ouvrir le sarcophage tranquille rendu plus lourd par cette odeur de vieux, de seul, de renfermé, cette odeur triste des objets qui se croient oubliés. Après l’absence, la naphtaline sent le désarroi. Elle flotte, dématérialisée. Les flocons ont fondu, mêlés aux fibres de laine, fixés dans la poussière. Le parfum piquant, légèrement euphorisant des débuts laisse place à un relent gras de pompe à essence et de poil mouillé. Les premières notes olfactives de la rentrée n’ont rien d’avenant. Il faudra à grand air et à grande eau chasser cette touffeur âcre qui vous tient sur le seuil, intimidé comme un étranger, tendu comme un dompteur, godiche comme un revenant.
Aux écoliers comme aux prisonniers l’enfermement aiguise les sens. Coupé du monde extérieur on a le flair en alerte et c’est à l’odeur qu’on reconnaît les saisons. Tout à coup le vieux frangipanier du collège déverse le trop plein d’une floraison frénétique. Le parfum lourd des pétales charnus redouble de vigueur au contact du sol chauffé à blanc. Il remonte par...