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Actualités - OPINION

Les bis qui tuent

Les catastrophes, les tragédies, les guerres surtout, plus particulièrement les guerres civiles, ont cela de positif (pardon pour l’incongruité du propos) qu’elles débouchent inévitablement sur des remises en question, sur des interrogations qui se traduisent parfois par des sursauts de conscience, de douloureuses repentances. Les sujets tabous tombent, alors, l’un après l’autre, et les protagonistes se voient contraints d’évoquer les sujets sensibles, ceux qu’ils gardaient sous le boisseau, sous des amas de peurs ou de mensonges. Dire, dans le cas du drame libanais, que les murs de l’imposture ou de l’irresponsabilité se sont effondrés, que l’heure des mea culpa, des autocritiques publiques a enfin sonné, ce serait évidemment aller trop loin, occulter le fait que les blessures, les divergences sont trop profondes pour qu’un simple coup de baguette magique réussisse à ramener les trublions dans le « droit chemin », la voie royale dégagée par une volonté arabe commune, plus inquiète que jamais face aux dérives communautaires qui risquent d’échapper à tout contrôle. Force est de constater que la gifle assénée à la notion même d’État, que l’infamie qui a marqué, ces derniers jours, l’action des « redresseurs de torts », que la colère, les cris de vengeance des mères, des pères des nouvelles places de Mai, celles qui s’étendent de Beyrouth-Ouest à Aley, de Tripoli à Choueifate, ont créé une nouvelle donne, ont tracé dans le sang et dans l’humiliation les limites du tolérable, de l’acceptable. En clair, le Hezbollah, sans probablement l’avoir pressenti, a ouvert les portes de l’enfer, celles qu’il ne pouvait espérer refermer qu’en se ralliant à la médiation arabe, jugée pourtant suspecte jusqu’au début de ce funeste mois de mai, qu’en se résignant, nonobstant ses dénégations, à voir son arsenal militaire placé sur la table des négociations. « Nous couperons la main de tout traître qui oserait s’approcher de nos armes, contester leur sacralisation », menaçaient il y a encore moins d’un mois les caciques du parti. Voilà qu’aujourd’hui la question est posée dans toute son acuité, examinée sous la loupe arabe, pour la simple raison que les fusils, les obus de la Résistance se sont fourvoyés dans les ruelles de Beyrouth-Ouest et de Aley, ont tué non des agresseurs israéliens, mais des civils qui avaient pourtant ouvert leurs portes aux réfugiés chiites de l’horrible guerre de juillet 2006. Que le Qatar ait proposé de s’occuper directement de ce dossier n’en est que plus significatif. Proche du Hezbollah et de la Syrie, « acoquiné » avec les Américains, sans complexe aucun dans ses rapports avec Israël, l’émirat aux multiples casquettes sait dresser le bilan des pertes et profits, flairer la nouvelle direction des vents. S’il est vrai que l’agenda du conclave de Doha a porté nommément sur la loi électorale et la composition du prochain gouvernement, il est non moins vrai que le règlement de ces deux questions et leur « bétonnage » ultérieur restent fonction des engagements qui seraient pris concernant l’avenir sécuritaire et stratégique du potentiel militaire du Hezbollah. Réitérer l’expérience désastreuse de l’accord du Caire, à la lumière des acquis militaires de l’opposition dans les rues de Beyrouth et les localités de la montagne druze, équivaudrait à légitimer les périmètres sécuritaires établis par le parti chiite au détriment des institutions de l’État, de l’armée en particulier dont le chef est appelé à assumer, incessamment, les plus hautes charges de la République. « L’usage des armes de la Résistance dans des combats intérieurs est un service rendu à Israël », a asséné, samedi, le général Michel Sleimane. Une déclaration à connotation d’ores et déjà présidentielle qui confirme qu’au-delà des débats byzantins sur la loi électorale et la composition du gouvernement, c’est l’armement du Hezbollah qui reste l’élément-clé, un État dans l’État noirci par l’infamie du mois de mai et qui ne saurait, en aucun cas, être légitimé par un accord du Caire bis. Des limites ont été posées, celles que le Hezbollah a transgressées avant de faire rapidement machine arrière. De nouvelles lignes rouges que le Qatar a définies autant au nom des pays sunnites, de l’Arabie saoudite en particulier, que des pays occidentaux, l’objectif étant de restabiliser la scène libanaise, de tuer dans l’œuf tout risque ou projet de guerre civile sunnito-chiite. Et qu’en est-il d’Israël, me diriez-vous ? C’est là, bien entendu, une tout autre affaire. Le Qatar, toujours lui, pourrait bien avoir la réponse à cette question. Nagib AOUN
Les catastrophes, les tragédies, les guerres surtout, plus particulièrement les guerres civiles, ont cela de positif (pardon pour l’incongruité du propos) qu’elles débouchent inévitablement sur des remises en question, sur des interrogations qui se traduisent parfois par des sursauts de conscience, de douloureuses repentances.
Les sujets tabous tombent, alors, l’un après l’autre,...