Rechercher
Rechercher

Actualités

ABEY - « Même si nous voulons les laisser, les Israéliens, eux, ne nous lâcheront pas », affirme l’ex-détenu Retrouvailles nationales entre Walid Joumblatt et Mohammad Fneich au village natal de Samir Kantar Scarlett HADDAD

En moins de 24 heures, Samir Kantar s’est déjà adressé trois fois à la foule. Et dans les trois circonstances, il a fait preuve de la même détermination et de la même foi dans ce qu’il qualifie la justesse de son combat. Mercredi soir, devant les centaines de milliers de partisans du Hezbollah, il a affirmé son intention de poursuivre la lutte, sans être le moins du monde impressionné par l’immensité de la foule. Jeudi matin, devant la tombe de Imad Moghniyé, qu’il n’a pourtant pas eu le temps de connaître, il a fait le serment de continuer à résister pour suivre le chemin tracé par « hajj Radwane ». Plus tard, à Abey, devant des dizaines de milliers de druzes entourant Walid Joumblatt et Talal Arslane ainsi que Mohammad Fneich, réunis pour la première fois depuis plus d’un an, il a rappelé que la Palestine reste la cause essentielle et qu’il est prêt à y retourner pour une nouvelle opération. Entre larmes et sueur... Bien qu’entièrement voué à sa cause, Samir Kantar s’est quand même laissé aller à l’émotion. D’abord en donnant, mercredi soir, l’accolade à Hassan Nasrallah qui lui a lancé dans une boutade : « Vous êtes la cause d’une guerre... », poussant le héros du jour à essuyer une larme, et le lendemain, devant la tombe de Moghniyé, où la chaleur étouffante a permis de confondre larmes et sueur, et enfin dans son village natal qui avait revêtu une allure de fête pour l’accueillir... Lorsqu’il est apparu, trapu et solide, comme ancré dans le sol, dans son treillis militaire, la légende entretenue depuis des années par diverses organisations et surtout par son jeune frère Bassam est soudain devenue réalité. Samir Kantar, qui jusqu’à présent n’était pour la plupart de ceux qui sont venus l’accueillir qu’une photo, s’est transformé en un homme qui veut faire entendre sa voix et qui en impose à ses auditeurs. Devenu le symbole de la lutte contre Israël, il suscite une immense fierté chez les habitants de sa région, mais n’hésite pas à les brusquer en évoquant son «indéfectible alliance avec le Hezbollah » et en précisant qu’il ne faut pas oublier « la Syrie, sans laquelle la montagne de Kamal Joumblatt serait tombée... ». Au cours de cette journée ensoleillée de Abey qui ressemble à un dimanche de fête et derrière la joie des retrouvailles, les embrassades et les réconciliations spectaculaires, les fausses notes restent nombreuses. Walid Joumblatt a donné le ton, mais ses partisans tardent à suivre le rythme et les huées se sont multipliées tout au long de la cérémonie, sans décourager Samir Kantar qui campe sur ses positions et ne veut d’autre titre que celui de résistant, sans vouloir entrer dans les méandres boueux de la politique interne libanaise... La journée de l’ex-doyen des détenus arabes et libanais avait commencé tôt par une première cérémonie de recueillement sur la tombe de Imad Moghniyé, dans la banlieue sud de la capitale. Mais le clou de la journée était les retrouvailles avec son village natal qu’il avait quitté à l’aube du 22 avril 1979 pour prendre une petite felouque dans une crique cachée dans la région de Tyr, qui devait le mener à Nahariya où il a mené une opération sous la bannière du Front de libération de la Palestine. Les villages ont dansé De la banlieue sud, le convoi de Samir Kantar entièrement pris en charge par la sécurité du Hezbollah a emprunté les villages de Aramoun, al-Bassatine, Aïn Ksour et Kabrechmoun. À chaque étape, le même spectacle se reproduisait. Devant une marée de drapeaux libanais, druzes et PSNS, Kantar était porté par les habitants qui l’entraînaient dans une dabké de bienvenue. L’ex-détenu se prêtait volontiers à la cérémonie, multipliant les accolades et les salutations, conscient du fait que tous ces gens qui l’avaient attendu si longtemps avaient besoin de le voir et de le toucher. D’ailleurs, en réponse à une question sur la source de sa force pour résister à 29 années de détention, Samir Kantar a répondu : « C’est de tous ces gens que j’ai tiré ma force. » À Abey qu’il a atteint vers 13 heures, Kantar a commencé par se recueillir sur la tombe des martyrs à l’entrée du village. Il s’est ensuite dirigé vers le mausolée de sayyed Abdallah Tannoukhi, où un « miracle » était déjà en cours : le chef du PSP Walid Joumblatt, accompagné de son fils Taymour qu’il prépare dit-on à une carrière politique, est assis à côté du ministre membre du Hezbollah Mohammad Fneich, avec lequel il a partagé la même bouteille d’eau. Entourant les deux hommes, l’émir Talal Arslane, les ministres et députés Ghazi Aridi et Waël Bou Faour, Marwan Hamadé, Fouad el-Saad et Akram Chehayeb ainsi que Marwan Abou Fadel et de nombreux notables de la région. La consécration de l’ouverture... Depuis plus d’un an, Joumblatt n’avait pas eu de contact réel avec des responsables du Hezbollah, et s’il avait effectué depuis l’accord de Doha de nombreuses ouvertures, c’était hier la première concrétisation du rapprochement entre les deux courants. Joumblatt avait d’ailleurs annoncé qu’il serait à la tête de ceux qui accueilleraient Samir Kantar, et il a tenu parole. Mais il n’a pas réussi à contenir ses partisans qui ont, à certains moments, hué le nom du secrétaire général du Hezbollah et toute mention de la Syrie. Pourtant, le discours prononcé par Joumblatt était une consécration de son ouverture en direction de la Résistance et du Hezbollah, puisqu’il a même déclaré qu’il espérait qu’il n’y aurait aucune contradiction entre la résistance et la souveraineté et l’indépendance, aucune contradiction entre la justice, le tribunal international, la prospérité et la résistance. Joumblatt a évoqué son père tué par « la main de la trahison » ainsi que tous ceux qui ont lutté aux côtés de la Résistance. Et il a souhaité la bienvenue dans la Montagne au représentant de la Résistance « au nom de la révolution du Cèdre, de Beyrouth la blessée et du doyen des martyrs, Rafic Hariri... ». Il a aussi précisé que la seule arme en mesure de défendre les armes de la Résistance c’est l’unité nationale, et a souhaité des relations saines, basées sur le respect mutuel avec la Syrie. Talal Arslane a rappelé l’histoire des druzes qui se sont toujours tenus aux côtés des causes arabes et nationales, et Mohammad Fneich, quant à lui, a insisté sur le passé nationaliste et résistant de la Montagne et affirmé que la joie de la libération de Samir Kantar s’est transformée en noces nationales. Tout en précisant que le Hezbollah est ouvert à toutes les propositions et à la libération des fermes de Chebaa par la diplomatie, il a rappelé qu’Israël ne comprend que le langage de la force et que le Liban ne célébrerait pas aujourd’hui une telle victoire sans la Résistance. Il a enfin précisé que le Hezbollah se tiendra aux côtés de ceux qui l’ont appuyé et aidé pendant toutes ces années... Pas de regrets pour Samir Kantar... Mais la grande surprise est venue de Samir Kantar lui-même qui a insisté pour donner la parole au représentant du PSNS Mahmoud Abdel-Khalek avant de prendre lui-même la parole pour annoncer qu’il ne craint pas les Israéliens et qu’il est prêt à mener une nouvelle opération pour la Palestine. Il a aussi déclaré : « Ceux qui croient que les armes de la Résistance seront enlevées avec la libération des fermes de Chebaa et des détenus se trompent. Même si nous les laissons, les Israéliens eux ne nous lâcheront pas. Les armes de la Résistance vont au-delà, au-delà, bien au-delà de Chebaa », provoquant un large sourire accompagné d’un haussement d’épaules chez Joumblatt. Kantar a même évoqué la Syrie sous les huées de la foule. Mais d’un ton ferme, il a lancé : « Même si cela déplaît à certains, il faut se rappeler que sans la Syrie, la Montagne serait tombée. » Il a aussi ajouté qu’il est faux de prétendre que ce qui s’est passé au Liban était une guerre civile. Il s’agit au contraire, selon lui, d’une guerre pour la dignité et pour la terre. Et la foule, soudain muette, n’a plus bronché, impressionnée par tant de détermination et d’autorité. Sollicité par les journalistes, Samir Kantar a répondu un peu en désordre à quelques questions, réaffirmant qu’il ne compte pas enlever la tenue de résistant, qui sera la sienne pour l’éternité. Il a aussi affirmé qu’il ne regrettait pas son action à Nahariya et que sa vie tout entière est dédiée à la résistance. Il s’est ensuite dirigé vers sa maison que sa famille avait pris soin de nettoyer, la transformant en jardin fleuri pour accueillir le fils tant attendu. La mère, le frère qui ne quitte pas son aîné d’une semelle, les sœurs, les neveux, les cousins, tout le monde était là et il n’y avait plus de mots pour exprimer l’émotion. Samir Kantar n’avait pas encore dix-huit ans – comme dit la chanson – lorsqu’il s’en est allé en Palestine à la rencontre de son destin. Et celui-ci ne l’a plus quitté, lui laissant peu de place pour vivre sa vie. Aujourd’hui, il ne cherche même pas à rattraper le temps perdu. Ses compagnons de détention, ceux qui sont restés là-bas, ne quittent pas son esprit, et dans sa tête d’homme libre, il y aura toujours un peu de prison...
En moins de 24 heures, Samir Kantar s’est déjà adressé trois fois à la foule. Et dans les trois circonstances, il a fait preuve de la même détermination et de la même foi dans ce qu’il qualifie la justesse de son combat. Mercredi soir, devant les centaines de milliers de partisans du Hezbollah, il a affirmé son intention de poursuivre la lutte, sans être le moins du monde...