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Actualités - interview

Le chef de l’État syrien déclare que le nouveau président US ne pourra pas suivre la même politique que Bush Assad à « L’Orient-Le Jour » : Nous n’avons pas l’intention de revenir militairement au Liban

C’est la première interview accordée par le président syrien à un média libanais depuis plusieurs années. Il est vrai que cela s’est passé dans le cadre de ses rencontres avec les médias français à la veille de sa visite à Paris, mais Bachar el-Assad a consacré une partie de son entrevue à L’Orient-Le Jour. L’entretien s’est déroulé dans un pavillon élégant, très vite surnommé « Le petit Trianon » par un confrère français, dissimulé derrière les arbres, dont l’entrée discrète ne laisse pas supposer l’existence. Ni fouilles ni chichis protocolaires, le président syrien nous reçoit lui-même à l’entrée et nous emmène dans un petit salon confortable où des dessins d’enfants ornent le dessus des meubles. « Est-ce l’œuvre de vos enfants ? » lui demandons-nous. « C’est mon épouse qui les a placés là. Mes enfants sont petits, mais ils sont inscrits dans une école de dessin et c’est un travail collectif. » Le ton est ainsi donné. L’entretien qui durera deux heures se fera avec simplicité et sans formalisme. Le président syrien insiste pour que nous posions toutes nos questions. Il ne s’enflamme pas, répond de façon structurée et a même un grand éclat de rire lorsque nous lui demandons s’il compte envoyer Rustom Ghazalé comme ambassadeur à Beyrouth... Q : Avez-vous été surpris par le coup de fil du président Sarkozy après la conférence de Doha et est-ce vraiment ce qui a débloqué les relations franco-syriennes ? R : C’est certainement un des facteurs qui ont contribué au déblocage. D’autant qu’il y avait un malentendu sur la position réelle de la Syrie sur deux dossiers : le Liban et le processus de paix. L’accord de Doha a montré que la Syrie ne bloquait pas la situation au Liban, et les négociations indirectes avec Israël ont montré que nous voulons réellement la paix. La tenue du sommet de l’Union pour la Méditerranée est aussi un autre facteur du déblocage puisque la Syrie est un pays important dans cette région. Tous ces facteurs ont permis de donner un nouvel élan aux relations franco-syriennes. Q : Mais pourquoi y a-t-il eu ce gel dans les relations, selon vous ? Et quel a été votre véritable rôle à Doha ? R : Le gel était sans doute dû au fait que le président français précédent Jacques Chirac a lié les relations entre la France et la Syrie au dossier libanais et au point de vue d’une partie des Libanais. Le changement au niveau de la présidence en France a été un facteur important dans le déblocage, car le président Sarkozy a adopté une politique différente, plus réaliste. Avant l’accord de Doha, nous n’étions pas d’accord avec la France sur de nombreux points, et le président Sarkozy avait donné des déclarations négatives à l’égard de la Syrie à partir du Caire. Mais il avait malgré tout maintenu ouverts des canaux entre les deux pays. Il y avait des contacts entre nous et l’Élysée. Alors que le président Chirac avait coupé toutes les relations avec la Syrie. Q : Qu’avez-vous demandé à la France et qu’est-ce que celle-ci vous a demandé ? R : Nous avons eu des discussions sur ces sujets pendant la visite de notre ministre des AE en France, bien plus que lors de la visite de M. Guéant à Damas. Les points de vue étaient clairs et je peux vous dire ce que nous attendons nous de la France. Sur le plan de la politique étrangère, nous voulons que la France ait un rôle actif dans les négociations avec Israël, surtout si nous arrivons à l’étape des négociations directes avec ce pays. Il y a aussi le dossier du partenariat syro-français ainsi que celui de l’UPM. C’est une bonne idée, mais elle doit être concrétisée. Et nous devons coopérer pour la rendre plus effective. L’Union pour la Méditerranée est une évolution du processus de Barcelone. Celui-ci avait échoué parce qu’il s’était éloigné de la réalité politique. C’est pourquoi nous avons insisté sur la nécessité de mettre le dialogue politique à l’ordre du jour de l’UPM. Pour nous, cela englobe l’avancement du processus de paix. Concernant les relations bilatérales, nous souhaitons que le dialogue politique soit plus fréquent, sans oublier les relations économiques. Ce que veut la France, je ne peux pas le dire, mais je suis convaincu qu’elle souhaite la stabilité dans la région. Ce qui implique le processus de paix, l’achèvement du processus politique au Liban, l’avenir du processus politique en Irak et la réconciliation interpalestinienne pour aboutir à l’accomplissement de la paix, qui ne s’achève pas avec le volet syrien. Q : Pour revenir au président Chirac, il a déclaré qu’il ne souhaitait pas assister au défilé du 14 Juillet parce que vous y seriez. Qu’en pensez-vous ? R : Êtes-vous sûre qu’il a bien dit cela ? Q : La presse l’a en tout cas rapporté... R : Il faudrait s’en assurer, car ces propos sont en contradiction avec ceux tenus par la même personne il y a quelques années. De toute façon, je crois que tout citoyen d’un pays est heureux de voir une personnalité étrangère assister aux cérémonies de sa fête nationale. Il en est fier. De toute façon, je rends visite à la France et non à une personne, et le président Sarkozy représente pour nous la souveraineté française. Q : Pensez-vous qu’en ouvrant sur la Syrie, la France agit en coordination avec les Etats-Unis, et que ces derniers auraient ainsi sous-traité le dossier ? R : Je ne le crois pas. L’administration américaine a échoué avec tout le monde, la Corée, la Syrie, l’Iran, l’Irak et dans le processus de paix en général, comme elle a échoué à instaurer la stabilité dans le monde. Même si les relations entre la France et les États-Unis sont étroites, il n’est pas sage de s’allier avec une administration qui a accumulé les échecs, non pas parce qu’elle s’en va, mais parce que ses membres sont en train de la quitter. Elle a perdu toute crédibilité sur la scène internationale. Ces propos ne sont pas seulement tenus par moi ; vous pouvez les entendre de la bouche de nombreux alliés des États-Unis. Q : Tout en procédant à un réchauffement de ses relations avec la Syrie, la France reprend un rôle important au sein de l’OTAN. Cela ne vous dérange-t-il pas ? R : Ce qui me concerne dans la politique française au sein de l’OTAN, ce sont ses retombées sur la Syrie. Si nous avions le sentiment que la politique de la France se décide aux États-Unis, nous serions inquiets. Mais nous n’avons pas cette impression. Par contre, si ces relations étroites entre la France et les États-Unis vont dans le sens de renforcer le rôle de Paris et de pousser les États-Unis à être plus proches des causes arabes, c’est tant mieux. Prenons par exemple le processus de paix au M-O. Le rôle des États-Unis y est essentiel. Les États-Unis sont une grande puissance et ils ont une relation particulière avec Israël. Aucun pays européen ne peut remplacer les États-Unis dans ce domaine. Les Européens ont un rôle complémentaire. Le problème, c’est que les États-Unis ne comprennent pas ce qui se passe dans la région. La France peut donc aider les Américains à mieux comprendre la situation dans la région. Concernant l’OTAN, cette organisation sert les intérêts des États-Unis. Mais tout repose sur une seule question : jusqu’à quel point la France est-elle décidée à jouer un rôle indépendant tout en renouant avec sa tradition historique et en étant le pilote de l’Europe dans la région ? Même chose pour l’Europe qui est pratiquement absente de la région depuis 2005, en raison notamment de l’échec de l’adoption de la Constitution et de la division causée par l’invasion américaine de l’Irak. Q : L’ouverture de la France en direction de la Syrie ne fait-elle pas plutôt partie d’une stratégie visant à rompre les relations entre Damas et Téhéran ? R : Si la Syrie souhaite avoir un rôle important dans la région, elle doit avoir des relations avec les pays-clés dans cette région, qui sont, pour nous, l’Iran et la Turquie. Ce sont deux pays importants stratégiques et actifs. Il n’y a donc pas de stabilité dans la région sans eux. Les États-Unis ont suivi jusqu’à présent, avec l’Iran en tout cas, une politique d’isolement. Mais qu’a-t-elle donné ? L’Iran s’est attachée encore plus à ses constantes, l’instabilité s’est accentuée dans la région, ainsi que l’extrémisme, qui peut aboutir au terrorisme. Nous avons, ainsi que l’Europe, pâti de cette politique. Contrairement aux États-Unis, nous adoptons la politique de l’intégration. Nous sommes pour le dialogue et contre le fait de dicter des instructions. De toute façon, le projet d’isolement de l’Iran n’a pas abouti et n’aboutira pas à l’arrêt de son programme nucléaire. Q : Vous dites être pour le dialogue avec tous les pays, mais pourquoi ne parlez-vous pas avec l’Arabie saoudite ? R : En mai dernier, dans un entretien avec un quotidien du Golfe, j’avais exprimé mon désir de me rendre dans tous les pays arabes y compris l’Arabie. Ce n’était pas la première fois que j’exprimais un tel souhait. Mais à chaque fois, la réponse était négative. De ma part, il n’y a aucun problème, mais ce sont eux qui ne veulent pas. Ma ligne de conduite, c’est le dialogue. Q : À propos de dialogue, où en sont les négociations avec Israël et quand passeront-elles aux négociations directes ? R : Les négociations indirectes ne signifient pas que nous ne voulons pas nous asseoir avec les Israéliens, et le contraire est vrai. En 1991, le secrétaire d’État américain James Baker a effectué des navettes entre la Syrie et Israël pour jeter les bases des négociations directes qui ont eu lieu par la suite. C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Après un gel de huit ans et plusieurs agressions contre le Liban et la Syrie et d’autres pays de la région, la confiance entre les deux parties est totalement inexistante. Nous travaillons aujourd’hui sur deux tableaux : d’abord essayer de construire la confiance, autrement dit savoir si Israël est sérieux dans sa volonté d’aboutir à un accord, et ensuite s’entendre sur une base commune qui nous permettra de passer aux négociations directes. Dans les négociations indirectes, le rôle de la Turquie est celui de l’intermédiaire. Mais dans les négociations directes, il faudra un parrain. Il devra faire des propositions, exercer des pressions et être un recours vers lequel se tourneront les deux parties. À Madrid, en 1991, la Syrie voulait que les Arabes négocient en bloc uni. Cela ne s’est pas fait ainsi et il y a eu des négociations bilatérales. Ce que nous faisons aujourd’hui n’est donc pas nouveau. Enfin, nous parlons de paix juste et globale. Quand nous disons globale, nous entendons qu’elle englobera les Syriens, les Palestiniens et les Libanais. Or cela ne se passe pas non plus comme cela. Il existe une division interpalestinienne et un manque de sérieux israélien sur ce volet. C’est pourquoi nous devons faire une distinction entre la signature d’un accord avec Israël et la réalisation de la paix. La paix reste tributaire de questions importantes comme celle des 500 000 réfugiés palestiniens en Syrie et des 500 000 autres au Liban. Nous avons évoqué ces questions avec le président palestinien Mahmoud Abbas au cours de sa dernière visite, et je dois reconnaître que nous n’avons pas encore de réponses à toutes les questions. Nous ne connaissons pas encore les positions d’Israël, des États-Unis et de l’Europe. Q : Vous êtes en train de dire que la Syrie pourrait signer un accord avec Israël sans attendre le volet palestinien ? R : Si Israël répond à nos revendications et restitue aux Syriens tous leurs droits, nous ne pouvons pas refuser de signer un accord. C’est pourquoi je fais la distinction entre la signature d’un accord et la paix. Je peux dire que nous ne serons pas heureux de signer un accord sur le seul volet syrien. C’est pourquoi la France devrait pousser vers un accord sur tous les volets. Q : Vous laissez en quelque sorte tomber l’initiative de paix arabe adoptée au sommet de Beyrouth en 2002 ? R : Au sommet de Beyrouth, les Arabes réunis avaient voulu faire une proposition plus attractive aux Israéliens, pour pousser ce pays vers la paix. Mais ce qui nous importe au fond, c’est l’essence du processus de paix, notamment la résolution 242, le retrait total des territoires occupés, le partage de l’eau et les arrangements de sécurité. La paix juste et globale reste notre objectif principal. Q : Pensez-vous qu’Israël est aujourd’hui plus sérieux dans sa volonté d’aboutir à un accord ? R : Je dirais jusqu’à un certain point, oui. Je le dis avec beaucoup de réserves, car les expériences passées ne sont pas encourageantes. Le mot sérieux ne suffit pas. Il faut se demander s’ils sont en mesure de prendre des engagements, plus particulièrement le Premier ministre. Un accord nécessite un dirigeant fort. Est-il ce dirigeant ? Nous ne le savons pas. La marche vers la paix est plus difficile que la marche vers la guerre. Nous allons essayer et nous verrons. Q : Comptez-vous reprendre la coopération sécuritaire avec les États-Unis pour la lutte contre le terrorisme ? R : C’est moi qui ai initié des relations sécuritaires avec les Etats-Unis, et de la reconnaissance de George Tenet (ancien chef de la CIA), cette coopération a permis de sauver de nombreuses vies humaines, notamment des soldats américains dans les pays du Golfe. Nous avions alors envoyé des informations à un État du Golfe qui a, lui, effectué le travail nécessaire. Le problème de la coopération sécuritaire avec les Etats-Unis, et je l’ai dit à de nombreuses personnalités américaines qui m’ont rendu visite, c’est qu’ils ont beaucoup d’informations, mais manquent de savoir-faire. C’est comme si vous avez un ordinateur perfectionné sans « hard disk » (disque dur). J’ai dit aux Américains qu’ils ne seront pas capables de conduire la lutte contre le terrorisme seuls. Il faut une coopération générale et nous, nous pouvons aider. De plus, à chaque fois que nous fournissions des informations, les Américains avaient une attitude négative. Nous avons alors décidé de rompre cette coopération au début de 2004. Ils ont essayé à plusieurs reprises de la renouer. Mais notre position est claire : pas de coopération sécuritaire sans relation politique. Nous en sommes là aujourd’hui. Q : Pensez-vous qu’il existe un risque réel de guerre entre sunnites et chiites dans la région ? R : Cela s’est produit en Irak. L’extrémisme, le terrorisme et le confessionnalisme se propagent dans la région. Il n’y a pas de freins pour les contrôler. C’est pourquoi nous sommes inquiets de l’instabilité au Liban car elle a une influence directe sur la Syrie. Même chose pour l’Irak, et cela se propage sur la scène islamique en général. Si cette situation reste ainsi sans solution, cela deviendra très inquiétant. Mais je ne crois pas que nous en soyons déjà là. D’autant qu’il y a une action politique qui va dans le sens contraire. En Syrie, nous luttons quotidiennement contre ce phénomène, surtout en Irak. C’est pourquoi je crois que la vision sur ce sujet est assez floue. Elle peut prendre des directions différentes selon l’évolution de la situation. Q : Les affrontements entre alaouites et sunnites au Liban-Nord constituent-ils une menace pour la sécurité de la Syrie, et sous ce prétexte, celle-ci pourrait-elle revenir militairement au Liban ? R : Nous n’avons aucune intention de revenir militairement au Liban. Pour entreprendre une action militaire dans un pays, il faut qu’il y ait eu une agression. Or cela ne se produira pas entre le Liban et la Syrie. Il est certain qu’il y a au Liban des politiciens à la vision limitée qui croient que tout problème au Liban s’étendra à la Syrie. À long terme, tout trouble au Liban, qu’il s’agisse d’un conflit entre alaouites et sunnites, entre sunnites et chiites ou entre musulmans et chrétiens, a des répercussions en Syrie. Mais ce qui se passe actuellement au Liban-Nord ne s’inscrit pas dans ce cas de figure. Des extrémistes reçoivent un financement de certains politiciens libanais pour donner l’impression de l’existence d’un conflit confessionnel au Liban. Mais une grande partie des sunnites du Liban-Nord ne veulent pas de ces problèmes. Nous sommes, en tout cas, conscients de la situation. Mais nous n’avons pas l’intention de prendre la moindre décision à ce sujet. Ces extrémistes nuisent au Liban, non à la Syrie. Q : La Syrie est accusée de faire passer des armes au Hezbollah, et elle est montrée du doigt par des résolutions internationales. Comment comptez-vous gérer ce dossier ? R : Depuis déjà trois décennies, nous sommes accusés de tout au Liban. Parlons avec réalisme de cette question des armes. D’abord, les armes illégales sont présentes partout dans la région, en Syrie, en Irak et ailleurs, entre les mains des citoyens et dans les maisons, surtout après les événements d’Irak. Tout le monde peut se procurer des armes sur les marchés arabes et en tant qu’États, nous ne sommes pas en mesure de contrôler ce trafic, pour plusieurs raisons. Mais lorsque nous parlons du trafic d’armes avec le Liban, il s’agit d’armes lourdes et de missiles longs de plusieurs mètres. Comment peut-on transporter ces missiles sur des routes montagneuses, par des voies connues, d’autant qu’au Liban, il n’y a pas de soldats syriens mais un gouvernement et des services de sécurité hostiles à la Syrie, ainsi que des services du monde entier venus pour surveiller les frontières avec notre pays, sans oublier les avions israéliens qui photographient en permanence le secteur. Comment pourrions-nous faire passer ces missiles au nez et à la barbe de tout ce monde ? Tout au long des trois dernières années, nul n’a réussi à fournir le moindre indice concret sur l’existence de ce trafic, alors qu’ils parlent de milliers de missiles, non d’un ou deux. Ce n’est donc pas logique. Et si ces accusations étaient vraies, c’est qu’ils ont un véritable problème puisqu’ils sont incapables de les prouver. Le Liban a quand même une petite superficie. Si nous voulons discuter de ce problème, nous dirons : donnez-nous une seule preuve... Q : La Syrie a été mise en cause dans l’assassinat de Rafic Hariri. Une enquête internationale est en cours depuis trois ans. Qu’attendez-vous du tribunal international et quand, selon vous, la lumière sera faite sur cet assassinat ? R : Depuis le premier jour, nous avons appuyé toutes les commissions d’enquête internationales. Nous étions aussi prêts à appuyer toute enquête libanaise ou arabe. Le gouvernement libanais a choisi une commission internationale et nous avons appuyé. Bien sûr, notre soutien est d’ordre moral. Et les derniers rapports de la commission d’enquête ont salué la coopération de la Syrie. C’est pourquoi nous ne sommes pas inquiets et nous sommes convaincus de notre innocence. Nous n’avons aucun indice sur l’implication d’un Syrien dans cet assassinat. Aujourd’hui, on parle du tribunal international. Aucune personne, en Syrie ou au Liban, n’est contre ce tribunal. On a toutefois essayé de prétendre que la Syrie cherche à entraver ce tribunal et on a prétendu qu’elle est impliquée dans des assassinats au Liban, tout comme on lui attribue la responsabilité de toute paralysie interne au Liban sous prétexte qu’elle veut empêcher la création du tribunal. Si ce tribunal est professionnel, il n’y a aucun problème pour la Syrie. La relation de la Syrie avec ce tribunal doit être basée sur un accord. Nous avons coopéré avec les commissions d’enquête, tout en insistant pour préserver notre souveraineté. Ce sera la même chose avec le tribunal. Si on veut plus que le même niveau de coopération qui s’est établi avec les commissions, il faudra signer un accord entre la Syrie et l’instance internationale. Cela ne s’est pas encore fait. Une telle convention a été signée entre le Liban et l’ONU, mais pas avec la Syrie. Q : Comptez-vous évoquer le cas du témoin syrien Mohammad Zouhair as-Siddiq avec le président Sarkozy ? R : Non, je n’aborderai pas cette question avec le président Sarkozy. Mais les services syriens ont évoqué ce cas avec leurs homologues français, car as-Siddiq était emprisonné en France et il s’est « évadé » vers d’autres pays. Il y a des informations contradictoires sur sa destination. La France doit assumer ses responsabilités sur ce sujet et le témoin doit se présenter devant la commission internationale. Q : La Syrie est accusée de s’ingérer en permanence dans la politique interne libanaise. Qu’en pensez-vous ? R : Comment définit-on les ingérences ? Nous avons des relations étroites avec des Libanais. Chaque jour, des personnalités libanaises viennent en Syrie et nous discutons avec elles. Il nous arrive même de leur donner des conseils, qu’elles suivent ou non, cela les regarde. C’est une relation quotidienne. Si cela est considéré comme une ingérence, il faut alors couper toute relation avec les Libanais. Avec les Français et les autres, nous discutons aussi de tous les problèmes. Même si nous précisons qu’il s’agit de questions internes, nous en parlons quand même. C’est cela le dialogue. De plus, pourquoi parler avec quelqu’un si vous êtes sûrs que vous ne pourrez pas l’influencer ou être influencé par lui ? Ils appellent cela de l’ingérence, nous l’appelons une relation. Q : Pensez-vous que l’Iran aura bientôt une arme nucléaire ? Et grâce à vos relations avec ce pays, pourrez-vous faire en sorte d’éviter le scénario d’une guerre régionale ? R : Nous discutons avec l’Iran de ce sujet et il est clair que ce pays ne veut pas se doter de l’arme nucléaire. Mais l’Iran a le droit d’avoir un programme nucléaire civil, selon les conventions internationales. Le problème, c’est qu’on veut priver l’Iran de son droit à un programme nucléaire civil. Les négociations portent sur ce point précis. Les Iraniens nous disent « c’est illogique ; ils ne nous donnent aucune raison valable pour nous priver d’un tel droit. S’ils craignent que nous arrivions à fabriquer la bombe nucléaire, nous pourrons en parler, mais qu’ils commencent par reconnaître notre droit ». Q : Si l’Iran n’avait rien à cacher, pourquoi l’AIEA rencontrerait-elle des difficultés dans ses inspections ? R : Ils ne sont pas d’accord sur le principe. Il faut commencer par le début : l’Iran a le droit de produire un programme civil. Ensuite, il y aura une inspection, des négociations, etc. Q : Quid du programme nucléaire syrien ? R : Nous avons un réacteur expérimental mis en place avec l’aide de l’AIEA. Il y a des visites et une coopération réciproques. Mais ce réacteur ne produit pas de l’énergie nucléaire. Q : Pensez-vous que le changement de président aux États-Unis aura un impact sur la situation dans la région ? R : Certainement. Le tout est de savoir à quel point. Je crois qu’aucun président, même s’il appartient aux néo-conservateurs, ne pourra poursuivre la politique du président Bush. Car cela signifiera qu’il va échouer. Il y aura donc un changement, mais nous n’en connaissons pas l’importance. En Syrie, nous ne misons d’ailleurs pas beaucoup sur les personnes. Surtout que ce qui se dit dans les campagnes électorales est totalement différent de ce qui se passe après les élections. Q : À propos de l’assassinat de Imad Moghniyé, la Syrie avait annoncé les résultats de l’enquête quelque temps après l’assassinat, et rien n’a été divulgué. Certains disent que la Syrie a laissé faire cet assassinat pour entamer sa réhabilitation au sein de la communauté internationale… R : Premièrement, nous ne connaissions pas l’apparence de Imad Moghniyé. Nous avions entendu parler de lui dans les médias. Même les gens qui l’ont connu ont découvert sa véritable identité après son assassinat. Deuxièmement, et plus important, aucune partie au monde n’avait demandé à la Syrie d’arrêter Imad Moghniyé, pour que nous cherchions à le capturer pour lui faire plaisir. Troisièmement, notre expérience avec ce qu’on appelle la communauté internationale nous a montré que quoi que vous fassiez, elle ne sera jamais satisfaite. Je suis réaliste. Quatrièmement, et c’est là le plus important, un assassinat ou un incident sécuritaire en territoire syrien nuit à la Syrie. Cinquièmement, c’est contre nos principes. Q : Pourquoi avez-vous encore des prisonniers politiques dans vos geôles et pourquoi, par exemple, Michel Kilo est-il encore en prison ? R : À ceux qui parlent de prisonniers politiques, je voudrais demander la signification de cette expression. Les terroristes sont-ils des prisonniers politiques ? Ceux qui mettent en cause la sécurité de leur pays sont-ils des prisonniers politiques ? Nous avons dans nos prisons des terroristes et des gens qui ont menacé la sécurité nationale. Mais nous n’avons pas des gens emprisonnés parce qu’ils se sont opposés à nous. C’est contre la loi et cela n’existe pas dans la réalité. La loi syrienne évoque des cas particuliers. Par exemple, il est interdit de provoquer des conflits confessionnels ou religieux. Il est aussi interdit de collaborer avec une partie étrangère hostile à la Syrie. Certains des prisonniers que vous avez cités ont collaboré avec une partie libanaise qui a ouvertement appelé les États-Unis à envahir la Syrie. Or, cette partie est classée comme hostile à la Syrie, et coopérer avec elle est puni par la loi. Mais nous n’avons pas en Syrie des cas comme celui de l’écrivain Roger Garaudy qui est entré en prison parce qu’il avait contesté l’Holocauste... Il faut cesser de regarder notre situation avec les seuls critères occidentaux. Il faut nous voir à travers notre réalité sociale et nos problèmes. En tout cas, nul n’a relevé le fait que nous avons libéré des milliers de Frères musulmans qui avaient accompli des actes contre la sécurité nationale dans les années 80. On parle de dix prisonniers et on omet les milliers libérés. Cela ne signifie pas que nous sommes parfaits et que nous avons atteint un degré élevé de démocratie. Nous accomplissons des pas étudiés dans le sens de la démocratie. Ils sont lents et tributaires de la conjoncture politique générale et de la situation de l’extrémisme. C’est un long chemin et nous sommes encore au début. Mais il est faux d’affirmer que nous faisons du surplace ou que nous reculons. Q : Vous aviez évoqué, dans votre discours d’investiture en 2007, une loi moderne sur les partis. Quand cette loi sera-t-elle promulguée ? R : C’est vrai, j’avais évoqué une telle loi dans mon discours d’investiture. Et j’avais dit que nous sommes en retard car nous avions annoncé cela en 2005. Mais dans cette même année, les grands problèmes de la Syrie ont commencé. Ensuite, la montée de l’extrémisme et la pauvreté, ainsi que les pressions internationales nous ont poussés à modifier nos priorités. Notre principal souci a donc été la sécurité et la situation économique. Nous avons dû faire face à de nombreux problèmes, dont le bombardement du site syrien par Israël. Aujourd’hui, nous avons quatre projets : une loi sur les partis, une loi électorale, une loi sur l’administration locale et l’élargissement de la participation parlementaire par le biais de la création d’une sorte de Sénat. Je crois que 2009 sera une année productive en ce domaine, surtout avec les ouvertures qui s’annoncent. Elles peuvent nous aider. Q : On avait parlé d’une visite que vous feriez au Liban après l’élection du président Sleiman. Quand comptez-vous la faire et ouvrir une ambassade syrienne à Beyrouth ? R : J’ai entendu parler de cette visite par la presse comme vous. Je suis déjà allé au Liban en 2002, et rien ne m’empêche de le faire de nouveau. Concernant l’ouverture d’une ambassade, c’est un autre sujet. C’est moi qui ai fait cette proposition en 2005 et non un Libanais, ni un « ami ni un ennemi de la Syrie ». Mais juste après cette proposition, les relations entre les deux pays se sont dégradées. En général, lorsque les relations se détériorent entre deux pays, ils ferment les ambassades et ne les ouvrent pas. Je crois qu’avec les nouveaux développements, nous pourrons discuter cette question avec le nouveau gouvernement. Nous n’avons pas de problèmes de principe sur la question et je l’ai déclaré à plusieurs reprises. Mais ce qui est drôle dans ce sujet, c’est que l’on considère que l’ouverture d’une ambassade équivaut à la reconnaissance de la souveraineté d’un pays. Or la Syrie a 50 ambassades dans le monde. Cela signifie-t-il qu’elle ne reconnaît pas les autres pays de la planète ? Q : Comptez-vous envoyer Rustom Ghazalé comme ambassadeur au Liban ? R : (Bachar Assad éclate d’un grand rire). Nous n’avons rien annoncé de tel. Q : Quand le dossier des détenus libanais en Syrie sera-t-il fermé ? Ne pensez-vous pas qu’il est temps de le faire, ne serait-ce que pour des raisons humanitaires ? R : C’est ce que j’ai moi-même dit à M. Mikati lorsqu’il m’a parlé de ce sujet au cours d’une visite en tant que Premier ministre en 2004. Nous avons proposé la formation d’une commission conjointe. Les Libanais parlent de quelques dizaines de détenus, nous avons 800 disparus syriens au Liban. Nous avons suggéré qu’une commission fasse une enquête sur le sujet. J’ai libéré les détenus libanais dans nos prisons lorsque j’ai été élu président. Soyons logiques. Que ferions-nous des prisonniers libanais ? Nous les maintiendrions pour effectuer un échange ? Si les détenus sont morts, nous le dirons, et s’ils sont morts au Liban alors que nos soldats y étaient et que nous avons des informations, nous le dirons aussi. Nous n’avons pas de problème. La question est que les Libanais n’évoquaient pas avant ce sujet. Nous pourrons en parler avec le nouveau gouvernement libanais. Propos recueillis par Scarlett HADDAD
C’est la première interview accordée par le président syrien à un média libanais depuis plusieurs années. Il est vrai que cela s’est passé dans le cadre de ses rencontres avec les médias français à la veille de sa visite à Paris, mais Bachar el-Assad a consacré une partie de son entrevue à L’Orient-Le Jour. L’entretien s’est déroulé dans un pavillon élégant, très vite...