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Actualités - REPORTAGE

Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, analyse l’efficacité de l’assistance et la nécessité ou non de l’imposer dans certains cas L’aide humanitaire internationale en question Propos recueillis par Karine JAMMAL

Tremblement de terre au Pakistan en octobre 2005, tsunami en Asie du Sud-Est, le cyclone Nargis, en début de mois en Birmanie, séisme en Chine... Alors que l’Asie a été frappée, ces dernières années, par de nombreuses catastrophes naturelles de grande ampleur, de nouveaux débats se sont ouverts. Rony Brauman, spécialiste de la question et ancien président de Médecins sans frontières, revient sur la question de l’efficacité de l’aide internationale, du rôle des médias et de la nécessité, ou non, d’imposer l’aide dans certains cas, comme celui de la Birmanie. Depuis le tsunami de décembre 2005 en Asie du Sud-Est, le débat sur l’efficacité de l’aide internationale est rouvert. « Il n’y a pas de campagne comparable à celle du tsunami et il n’y en aura pas dans le futur », avertit Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières. « Il faut prendre conscience que cette campagne était exceptionnelle », insiste-t-il avant d’ajouter qu’il ne faut pas prendre cette campagne comme référence, sinon « les autres situations de catastrophes naturelles seraient écrasées par celle du tsunami ». L’un des faits marquant de la campagne d’aide aux sinistrés du tsunami fut l’impression d’une prolifération d’ONG. « C’est un phénomène ancien qui a déjà 30 ans, mais qui s’est amplifié avec le temps », précise M. Brauman. Cette prolifération a-t-elle des conséquences sur l’efficacité de l’aide ? Dans certains cas, « on assiste à des actions très salutaires, dans d’autres, l’efficacité de l’aide est parfois discutable. Après le tsunami, on a pu remarquer que les actions menées étaient plus mauvaises que bénéfiques », souligne M. Brauman. L’efficacité de l’aide « dépend avant tout de l’évaluation correcte des besoins » par les organisations et surtout de « l’expérience des personnes qui sont sur le terrain (pompiers, militaires, fonctionnaires d’ONG)... », ajoute le médecin. « L’inexpérience de certains est plus un fardeau qu’une aide pour les populations. Dans ces cas-là, il est préférable de réduire l’aide », assure-t-il. Il faut que les différentes organisations « tirent les leçons des situations précédentes analogues, il faut également prendre en compte les capacités de réponses adaptées. En Birmanie, ces conditions ne sont pas vraiment réunies, il n’y a pas de gens expérimentés sur le terrain », affirme M. Brauman. Pour éviter ce genre de situation, il n’y a qu’une seule solution : «Il faudrait que les gouvernements des pays touchés par une catastrophe assurent une sélection des ONG qui proposent des secours et qu’ils exigent que ces organisations aient un minimum d’expérience dans ce domaine », estime M. Brauman. Le rôle des médias Les médias jouent également un rôle important lors de la gestion des catastrophes naturelles. « Les médias crédibles et les autorités crédibles sont des instruments très précieux de la gestion des crises », souligne M. Brauman. La Chine est à ce niveau, un bon exemple. Le régime chinois, d’habitude très fermé et qui impose une censure stricte, a fait preuve de transparence, suite au séisme de magnitude 8 sur l’échelle de Richter qui a frappé le 12 mai le sud-ouest de la Chine faisant plus de 80 000 morts et disparus. « Le fait que les autorités aient fait preuve de transparence, qu’elles aient laissé les médias travailler, qu’elles aient expliqué à la population ce qu’elles allaient faire (les différentes étapes, le dispatching des secours) a permis d’enrayer la panique », affirme M. Brauman. Ce qui permet d’accroître le niveau d’efficacité des secours et d’établir « une relation de confiance ». Dans d’autres cas, les médias jouent un rôle plus pervers. Lorsque les médias diffusent une fausse alerte, ils ont un rôle considérable d’amplificateur. « En ce qui concerne les secours d’urgences, certains médias créent de fausses nouvelles accompagnées de croyances infondées », explique M. Brauman. Les questions d’épidémies (avec risque de mortalité) et de famines en Chine ou en Birmanie occupent par exemple une place importante dans les médias aujourd’hui, « or le risque est extrêmement faible. Il faut fonctionner par priorité. Parfois, la peur est utilisée pour créer des conditions favorables à l’imposition de l’aide. On chamboule l’ordre des priorités réelles et l’on créée des besoins virtuels », affirme M. Brauman. Imposer l’aide ? Ces derniers jours, la communauté internationale s’est indignée face au refus de la junte birmane de faciliter l’accès de l’aide aux sinistrés du cyclone Nargis. Un comportement qui a posé la question de l’imposition de l’aide. « Ce qui se passe en Birmanie n’est pas une situation commune, un pays qui se verrouille à ce point face à l’aide internationale est rare. Dans ce cas, il faut être capable d’exercer une pression avec tact, il ne faut pas faire perdre la face au régime, il ne faut pas que l’aide soit perçue comme une concession de la part de la junte », insiste M. Brauman. « La Birmanie semble être plus ouverte à ses voisins et alliés asiatiques, il y a d’ailleurs une pression continue de ces derniers sur le régime pour qu’il ouvre ses portes à l’aide. Le chef de la junte, par son déplacement dans les zones sinistrées, prend conscience de l’ampleur du désastre, je ne sais pas si le problème sera résolu, mais pour l’instant les choses vont dans le bon sens », explique M. Brauman. De fait, s’il a mis longtemps à réagir, le régime militaire a finalement entrouvert ses portes récemment, laissé des bateaux chargés d’aide accoster sur ses côtes, accueilli plus d’avions et accordé des visas à certains humanitaires. « Tout cela permet d’être plus confiant qu’au début de la crise », affirme le médecin. « L’aide est importante certes, mais il ne s’agit pas de secours vitaux. Nous ne sommes pas dans une situation où une maison brûle, les habitants sont dedans et les pompiers à l’extérieur regardent avec impuissance les habitants mourir brûlés vifs. Oui, les Birmans sont dans une immense précarité, ils sont dans une détresse affective et économique, mais ils ne sont pas menacés de mort imminente. Il n’y a pas d’épidémies, pas de famine », insiste M. Brauman. Les travailleurs humanitaires envoient des ustensiles de cuisine, des bâches en plastique pour récupérer l’eau de pluie, des pastilles qui désinfectent l’eau, des vivres pour remplacer les stocks détruits. « Il n’y a pas de chirurgie, de vaccination, de réponse à la famine. Je ne dis pas que les Birmans n’ont pas besoin d’aide, bien au contraire. Mais répondre à une extrême précarité n’est pas la même chose que de répondre à un danger de mort », explique le spécialiste. La communauté internationale répète « que chaque heure compte, qu’il faut forcer un passage pour acheminer l’aide. C’est un mauvais diagnostic », s’exclame l’ancien président de Médecins sans frontière. « Il ne faut pas, en outre, un mécanisme de contrainte en général. Les effets de la contrainte sont pires que la situation à laquelle cette contrainte veut répondre. Elle créera ensuite des crispations, un bannissement des étrangers. Nourrir un discours facile se résumant à une dénonciation de la dictature, ce n’est pas rendre service à la population », affirme M. Brauman. Le processus de vérification La gestion des crises doit également faire face à un autre défi : comment être sûr que l’aide parvient effectivement aux sinistrés dans des pays « peu démocratiques » ? « Le seul moyen d’être sûr que l’aide arrive aux sinistrés, c’est d’avoir sur le terrain des personnes indépendantes », explique le spécialiste. Une condition impossible à remplir en Birmanie, où les travailleurs humanitaires déployés sur le terrain sont essentiellement birmans. « Ces personnes ne sont pas en mesure de résister aux pressions des militaires birmans. Étant donné la situation, on ne peut qu’espérer que les autorités fassent passer une quantité raisonnable de secours », ajoute M. Brauman. « Dans le cas contraire, la population va probablement finir pas protester, manifester. Il ne faut pas sous-estimer la population, ce n’est pas un sujet passif, mais un acteur de l’aide », souligne le spécialiste. L’aide d’urgence (les abris, la nourriture...), ce sont les sinistrés eux-mêmes qui l’assurent. « Les sinistrés ne sont pas passivement soumis. C’est un véritable enjeu humain, social et politique », estime le médecin. « De toutes les manières, il faut rester lucide, il ne peut y avoir un véritable contrôle total de l’arrivée de l’aide aux sinistrés », conclut Rony Brauman.
Tremblement de terre au Pakistan en octobre 2005, tsunami en Asie du Sud-Est, le cyclone Nargis, en début de mois en Birmanie, séisme en Chine... Alors que l’Asie a été frappée, ces dernières années, par de nombreuses catastrophes naturelles de grande ampleur, de nouveaux débats se sont ouverts. Rony Brauman, spécialiste de la question et ancien président de Médecins sans...