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Actualités - OPINION

Une autre voie est possible

L’accord de Doha du mercredi 21 mai a permis de mettre fin à une situation de quasi-guerre civile au Liban. On ne peut que se réjouir de cette solution pacifique obtenue au bord du gouffre. Malgré le bien-fondé de la réjouissance collective, cet accord ne peut fournir à lui seul une réponse viable aux multiples problèmes que connaît le Liban, et ce pour trois raisons principales?: 1. Si les médias et la communauté internationale se sont félicités de la reprise du «?dialogue entre communautés?» et prônent activement la «?coexistence des communautés?», l’accord de Doha consacre avant tout l’art consommé d’accords politiques de circonstance conclus régulièrement entre une poignée de chefs féodaux et communautaires. Depuis plus de cinquante ans, la communauté des leaders politiques libanais alterne périodes d’amitié et de fraternité (qui se manifeste par un partage des fonctions politiques et administratives et des richesses du pays) et périodes, plus ou moins longues, de conflits larvés, voire ouverts (avec pour objectif une nouvelle répartition des fonctions et richesses). Aujourd’hui, un nouvel accord vient d’être conclu, mais il semble évident que sa durée de vie sera limitée, au mieux jusqu’aux prochaines élections législatives de 2009. 2. Ces alternances de guerre/réconciliation ont pour dénominateur commun le fait de se produire sous supervision internationale, chaque puissance régionale ou internationale comptant sur sa clientèle locale pour promouvoir ses intérêts. Si la diplomatie qatarie s’est illustrée par sa neutralité apparente pendant les négociations, la présence indiscrète de nombreux ministres d’État étrangers lors de la prestation de serment du nouveau président de la République laisse deviner une volonté des puissances étrangères de maintenir leur influence au Liban. Quelle souveraineté et quelle indépendance possède réellement un État dont le destin des dirigeants politiques est à ce point dépendant de puissances extérieures?? 3. L’accord de Doha porte avant tout sur des modalités de partage du pouvoir entre formations politiques durant une période transitoire et non sur la construction citoyenne d’un État civil. Si le texte de l’accord cite l’édification d’un État de droit comme objectif du dialogue national à venir, la paix et le progrès durables ne seront possibles que par le biais du renouvellement profond de la classe politique. En effet, comment espérer la construction d’un État de droit par des chefs féodaux et communautaires qui risqueraient d’y perdre une partie considérable de leur influence?? En réalité, les cinq dernières années ont marqué la désintégration progressive du consensus de Taëf, qui constituait déjà, à l’époque, un expédient, une réconciliation des chefs. Ceux-là même qui n’oublièrent d’ailleurs pas de s’autoamnistier des crimes de la guerre civile de 1975-1989. L’exaspération populaire et la montée des tensions entre Libanais de confessions différentes devrait être une aberration et non un lieu commun. Comment des gens partageant tout (mode de vie citadin ou bien rural, goûts culinaires, culture, langue, etc.) et n’ayant pour spécificité que de pratiques religieuses peuvent-ils s’identifier avant tout à une communauté et à son chef au lieu de penser leur citoyenneté libanaise?? Le Liban a besoin aujourd’hui d’esprit critique et de remise en cause plutôt que de discours creux sur sa «?vocation de message?» et son «?modèle de coexistence?». Le Liban est en réalité un contre-modèle?: une population que tout rassemble réussit pourtant à se diviser. Le Liban n’est pas divisé en ethnies, parlant des dialectes différents, ayant des référents passés et culturels différents, vivant au jour le jour différemment, dont la vie commune serait un «?miracle?» et un «?modèle?». L’enjeu pour la jeune génération libanaise n’est évidemment pas de nier la réalité sociale du fait communautaire, mais d’ouvrir un espace public de débat afin de remettre en question la classe gouvernante, dont le caractère héréditaire, féodal et clientéliste est le principal obstacle au progrès de ce pays. Le consensus entre forces politiques doit laisser place à un véritable consensus citoyen. Ce consensus existe déjà très certainement au sein de la population civile, dans la ligne de la pensée des pères fondateurs de l’indépendance libanaise. Il repose sur quatre axes fondamentaux?: – Le progrès économique et social, face la déroute de l’économie de rente libanaise?; – Une indépendance pleine et entière, hors de toutes les immixtions extérieures?; – Le développement d’une capacité nationale de défense face aux agressions israéliennes, dans le cadre d’un partenariat renforcé, qui pourrait s’incarner, par exemple, par une fusion entre la Résistance et l’armée?; – L’édification d’un véritable État de droit, civil, permettant aux individus de développer une relation de citoyenneté directe avec les institutions étatiques. L’édification de ce consensus ne sera possible que si un travail de catharsis sur la «?déchirure libanaise?» est enfin accompli?: pourquoi ne pas profiter de la mise en place d’un tribunal spécial international chargé de connaître de l’assassinat de l’ancien président du Conseil Rafic Hariri pour mettre en place un tribunal citoyen national afin de juger enfin une classe politique qui n’a pas hésité à conduire des centaines de milliers de personnes à la mort?? L’amnistie votée par les chefs de milices à la fin de la guerre doit être remise en cause?; seule leur mise en jugement permettra, enfin, un véritable renouvellement de l’élite libanaise et l’émergence d’une jeunesse qui ne demande qu’à rester dans son pays et à prendre son destin entre ses mains. L’accord de Doha a permis à la majorité et à l’opposition de se retrouver. La place de la jeunesse libanaise ne peut être que dans la critique et l’opposition permanente, tant qu’elle n’aura pas réussi à se faire entendre. C’est donc à la jeune génération de libérer un espace public de débat et de critique, vecteur d’expression de ses revendications, afin qu’une autre voie soit enfin possible au Liban. Mounir CORM
L’accord de Doha du mercredi 21 mai a permis de mettre fin à une situation de quasi-guerre civile au Liban. On ne peut que se réjouir de cette solution pacifique obtenue au bord du gouffre. Malgré le bien-fondé de la réjouissance collective, cet accord ne peut fournir à lui seul une réponse viable aux multiples problèmes que connaît le Liban, et ce pour trois raisons...