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Actualités - OPINION

Une lettre de trop

Cela a été dit et répété, écrit noir sur blanc, crié sur tous les toits : les Libanais sont malades de leur verbe, se nourrissent, s’empoisonnent de leur verbe. Ils s’y soumettent, s’y livrent sans retenue, et, quand le mal s’installe, quand la parole cède la place à l’acte, quand le verbe devient arme de poing, fusil ou canon, c’est alors l’hallali, la folie collective. Les guerres commencent toujours par des mots, elles finissent immanquablement par des morts : une lettre de trop, des vies en moins. De février à mars, de mai en juillet, la longue litanie des mois létaux, des souvenirs macabres. Hier, à couteaux tirés, aujourd’hui, par la grâce de Doha, réconciliés sur un parterre de gardénias. Fallait-il passer de la parole à l’acte pour en arriver là ? Un scénario éculé, maintes fois mis en scène, chaque fois maculé de sang, englué dans des épisodes nauséabonds. Le péché originel, admettons-le, est dans la non-reconnaissance des erreurs passées, dans le refus de tirer des échecs répétés, des victoires illusoires les leçons qui s’imposent. Cette fois, la catastrophe, l’horrible « fitna », a été évitée de justesse. Une occasion inespérée se présente pour recoller les morceaux, pour bâtir l’avenir sur de nouvelles bases. Prenons le Hezbollah au mot : un État pour tous, une participation de tous au pouvoir, un dialogue ultérieur sur les armes de la Résistance, ces armes dussent-elles être préservées pour garantir, précisément, la pérennité de l’État face aux agressions externes. Mais, en contrepartie, plus de décision unilatérale, plus de recours aux armes sur la scène interne. C’est là où intervient le président Michel Sleimane, c’est là où le discours d’investiture, celui qui doit constituer la quintessence de la déclaration ministérielle, prend toute son importance. Demain est un autre jour : les alliés d’hier peuvent devenir les adversaires de demain et les adversaires d’hier, les alliés de demain. Ainsi va la vie politique, ainsi se perpétue le processus démocratique. Une parenthèse s’impose à ce stade de la réflexion : Hassan Nasrallah, dans son dernier discours, s’est lourdement trompé sur un point essentiel : victorieuses après toute libération, les Résistances ne prennent pas nécessairement le pouvoir ; au contraire, elles s’intègrent aux institutions officielles et participent à la réhabilitation de l’État de droit. Là où la Résistance arrache le pouvoir et se l’approprie, c’est la dictature qui s’installe, ou à défaut, un régime autoritaire bien éloigné des principes démocratiques. La Résistance, en y perdant sa raison d’être, y perd aussi son âme. Au Liban, pays de communautés minoritaires, toute tentative de ce genre signifierait des guerres civiles sans fin. « Estimez-vous heureux que je ne l’aie pas fait », avait l’air de dire Hassan Nasrallah. C’est là où il s’est gouré. Cela ne peut, tout simplement, pas se faire, et c’est la raison pour laquelle le Liban ne tombera jamais dans « l’unilatéralité » ou le totalitarisme. Son destin est et restera la lutte incessante pour la primauté de l’État de droit. Un président depuis une semaine, un gouvernement dans les jours qui viennent, des élections législatives dans un an : les institutions sortent enfin de leur léthargie forcée, ne boudons pas la bonne nouvelle ! « Étonnant pays, si paradoxal, si proche de notre cœur, où du meilleur sort souvent le pire, et aussi, parfois, du pire surgit le meilleur. » Ainsi concluait sa chronique un ami du Liban, Jacques Julliard, dans le dernier numéro du Nouvel Observateur. Réussirons-nous, un jour, à faire en sorte que du pire surgisse toujours le meilleur ? Nagib Aoun
Cela a été dit et répété, écrit noir sur blanc, crié sur tous les toits : les Libanais sont malades de leur verbe, se nourrissent, s’empoisonnent de leur verbe. Ils s’y soumettent, s’y livrent sans retenue, et, quand le mal s’installe, quand la parole cède la place à l’acte, quand le verbe devient arme de poing, fusil ou canon, c’est alors l’hallali, la folie...