Destination lune

Après cette grande mascarade qu’aura représentée la formation d’un gouvernement d’union nationale, nous sommes un groupe de Libanais qui pensons le plus sérieusement du monde affréter un avion spécial destination lune dans lequel nous embarquerons une partie des politiciens qui, depuis des dizaines d’années, occupent le devant de la scène et empêchent leurs concitoyens de redémarrer sur des bases solides. Cette suite de querelles byzantines, où chacun des leaders essaie de placer aux meilleurs postes frère, gendre, cousin ou allié, est une honte et dans aucun pays du monde civilisé l’on n’a vu une telle lutte pour occuper tel ou tel poste ministériel. Le cabinet est enfin formé et chacun refait ses comptes pour juger s’il a été floué ou si, dans la nouvelle combinaison, il a obtenu sa part du butin. Pour agrémenter le tout, diverses nations amies, mauvaises conseillères ou trop intéressées, ajoutent aux condiments locaux des incidents isolés qui, pimentés aux armes blanches ou aux canons à longue portée, effacent toute possibilité de s’entendre. Pourtant, nous trouvons dans ce gouvernement pas mal d’éléments valables qui peuvent redonner au Liban sa vraie valeur. Mais pour éviter des futures querelles, nous jugeons opportun, dans ce grand avion destination lune, de placer en premier lieu tous les chefs de parti non libanais qui cherchent depuis des années, sur cette portion exiguë du territoire national, à placer leurs pions ou leurs préférés. Puis viendront s’ajouter à ces voyageurs insolites les chefs et comparses des partis dits nationaux, mais dont les intentions dépassent les frontières du minuscule Liban. Ceux-là sauront retrouver leur chemin vers le paradis, car ils font partie du parti de Dieu, qui a ses anges dans le ciel et ses soldats sur terre. Sur la lune, bien entendu, les armes sont défendues et il faudra trouver d’autres arguments pour éliminer les adversaires. Un coup de lune serait peut-être à conseiller, car la plupart d’entre eux sont déjà des illuminés. Dans cette même galère, je placerais aussi ces trublions déjà connus qui refont surface à chaque période ou qui sont heureux de se remettre en valeur par un discours enflammé ou une interview embrasée. Pour agrémenter le tout, quelques leaders religieux à l’animosité permanente, afin que dans l’avion, ils puissent prêcher la bonne parole et permettre aux voyageurs d’arriver à destination le sourire aux lèvres. Ils deviendront tous de petits anges dans le paradis de l’oubli. Bien entendu, le voyage est sans retour. Le Liban, débarrassé de ceux-là qui démolissent ses assises, pourrait retrouver son sourire et se dédier à sa vocation première de pays exclusivement touristique, dirigé par des leaders apolitiques intéressés exclusivement à donner enfin, à ce peuple béni, tranquillité, calme et ardeur au travail sur des bases saines et durables. Toute personne intéressée à accompagner ce convoi sans retour peut s’adresser au journal qui transmettra. La seule condition d’admission est qu’elle ait fait partie de la caste politique libanaise durant ces 50 dernières années. Raymond NAHAS