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Quels emplois pour quelles jeunes recrues ?

Nouveaux diplômés et patrons évoquent leur quête, leurs attentes et leurs déceptions. Avec toute la bonne volonté du monde, les deux mondes ne se rejoignent pas toujours. Ariane vient d’obtenir sa licence en publicité et vente, après trois ans de cours théoriques et quatre stages en entreprise. Depuis le mois de février, elle a déposé son CV un peu partout, dans des agences de publicité et des entreprises de marketing. Aujourd’hui, après quelques entrevues, elle attend toujours que ses demandes aboutissent. Le problème est que les offres ne sont pas toujours intéressantes. Ici, on lui propose un salaire mensuel de 600 dollars. Là, on veut la tester durant six mois de stage intensif avant de prendre la décision de l’embaucher. La jeune femme tombe de haut. On lui avait pourtant laissé entendre, à l’université, qu’elle pouvait prétendre à un salaire de 1?200 à 1?500 dollars à ses débuts. Mais elle ne se décourage pas pour autant et persévère jusqu’à trouver l’emploi qui l’intéresserait le plus, histoire de se faire une bonne expérience avant d’entamer un mastère. «?Je ne m’attends pas à grand-chose, je veux pouvoir faire mes preuves et entamer une carrière, mais je refuse de me faire exploiter?», dit-elle. Mohammad a fait des études d’Hotel Management. Attiré par le domaine de l’organisation d’événements et les relations publiques, il ambitionne d’ouvrir un jour sa propre entreprise au Liban. Mais dans l’attente, après avoir obtenu sa licence, il cherche à acquérir une solide expérience avant de suivre un mastère. «?J’ai envoyé mon CV à une quarantaine d’entreprises depuis le mois de janvier, au Liban et à l’étranger. J’ai été notamment sollicité par deux hôtels de grande renommée au Liban qui m’ont proposé des salaires mensuels de 500 à 600 dollars?», raconte-t-il. Mais c’est avec une entreprise d’organisation d’événements basée à Dubaï que travaillera le jeune homme, pour un salaire mensuel de 1?600 dollars et la promesse d’un rapide avancement, sans compter le logement et les transports qui sont à la charge de la société. Pas de savoir-faire ni de savoir-vivre Les cas comme ceux d’Ariane et de Mohammad, qui se voient proposer de petits salaires de départ dans les entreprises locales, sont monnaie courante. Certains licenciés doivent même se contenter d’un salaire de départ de 400 dollars (pourboires exclus), comme l’indique Pierre Achkar, président du syndicat des hôteliers au Liban. «?Le problème, explique-t-il, est que les nouveaux diplômés n’ont pas toujours les qualifications requises car ils n’ont pas suivi les stages pratiques nécessaires. De plus, un certain nombre d’universités forment les étudiants à la théorie, mais n’ont aucun laboratoire d’application, voire pas de cuisine, pas de restaurant ou de chambres d’hôtel. Et même lorsque les universités disposent de laboratoires, les étudiants manquent encore de pratique et ne sont pas assez polyvalents.?» Outre le manque de savoir-faire, M. Achkar déplore aussi l’absence de savoir-vivre chez les nouveaux diplômés qui ne savent pas traiter avec les différentes clientèles. «?On sent immédiatement la différence entre un diplômé qui a une expérience européenne et un autre qui n’en a pas?», observe à ce propos M. Achkar, qui précise que le secteur hôtelier local souffre d’un manque de main-d’œuvre qualifiée et compétente. Il note aussi que les nouveaux diplômés ont été happés par les 300 nouveaux cafés et restaurants qui ont récemment ouvert. Il ne faut certes pas oublier que la crise politique qui a touché le pays ces deux dernières années a porté un sérieux coup à l’industrie hôtelière qui a dû se résoudre à laisser partir ses cadres et une grande partie de ses employés vers les pays arabes ou vers l’Europe. «?Aujourd’hui, on doit se débrouiller avec les moyens du bord, et ce n’est pas toujours évident, d’autant que les hôtels prestigieux refusent d’embaucher une main-d’œuvre syrienne ou égyptienne?», affirme le président du syndicat. Mêmes plaintes du côté de l’industrie de l’assurance, où le président de l’Association des assurances du Liban, Abraham Matossian, évoque la difficulté à trouver du personnel répondant aux critères exigés par les entreprises. Dans un secteur où le salaire de départ démarre à 800 dollars et peut atteindre 2?000 dollars dans certaines branches spécialisées, il reste difficile de trouver des diplômés en gestion, en finances, ou en assurances qui répondent à ces critères. «?Mon entreprise a besoin d’une dizaine de nouveaux venus, mais je ne parviens pas à les trouver?», déplore le chef d’entreprise, précisant que les jeunes diplômés manquent d’engagement et de sérieux. Ils ne veulent pas bûcher, mais sont «?tout juste intéressés à gagner de l’argent rapidement?». «?Or nous avons besoin d’assiduité, d’intelligence et de sérieux, dit-il. Ce ne sont pas les diplômes qui sont en cause, mais les diplômés eux-mêmes qui ne veulent pas prendre le temps de gravir les échelons?», poursuit-il à ce propos. S’exprimant à l’intention des jeunes qui partent travailler dans les pays arabes, il leur dit simplement que «?c’est au Liban que se trouvent les opportunités dans le monde de l’assurance?». Des opportunités qui pourraient mener loin, à la condition de savoir faire ses preuves et de travailler de façon assidue. Un encadrement nécessaire en début de carrière Bûcher, acquérir une grande expérience pratique et poursuivre de hautes études… C’est le leitmotiv de Ralph, qui gravit pour le moment les échelons au Liban. Tout en poursuivant un mastère en économie, Ralph a travaillé 18 mois dans un groupe local de régie publicitaire. «?J’ai appris la vente, j’ai aussi appris à m’occuper de la clientèle?», raconte-t-il. À présent, c’est une expérience marketing que Ralph veut acquérir. Une expérience qu’il envisage d’obtenir dans une industrie locale de grande réputation, qui vient de l’embaucher pour 1?000 dollars par moi. «?C’est moins que ce que je gagnais précédemment, mais je suis quand même très satisfait. J’apprends énormément de choses dans le domaine du marketing?», observe-t-il. Le jeune homme espère que cette expérience lui donnera accès, d’ici à deux ans, à une grande école internationale en Occident où il envisage de suivre un MBA. «?Je pourrais alors travailler en Europe, aux États-Unis ou au Canada et me faire de l’argent?», ajoute-t-il. Quant à l’émigration, Ralph n’y pense pas pour l’instant. Tout dépendra de sa carrière professionnelle. Du côté du secteur bancaire, l’embauche ne semble pas représenter un grand problème. «?Le niveau des étudiants n’est pas en cause?», observe le secrétaire général de l’Association des banques, Makram Sader. Il précise que les cadres nouvellement engagés dans les banques nécessitent généralement un encadrement pratique qui varie entre deux ans et trente mois. «?Ils deviennent alors parfaitement adaptés à nos besoins?», souligne-t-il. M. Sader parle toutefois d’un décalage entre le système éducatif libanais et le marché du travail. «?Chaque économie doit être à la dimension de son pays. Le marché du travail devrait normalement absorber toute la main-d’œuvre libanaise?», remarque-t-il, évoquant la floraison d’universités et la présence sur le marché de jeunes professionnels non adaptés à l’économie du pays, destinés à devenir chômeurs ou à émigrer. Une exception au Liban … Certaines professions, notamment celles d’ingénieurs, ne semblent pas souffrir des problèmes du marché. De manière générale, avant même d’obtenir leur diplôme, les jeunes ingénieurs, toutes spécialités confondues, sont généralement happés par les entreprises basées au Liban ou à l’étranger, et plus spécifiquement les multinationales. Après avoir obtenu son diplôme de génie civil, Cédric, qui s’est tourné vers le management, a été embauché par une multinationale de conseil en management, basée au Liban, après y avoir présenté une demande d’emploi. Il envisageait pourtant d’aller poursuivre une spécialisation à l’étranger. Mais il n’a pu tourner le dos à la perspective de travailler pour une compagnie aussi prestigieuse, qui lui permettra d’acquérir une bonne expérience, où il bénéficie d’un excellent salaire de départ, entre 2?500 et 3?000 dollars par mois. Un excellent salaire qu’il gagnera à la sueur de son front car il devra effectuer des allers-retours hebdomadaires entre les pays arabes et le Liban. Se faire embaucher n’a pas non plus été un jeu d’enfant pour Cédric, qui figurait parmi les dix meilleurs élèves de sa promotion. Le jeune homme a dû se plier à quatre examens, tests et entrevues, et à des questionnaires très pointus, comme d’ailleurs plus d’une dizaine de nouvelles recrues, embauchées en même temps que lui. Confirmant les dires du jeune homme, Sélim Eddé, PDG d’une entreprise internationale éditant des logiciels financiers, basée également au Liban, indique qu’il a déjà recruté 63 Libanais en 2008, généralement des diplômés de l’ESIB, de l’AUB ou de l’UL, dont une dizaine pour le bureau basé à Paris. «?Leur formation est de bonne qualité, affirme-t-il. L’essentiel est qu’ils aient le profil technique dont nous avons besoin (qu’ils soient ingénieurs, informaticiens, mathématiciens ou financiers), qu’ils soient soucieux d’apprendre, qu’ils aient de l’initiative et de la créativité, et qu’ils sachent travailler en groupe. Mais 80?% des personnes que nous embauchons sont ingénieurs?», tient-il à préciser, tout en regrettant ne pas trouver autant de personnes qualifiées qu’il voudrait embaucher. Quant aux salaires de départ, «?ils varient entre 20?000 et 24?000 dollars par an pour un débutant, sans compter les bonus et les possibilités d’avancement qui dépendent de chaque individu?», indique-t-il. M. Eddé affirme aussi que les salaires des employés au Liban sont alignés sur les salaires des employés de l’entreprise à Paris. «?Il n’y a pas de raison qu’ils soient moins bien payés, vu que nous sommes une boîte internationale et que nous exportons nos produits à l’étranger?», dit-il. «?Nous sommes d’ailleurs une exception au Liban?», remarque le PDG. Une exception qui attire les nouveaux diplômés comme des mouches, vu l’important nombre de demandes d’emploi que reçoit l’entreprise.
Nouveaux diplômés et patrons évoquent leur quête, leurs attentes et leurs déceptions. Avec toute la bonne volonté du monde, les deux mondes ne se rejoignent pas toujours.
Ariane vient d’obtenir sa licence en publicité et vente, après trois ans de cours théoriques et quatre stages en entreprise. Depuis le mois de février, elle a déposé son CV un peu partout, dans des...