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Actualités - OPINION

Le rôle des militaires dans le règlement des crises I- Un XXe siècle marqué par trois généraux

Par Abdel Hamid EL-AHDAB * Les militaires sont-ils aptes à résoudre les crises qui secouent les nations ? Si oui, quels militaires et selon quelle méthode ? La crise de 58 a été dénouée par un militaire, le général Fouad Chéhab, et la crise de 1975 a débouché sur l’avènement d’un autre militaire, le général Émile Lahoud. Ce qui n’était alors qu’une crise, très aiguë, bien sûr, et très grave, est devenu cent et mille crises… Les militaires seront-ils capables de résoudre la crise du devenir libanais après la faillite de tous les politiciens ? Quelque temps après sa démission de la présidence de la République française à l’issue du «?non?» opposé par les Français au référendum qu’il avait organisé, le général de Gaulle s’était rendu en Espagne. Il s’agissait d’un voyage touristique et culturel, mais les impératifs du protocole l’avaient amené à rencontrer le chef de l’État espagnol, le général Franco. La rencontre avait duré plus d’une heure, à l’issue de laquelle de Gaulle avait affirmé avoir dit à Franco?: «?Après inventaire, vous avez été positif pour l’Espagne.?» Beaucoup furent étonnés de ce certificat de bonne conduite délivré par un militaire symbole de la démocratie et de la liberté à un autre militaire symbole de la dictature. Le XXe siècle avait vu trois militaires accéder au pouvoir après la faillite des hommes politiques. Ils avaient nom de Gaulle, Franco et Eisenhower, ce dernier ayant, en sus de son exercice démocratique du pouvoir, mis fin aux visées impériales d’un autre général du nom de MacArthur. Le certificat donné par de Gaulle à Franco mérite que l’on s’y arrête. On retrouverait la même situation si le général Fouad Chéhab disait au général Émile Lahoud : «?Après inventaire, vous avez été positif pour le Liban?!?»? Le général de Gaulle a sauvé la France à trois reprises, dont deux fois du danger de la guerre civile, recourant à chaque fois aux règles de la démocratie : la première fois en refusant d’avaliser la défaite infligée par l’Allemagne hitlérienne, défaite que les politiciens avaient déjà entérinée en acceptant de dissoudre le Parlement et de remettre le pouvoir au maréchal Pétain. Nous connaissons la suite : le voyage à Londres et la formation du gouvernement de la France libre, celle qui a participé à la guerre aux côtés des Alliés et permis à la France de conserver son statut de grande puissance disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. La France l’a remercié, mais ne l’a pas maintenu au pouvoir parce qu’il en est ainsi dans les démocraties où il n’y a ni idoles ni idolâtres. La deuxième expérience a été celle de l’Algérie. L’armée française s’était insurgée contre la faillite de la classe politique. Elle a réclamé de Gaulle et celui-ci n’a accepté le pouvoir qu’à travers le jeu des règles institutionnelles, aux termes d’un mandat du président de la République et après un vote du Parlement. L’armée s’est ensuite rebellée contre ce même de Gaulle, qui avait commis le péché d’accorder à l’Algérie son indépendance après avoir compris qu’en menant cette guerre, la France s’était enlisée dans des sables mouvants. Elle risquait, en la continuant, d’être isolée du monde et il n’y avait pas d’espoir qu’elle la gagne. D’où l’adoption d’une politique visant paradoxalement à libérer la France de l’Algérie ou plus précisément du problème algérien. Dans la perspective de l’indépendance, si ce n’était l’insolence et la sottise de l’OAS à l’époque, la formule qu’avait trouvée de Gaulle pour le million de colons français leur aurait permis de demeurer en Algérie et d’y vivre en paix (non en tant que citoyens privilégiés avoisinant des citoyens de seconde zone, mais dans un esprit d’égalité et en symbiose avec la population autochtone). Les exaltés de l’OAS ne l’ont pas accepté et ont fomenté un putsch mis en échec par de Gaulle qui avait lancé son célèbre appel au peuple français : «?Moi, de Gaulle, disait-il, je demande votre aide. J’ai besoin de vous.?» La France a, bien entendu, répondu présente à son appel et l’armée française a étouffé la rébellion dans l’œuf. Un référendum a suivi qui portait sur l’indépendance de l’Algérie et dans lequel le «?oui?» a recueilli 80 % des voix. La troisième épreuve à laquelle de Gaulle a dû faire face est celle des jeunes universitaires nourris aux écrits de Mao et de Marcuse, prenant pour idole le «?Che?», qui ont fait régner l’anarchie dans les rues proches de leurs facultés. La jeunesse universitaire voulait transformer la société française. Elle fut suivie par les syndicats (de gauche ou autre) puis par les partis de gauche. La France entière s’était retrouvée paralysée et l’atmosphère était au chaos. De Gaulle a eu alors l’idée d’opérer un électrochoc et a fait le voyage de Baden-Baden brandissant la menace d’un recours à l’armée. L’électrochoc a fait son effet et le volcan s’est brusquement éteint. De Gaulle a alors dissous le Parlement et appelé à des élections législatives dans lesquelles les gaullistes ont emporté 80 % des sièges. Franco avait supprimé tous ses adversaires. Il s’était emparé du pouvoir et l’avait conservé pendant quarante longues années. Schématiquement, la guerre civile avait opposé les républicains soutenus par les communistes, aux Phalanges (espagnoles celles-là, mais néanmoins fascistes) soutenues par l’Italie mussolinienne et l’Allemagne hitlérienne. L’Europe entière participa à la guerre, qui redoubla d’intensité et devint, pour tous, une guerre opposant le bien au mal. Ce fut un incendie qui enflamma les esprits. La guerre civile avait commencé parce que la droite espagnole ne pouvait supporter l’idée d’un gouvernement socialiste formé à la suite des élections. Cette droite regroupait la royauté, le clergé et les féodaux. On trouvait, dans le camp opposé, la gauche et les libéraux.? Des appels furent lancés au milieu de cette boucherie. On entendait et on lisait : «?Espagnols, vous n’avez plus d’État?» ; «?Lorsque nous avons demandé une solution, ils nous ont ôté la liberté?» et «?lorsque l’on a demandé la liberté, on a obtenu un cirque donné en spectacle par la classe politique?». De même : «?Ne nous leurrons pas. Tout pays peut vivre sous un régime royal ou républicain, un régime présidentiel ou parlementaire, un régime communiste ou fasciste, mais aucun pays ne peut vivre dans l’anarchie. Nous avançons aujourd’hui dans le cortège funèbre de la démocratie.?» La guerre civile espagnole a pris fin par la prise de pouvoir de Franco, le chef d’état-major de l’armée. Il avait lié amitié avec Hitler et Mussolini, mais il a changé d’alliance après la fin de la Seconde Guerre mondiale et est devenu plus américain que les Américains. Pendant quarante ans, il a offert à l’Espagne la «?sécurité?» et la pauvreté, mais il a mis fin aux bains de sang. La sécurité a eu pour contrepartie le vol de la liberté et l’étouffement de la démocratie. Lorsque le prêtre s’est approché du lit de Franco agonisant pour lui demander s’il avait pardonné à ses ennemis, celui-ci s’est écrié : «?Mes ennemis ? Je n’ai pas d’ennemis, je les ai tous tués.?» En Europe, tous les chemins mènent à Rome. Au Liban, depuis 1943, tous les chemins mènent à la discorde et aux querelles aiguës. Qui sera Michel Sleiman, dont le discours d’investiture, pourra servir de cadre pour le dialogue et pour l’élaboration d’une charte nationale apportant une solution aux problèmes pendants dans l’attente du règlement du conflit régional qui oppose la Syrie et l’Iran à la douce Amérique et au gentil Israël?? Ce discours est un peu moins fort que celui de De Gaulle et beaucoup moins violent que celui de Franco. Il est une tentative de restituer au Liban sa jeunesse. Mais il n’est qu’un vœu pieux. Le vrai problème demeure non résolu. * Avocat
Par Abdel Hamid EL-AHDAB *

Les militaires sont-ils aptes à résoudre les crises qui secouent les nations ? Si oui, quels militaires et selon quelle méthode ?
La crise de 58 a été dénouée par un militaire, le général Fouad Chéhab, et la crise de 1975 a débouché sur l’avènement d’un autre militaire, le général Émile Lahoud. Ce qui n’était alors qu’une crise,...