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Actualités - CHRONOLOGIE

« Nous savons ce que nous sommes, pas ce que nous pouvons être » Shakespeare inspire encore la jeunesse libanaise, qui n’a pas abdiqué ses rêves de grandeur

À l’heure où le débat public se limite des invectives, des affirmations ou des justifications, à desdites et des redites, à tel point que beaucoup ne veulent plus ni lire le journal ni regarder le journal télévisé, il est rafraîchissant et quelque part rassurant d’entendre les jeunes universitaires libanais discourir. Ceux qui maîtrisent le mieux cet exercice ont été invités à participer à une compétition Public Speaking, organisée par la English Speaking Union, sur le thème « New Horizons New Frontiers ». Ils venaient de l’Université américaine, de l’Université libanaise, de Haigazian, de la NDU, de Balamand ainsi que de l’USEK ; ils ont laissé libre cours à leur imagination sans frontières. La capacité d’imagination des jeunes tranche avec la pauvreté de celle de leurs dirigeants. Qui de rêver de transformer le monde par l’art, qui par des placebos, qui par le Bien à la manière de Gandhi… Entamer le changement par le théâtre : puisque « Mundus est fabula » (le monde est un théâtre), « let us act now », joue sur les mots Dima Matta (jouons/agissons maintenant). À un jury qui sourit de ce plaidoyer pour le théâtre, la jeune étudiante et comédienne oppose qu’il faut bien commencer quelque part et que précisément le langage artistique, notamment le théâtre – la scène étant le retour de l’art à la vie, dixit Oscar Wilde remarque-t-elle – transcende les barrières : sociales, linguistiques… « Au théâtre, je n’ai pas besoin de connaître la nationalité du comédien en sanglot pour ressentir l’émotion », explique Dima. Au théâtre, il y a communion. Ne peut-on puiser là où il y a communion les ferments d’un projet commun ? Une invitation donc à commencer à agir par le biais de la culture, de «la prospérité intellectuelle » ; que l’on a d’ailleurs du plaisir à constater encore très présente parmi les universitaires libanais, en dépit de tout ce qui peut se dire sur le recul de l’éducation dans le pays. « Nous avons essayé tout ce qu’il était possible d’essayer en recourant au Mal pour solutionner notre problème ; manifestement ça n’a pas marché », constate Jad el-Khoury, de l’Université de Balamand, un des deux gagnants de la compétition. « Pourquoi ne pas essayer, pour une fois, autre chose ensemble?» ? Idéaliste ? Peut-être pas autant que pragmatique au final ; puisqu’il constate justement que les tentatives passées se sont soldées par un échec et qu’« il était temps de réaliser que quelque chose n’allait pas dans ces méthodes ». Celui qui propose d’envisager une nouvelle formule rousseauiste, pacifiste, a vingt ans et commence son discours en confessant s’être amusé à l’âge de onze ans à torturer, avec un cousin, son voisin d’une autre religion que la sienne. Et en avoir encore honte des années plus tard ; autant que de son impuissance face à la disparition de son univers. Il souffre au tréfonds de lui. « J’ai le sentiment que mon univers est en train de mourir », dit Jad. Il dit avoir fait un rêve ou un cauchemar en fait : deux filles s’aimer, arrêtées par la police ; une Arménienne sangloter parce qu’on ne l’autorise pas à épouser son amoureux, intello, bien sous tous rapports mais musulman ; des lieux d’attentats jonchés de gravats, des stigmates de la haine et de la mort… Ses visions sont soudain lavées par une vague géante. Le réveil. Il est temps de changer. Jad propose des réformes ; il utilise le mot changement et non réforme, réservé aux plus politiques sans doute. Il énumère à titre d’exemple, des changements dans le système éducatif, dans le système pénal, qui selon lui devrait plutôt corriger que punir ou encore dans le système démocratique à proprement parler. Ils sont jeunes ces étudiants qui veulent affronter le public, mais ils ont déjà conscience du gâchis et du temps perdu ; de la supercherie des politiques mais aussi de tout ce qu’eux-mêmes recèlent en eux. Ils accusent les dirigeants de leur boucher l’horizon en dressant des murs invisibles entre eux, en plus des murs de papiers au travers des photographies des uns et des autres, suspendues partout, dans la capitale et ailleurs. Des murs de peur, dont ils s’aperçoivent de l’absurdité une fois à l’université ; notamment à l’AUB, selon Joe el-Khoury. Dans l’antre de l’université, ils ont appris à se côtoyer, à se connaître, en l’occurrence à ne pas avoir peur. Joe ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas transposer cette expérience hors les murs de l’université. Idem pour Danièle Chemaly de l’Université libanaise, qui elle, se place dans une perspective plus philosophique de « l’espoir que les nouveaux horizons supposent ; l’espoir qui suppose une certaine persévérance et de la détermination » dit cette jeune étudiante. « Une grâce spirituelle, de l’anticipation, des attentes », etc. Elle cite les placebos : il est prouvé que les patients qui en prennent souffrent moins, argumente-t-elle. Il suffirait donc d’y croire. Danièle se réfère à ceux qui avaient des rêves et qui les ont réalisés : Martin Luther King, « I have a dream », avait-il dit et avait par là même changé l’Amérique ; Christophe Colomb… Ils n’auraient pas changé le monde s’ils n’avaient pas eu le fol espoir de le faire. Et elle revient sur le Liban où elle veut remettre les pendules à l’heure : « Imaginez, 40 milliards de dettes, pas d’électricité, des attentats, etc., et les libanais, tel que Maxime Chaya », continuent à tenir haut le pavé par-delà les frontières. « Imaginez », Danièle a le courage de demander à l’audience de fermer les yeux un instant et d’imaginer. « Qui sait, peut-être serons-nous les prochains à faire la différence ? ». « Nous savons ce que nous sommes, mais pas ce que nous pouvons être », rappelle dans le même ordre d’idées Maha Zawil de l’AUB, se référant à Shakespeare. Pour briser les frontières, il faut se donner la chance d’être autre ; mais pour cela, il faut oser. C’est clair, il est plus difficile de sauter vers l’inconnu même lorsque ce que l’on connaît est médiocre. Puissent les plus vieux trouver inspiration dans la détermination et la vision de la jeunesse de ce pays, lucide et ô combien encore éclatante de combativité et de valeurs. Une jeunesse qui veut vivre en accord avec ses propres valeurs, ses horizons et non ceux qu’on veut lui imposer. Une jeunesse qui en dépit du poids d’un quotidien pétri d’incertitudes – tant économique que sécuritaire – est étonnamment ouverte sur le monde et consciente des grands enjeux planétaires et qui mérite assurément que l’on se batte pour elle, pour qu’elle demeure… à demeure. En tout cas, « si la volonté politique est une ressource renouvelable », comme dit Joe el-Khoury, l’on peut encore espérer qu’à terme, de telles forces vives réussiront à fendre de nouveaux horizons. Nicole Hamouche
À l’heure où le débat public se limite des invectives, des affirmations ou des justifications, à desdites et des redites, à tel point que beaucoup ne veulent plus ni lire le journal ni regarder le journal télévisé, il est rafraîchissant et quelque part rassurant d’entendre les jeunes universitaires libanais discourir. Ceux qui maîtrisent le mieux cet exercice ont été...