Rechercher
Rechercher

Actualités

Pour Jean-Paul Chagnollaud, l’UPM d’aujourd’hui n’a plus beaucoup de rapports avec le projet initial L’Union pour la Méditerranée n’est plus « une grande ambition »

L’Union pour la Méditerranée a, enfin, vu le jour, hier à Paris. Néanmoins, la France a dû considérablement modérer l’ambition de son projet initial, lancé il y a un an et demi par Nicolas Sarkozy, pour le rendre acceptable par ses partenaires européens. Après des tractations difficiles avec l’UE – Allemagne et Espagne en tête –, le président français a été contraint d’accepter un compromis. Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise, et rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée explique à L’Orient-Le Jour, les méandres de cette transformation. 1 – La proposition de Nicolas Sarkozy vise-t-elle, selon vous, à créer un substitut à l’adhésion de la Turquie au sein de l’UE ? « Ce n’était pas l’objectif principal de cette initiative, mais, en effet elle impliquait de laisser la Turquie en dehors de l’UE. Le président Sarkozy l’a d’ailleurs dit très clairement pendant la campagne présidentielle dans son discours de Toulon, en février 2007 : “L’Europe, si elle veut pouvoir fonctionner, ne peut pas s’élargir sans arrêt. La Turquie n’a pas sa place dans l’Union européenne parce qu’elle n’est pas un pays européen. Mais la Turquie est un grand pays méditerranéen avec lequel l’Europe méditerranéenne peut faire avancer l’unité de la Méditerranée. C’est la grande ambition commune que je veux proposer à la Turquie”. Depuis son accession au pouvoir, il n’a pas changé d’avis sur la Turquie. Mais en même temps, il semble plus pragmatique d’autant plus que l’idée qui était la sienne dans la formulation initiale de l’Union de la Méditerranée a été très sensiblement rognée par les multiples discussions avec les autres Européens qui n’en voulaient pas. Ce qui fait qu’aujourd’hui, le contenu de cette initiative n’a plus grand-chose à voir avec ce qui a été annoncé à Toulon... Ce n’est plus “une grande ambition”. » 2 – Pensez-vous que Nicolas Sarkozy a une certaine vision du bassin méditerranéen, des relations Nord-Sud, Europe-monde arabe ? Ou bien, s’agit-il seulement, pour lui, de marquer la différence avec ses prédécesseurs en initiant un nouveau projet ? « Je crois qu’il a une certaine vision de la Méditerranée ou, plus exactement, qu’il partage celle que lui a inspirée son conseiller spécial, Henri Guaino, le rédacteur de ses discours. Guaino a vécu longtemps sur les bords de la Méditerranée et est très imprégné de ce qu’elle symbolise en termes d’histoire et donc aussi, aujourd’hui, en termes d’avenir partagé pour les peuples qui en sont riverains. Il faut rappeler d’ailleurs que dans le texte initial de Toulon, il n’était question que des pays riverains et non pas de l’ensemble de l’Union européenne. Ce n’était pas du tout une approche européenne... » 3 – S’agit-il, selon vous, d’une décision liée au rôle historique de la France avec une grande partie des pays arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Liban, Syrie) ? « Dans les relations entre la France et le monde arabe, l’histoire et la mémoire sont toujours très présentes et c’est vrai dans les deux sens. On ne peut échapper à ces liens très forts qui ont marqué les peuples de ces pays pendant des décennies, voire des siècles. » 4 – Dans le cadre de l’élargissement de l’UE, l’Allemagne a gagné en influence avec l’adhésion d’un grand nombre de pays de l’Europe de l’Est. L’UPM est-elle un moyen de changer l’équilibre en faveur de la France ? « Non, je ne le crois pas car, au début, ce n’était pas une initiative qui se situait dans la sphère européenne. Ce n’est qu’après que la France a été contrainte de prendre en compte le processus de Barcelone dont elle voulait au départ s’affranchir. Il s’agissait beaucoup plus d’une projection dans l’espace méditerranéen que de considérations géostratégiques liées aux équilibres internes à l’Europe. » 5 – Les amendements introduits par les pays européens sur le projet de Sarkozy vont-ils vider cette initiative de son but initial ? « Ce sont plus que des amendements... À mon sens, ce dont il est question aujourd’hui n’a plus beaucoup de rapports avec le projet initial, même si les diplomates prétendent le contraire. Dans les formules initiales, cette Union devait prendre en charge des questions aussi cruciales que la sécurité collective, l’immigration, l’écologie (avec notamment les questions de dépollution et de lutte contre l’épuisement des ressources naturelles...), le codéveloppement (avec notamment la gestion commune de l’eau et de l’énergie) et la lutte contre le terrorisme. » « Désormais cette initiative a été réduite à quatre ou cinq dossiers sans doute importants, mais essentiellement techniques comme la pollution, les autoroutes de la mer et la formation professionnelle.... Bien sûr, cette liste est provisoire et peut évoluer, mais il est clair que nous sommes dans un registre bien différent de ce qui avait été envisagé. On est désormais beaucoup plus dans des projets techniques concrets que dans des dossiers politiques. » 6 – La perception de ce projet par les pays arabes diverge : néo-colonialisme, occasion d’aide et de coopération, etc... Quelle est selon vous la perception européenne à la lumière de la PEV et du processus de Barcelone ? « Il règne dans tout cela une grande confusion. Le processus de Barcelone n’était déjà pas très lisible pour les citoyens, mais avec cette nouvelle initiative qui a connu tant de modifications, c’est encore pire. Personne ne s’y retrouve et chacun peut donner l’interprétation qu’il veut. Même ceux qui, à l’Élysée, sont en charge du dossier de l’Union pour la Méditerranée ont beaucoup de mal à savoir ce qu’il adviendra des projets sur lesquels ils ont travaillé, puisqu’à partir du 13 juillet ils en seront dessaisis au profit d’une instance euro-méditerranéenne qui est à créer : la coprésidence de l’union et son secrétariat... » « Le simple rappel de l’évolution de la dénomination de cette union suffit à montrer la confusion que j’évoque. Sarkozy a d’abord parlé d’“ Union DE la Méditerranée ” qui impliquait des vastes questions et ne comprenaient que des pays riverains. Sous la pression des Européens et, en particulier, de l’Allemagne et de l’Espagne, c’est devenu l’“ Union POUR la Méditerranée ” ; ce qui était une manière d’élargir le projet à tous les pays européens qui le souhaitaient... C’est aujourd’hui “Le partenariat de Barcelone : l’Union pour la Méditerranée”. Désormais, cette initiative fait donc partie du processus de Barcelone alors qu’à l’origine, elle était conçue pour s’en affranchir ! On s’étonne ensuite que l’opinion publique européenne ne comprenne rien à l’Europe et s’en sente éloignée... »
L’Union pour la Méditerranée a, enfin, vu le jour, hier à Paris. Néanmoins, la France a dû considérablement modérer l’ambition de son projet initial, lancé il y a un an et demi par Nicolas Sarkozy, pour le rendre acceptable par ses partenaires européens. Après des tractations difficiles avec l’UE – Allemagne et Espagne en tête –, le président français a été...