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Actualités - CHRONOLOGIE

La prison est le lot d’un grand nombre d’adolescents qui se droguent Aucune structure pour la prise en charge des toxicomanes mineurs issus de milieux défavorisés

La Fondation du père Afif Osseirane a organisé une table ronde,?sur le thème de «?l’intervention auprès des mineurs toxicomanes issus de milieux défavorisés?». Cette table ronde se situe dans le cadre du projet intégré de la Fondation de défense des droits et de réinsertion sociale des mineurs en conflit avec la loi, en collaboration avec la faculté de santé publique de l’Université libanaise. Soucieuse de mettre la pression sur les autorités concernées afin de les pousser à aller de l’avant dans les domaines de la prévention et du traitement, la Fondation s’est fixée pour objectifs de mettre en place une proposition de travail et de créer un comité chargé de la soumettre aux décideurs. Le problème est d’autant plus urgent que les mineurs toxicomanes sont souvent jetés en prison parce qu’ils se droguent ou parce qu’ils ont commis des délits ou des crimes. Mais aucun programme ne les prend en charge, pour leur désintoxication ou pour leur réhabilitation. Quant à la loi, elle ne tient toujours pas compte d’eux. «Qu’est-ce qui entraîne les mineurs vers la drogue???» demande Yanni Yasmine, représentant la Fondation Afif Osseirane, qui précise que «?les adolescents représentent 80?% des toxicomanes?». Mis à part la guerre, le climat politique et le manque de repères dans une société sans autorité, «?les jeunes sont poussés par la curiosité dans 26?% des cas. Ils tentent de fuir la réalité et recherchent le plaisir immédiat. Se droguer leur procure une certaine confiance en soi?», précise M. Yasmine. Par ailleurs, «?53?% des jeunes toxicomanes n’ont aucune profession et pas de revenus. De plus, 71?% d’entre eux ont fui l’école à plusieurs reprises. Non satisfaits de leur vie dans 58?% des cas, mal ou pas pris en charge dans la cellule familiale, nombre d’entre eux commettent des délits, notamment des vols et des actes de violence?». Quant aux adolescents à risque, poursuit-il, ils présentent généralement certaines caractéristiques communes, comme le fait de «?se rebeller contre l’autorité parentale, d’être en situation de décrochage scolaire ou de multiplier les absences, d’être plus influencés par leurs camarades que par leurs parents, de présenter des comportements marginaux. Souvent, ils viennent d’une famille éclatée et personne ne s’occupe d’eux. Parfois même, ils n’ont pas de toit. Non conscients des dangers de la drogue sur leur santé, dotés d’un Moi faible, les adolescents toxicomanes jouent carrément avec la mort pour compenser la mélancolie qu’ils ressentent. Pris dans l’engrenage du groupe, ils perdent leur identité au profit de celle du groupe?». Dire non à la drogue Quelques remarques faites par des adolescents toxicomanes illustrent bien ces traits de comportement. «?Chadi, 18 ans, détenu à Roumieh, ne semble pas avoir d’autre perspective que la prison?», raconte le psychologue Zyad Abi Rached. «?Ici j’ai un toit, je mange à ma faim, on s’occupe de moi, dit l’adolescent. Qu’irai-je faire de nouveau à Tripoli où je n’ai d’autre choix que de revenir au gang avec lequel j’étais?». «?D’autres jeunes ne se soucient même pas de savoir s’ils ont attrapé le sida ou l’hépatite par le biais de seringues?», raconte à son tour la psychologue Chantal Chédid, représentant l’association Skoun, qui mène une étude sur le sida au niveau des toxicomanes. «?Pourquoi devrais-je m’en soucier, puisque ma vie n’a plus de sens et que je n’ai même pas les moyens de me soigner???» lance un autre adolescent, à ce propos. Axées sur la prévention et le développement, les solutions que propose de rechercher M. Yasmine concernent le travail avec les parents, les éducateurs, les établissements scolaires et les universités, ainsi que les moyens de renforcer les processus de défense des mineurs et d’établir le dialogue avec eux. Il met aussi en exergue la nécessité de renforcer la confiance en soi des adolescents et leur capacité à dire non à la drogue. C’est sur le développement du cerveau chez l’adolescent, lié à la toxicomanie qu’a porté l’intervention du docteur Antoine Saad. Le psychiatre tient à préciser que si le cerveau atteint dès l’âge de 6 ans, 95?% de sa dimension définitive, il n’atteint son développement complet qu’à l’âge de 24 ans. «?C’est la raison pour laquelle l’adolescent ne pense pas aux conséquences de manière générale, mais recherche le plaisir immédiat et la récompense. Il risque ainsi de sombrer dans la drogue, celle-ci lui procurant un plaisir immédiat?», observe le docteur Saad. Il ajoute aussi que «?le caractère de l’adolescent est marqué par l’impulsivité, par les changements d’humeur, car le jeune utilise son cerveau émotionnel. Ce n’est donc qu’à partir de 20 ans que l’adolescent peut utiliser son jugement par le biais de son cerveau rationnel?». Précisant qu’il est important de trouver à l’adolescent des dérivatifs susceptibles de lui donner ce plaisir qu’il recherche, afin qu’il n’ait pas besoin d’avoir recours à la drogue, à l’alcool ou à la cigarette, Antoine Saad insiste sur l’importance du rôle de la famille, de la communauté médicale, de l’école et de la loi, à ce niveau. Plus de 70 % de rechute Soulignant les problèmes rencontrés par les psychiatres à l’hôpital de la Croix dans l’accueil des toxicomanes, le docteur Michel Soufia observe qu’il n’existe pas d’unité d’accueil des toxicomanes et que les places leur sont donc très limitées dans les hôpitaux. Il propose de réfléchir sur la création d’unités spéciales pour l’hospitalisation des adolescents toxicomanes et insiste sur la nécessité de faire suivre l’adolescent par des équipes pluridisciplinaires, une fois le sevrage physique accompli, tout en précisant que le manque de suivi risque d’entraîner la rechute. «?Après la cure de désintoxication, plus de 70% des adolescents rechutent, constate-t-il, alors que ceux qui sont pris en charge par des institutions comme Oum el-Nour (qui s’occupe de la réhabilitation de toxicomanes adultes) ont de grandes chances de s’en sortir?». Et le docteur Soufia de mettre en exergue le rôle de la famille, de l’école et des autorités, non seulement au niveau de la prévention, mais dans le comportement à l’égard du toxicomane. «?Il faut qu’ils traitent le toxicomane comme un malade?», dit-il, déplorant que «?les toxicomanes arrêtées par les Forces de sécurité intérieures sont souvent traités comme des voyous et battus?». Et d’insister aussi sur la nécessité de légaliser les traitements de substitution. «?Le taux de mortalité et de rechute baissera alors considérablement?», affirme-t-il. Enfin, le docteur Charles Yacoub, représentant l’association Skoun a évoqué «?le lien entre les mineurs en conflit avec la loi et l’abus de substances?», même si dit-il, «?l’abus de substances existe dans tous les milieux et à tout âge?». Expliquant les différentes formes d’addictions, il a précisé que certains facteurs prédisposent à la dépendance, notamment les facteurs biologiques, psychiatriques, familiaux et environnementaux. Quant aux facteurs favorisant le maintien de l’adolescent dans la dépendance, ils consistent dans l’absence d’information et de prévention, l’absence d’action sur les facteurs qui prédisposent, le manque d’action rapide et ciblée auprès des mineurs, l’absence d’une prise en charge globale et spécialisée et enfin la gestion inadéquate de la situation par la législation, par la société et par l’Etat. Il précise à ce propos que 90?% des mineurs en conflit avec la loi ont quitté l’école durant leurs études primaires. Et d’indiquer que l’abus de substance est lié à la récidive des délits et des crimes et à la délinquance. D’autant, précise-t-il, que «?les délits et crimes sont souvent commis après la prise de substances. Les adolescents sont alors désinhibés, impulsifs, ils souffrent d’amnésie partielle. Ils n’ont même pas une idée précise des délits ou des crimes qu’ils ont commis?». C’est de plus en plus jeunes, que les enfants s’adonnent à la drogue. «?Entre 2006 et 2008, nous avons constaté qu’à Saïda, 60?% des toxicomanes commencent à se droguer dès l’âge de 10 ans?», observe l’avocate Jocelyne Karam. «?Le problème est que la loi libanaise ne considère pas les toxicomanes comme des personnes malades mais comme des criminels. La prison devrait être le dernier recours, selon la loi 422 des mineurs en conflit avec la loi, mais elle est souvent le premier recours?», déplore-t-elle. Une seule consolation, est que les geôliers suivent régulièrement des formations pour bien traiter les enfants en milieu carcéral. Piètre consolation. A.-M. H.
La Fondation du père Afif Osseirane a organisé une table ronde,?sur le thème de «?l’intervention auprès des mineurs toxicomanes issus de milieux défavorisés?». Cette table ronde se situe dans le cadre du projet intégré de la Fondation de défense des droits et de réinsertion sociale des mineurs en conflit avec la loi, en collaboration avec la faculté de santé publique de...