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Actualités - CHRONOLOGIE

UNE TOILE, UNE HISTOIRE «Le Verrou», de Jean-Honoré Fragonard

Tout comme François Boucher, Fragonard, surnommé également «?bon papa Frago?» et le «?galant Frago?» à cause de sa personnalité chaleureuse, est considéré comme le peintre de la frivolité et du rococo, bien qu’il ait peint dans de nombreux autres registres?: grands paysages inspirés de peintres hollandais, peintures religieuses ou mythologiques, ou scène de bonheur familial notamment. Ses gestes expressifs et gracieux, ses drapés pleins de vigueur et son dessin au trait virtuose reflètent le tourbillonnement du monde. Fragonard est le dernier peintre d’une époque sur le déclin et ses scènes de genres seront très vite rendues obsolètes par la dureté néoclassique de David et par la cruauté de la Révolution et de l’Empire. Ainsi, on peut distinguer dans l’œuvre de cet artiste du XVIIIe siècle quatre grands thèmes?: les portraits parfois allégoriques, les scènes amoureuses et légères, celles familières et enfantines, ainsi que les paysages. Si les scènes amoureuses sont nombreuses et variées, l’érotisme chez cet artiste se revêt de poésie. Tableaux frivoles d’une société légère et de ce qu’on appelait les «?Fêtes galantes?», ces scènes peuvent être lues à un niveau différent. On peut en effet y voir percer, souvent, une inquiétude, un sentiment de fin de fête. Les couples dans l’intimité, les belles qui s’épouillent, les endormies, tout ce petit monde de grâce est observé par un peintre qui nous rappelle que la jeunesse ne dure pas et que les moments de tendresse lascive sont fugaces et rares. Le père de l’érotisme Expression parfaite du désir à l’état pur, Le Verrou est considéré comme une des plus belles œuvres du siècle et le couronnement de l’œuvre de Fragonard. Un homme en chemise allonge un bras nu et musclé jusqu’à un verrou qu’il pousse du bout des doigts, tandis que, la tête retournée, il enveloppe d’un regard fou de désir la femme qu’il maintient de son autre bras?; celle-ci, désespérant d’elle-même, éperdue, repousse d’une main déjà molle la bouche de son amant. Dans cette toile, où l’artiste ne succombe jamais à la vulgarité, le réalisme est magnifié par la composition très élaborée. La présence de la pomme (évoquant le péché originel) et la cruche renversée symbolisent en effet la chute de la vertu, mais se font à la fois très discrètes. Le lit en désordre apparaît derrière un immense rideau rouge qui le théâtralise. L’élan des amants se transforme, par le rythme savant, en un parfait pas de danse. Mais le questionnement demeure?: s’agit-il d’un viol ou d’une scène d’amour?? La femme repousse-t-elle cet amant ardent?? L’acte a-t-il déjà été consommé?? Pourquoi le jeune homme ferme-t-il le verrou s’il y a eu déjà consommation ? Par ailleurs, tout semble indiquer qu’ils sont déjà passés sur le lit tant celui-ci est désordonné. Les multiples analyses effectuées sur ce tableau n’ont jamais abouti à une explication définitive et radicale, mais à des éventualités et à des suppositions. L’opacité demeure donc. «?Fragonard n’est pas homme à oublier dans le fond du tableau ce qu’il sait si bien. Ouvrir et défaire le lit, c’est là qu’est blotti le génie de l’artiste. Sitôt qu’il touche à la batiste des draps, à l’oreiller foulé, aux rideaux indiscrets, à la couche en désordre, il a la flemme, la lumière, la vie, l’ivresse. Il a l’esquisse brusque, l’attaque vive. Il est sur son terrain de victoire. Il a le feu sacré du XVIIIe siècle. Il a le diable au corps?», dit Goncourt. Pour sa part, dans Histoires de peintures, Daniel Arasse distingue dans la toile les personnages, mis en parallèle avec le rien formé par le lit. Arasse relie dans son explication la figuration totale avec le «?pratiquement rien?». Ce «?rien?» qui pourrait être la «?chose?», voire l’acte sexuel. Et qui est superbement évoqué par ce tourbillon de draperies, de tissus et de couleurs dans Le Verrou de Fragonard. Colette KHALAF
Tout comme François Boucher, Fragonard, surnommé également «?bon papa Frago?» et le «?galant Frago?» à cause de sa personnalité chaleureuse, est considéré comme le peintre de la frivolité et du rococo, bien qu’il ait peint dans de nombreux autres registres?: grands paysages inspirés de peintres hollandais, peintures religieuses ou mythologiques, ou scène de bonheur...