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Actualités - OPINION

Un anniversaire qui divise Yakov M. RABKIN*

Alors que l’État d’Israël se prépare à célébrer son 60e anniversaire, une profonde division s’est développée entre les nationalistes de droite et les juifs, tant laïques que religieux, qui rejettent ou remettent en question le nationalisme ethnique de l’État d’Israël. Un débat public ouvert et franc sur la place de l’État sioniste dans la continuité juive est désormais ouvert tant en Israël qu’au sein des diasporas juives. Depuis des décennies, de nombreux juifs tentent de réconcilier les contradictions existant entre le judaïsme tel qu’ils le professent et l’idéologie sioniste qui s’est emparée d’eux. Ainsi Avraham Burg, ancien président de la Knesset et de l’Organisation sioniste mondiale, déplore la direction violente qu’a prise la société israélienne. Considérant le projet sioniste moribond, il appelle tous ses compatriotes, ayant la possibilité de le faire, à se procurer un second passeport. Son appel peut étonner : après tout, Israël est une puissance nucléaire et un succès économique impressionnants. Or de plus en plus de juifs israéliens demandent publiquement si l’État-nation ethnique, assiégé de manière chronique au Moyen-Orient, est « bon pour les juifs ». Parmi eux, beaucoup sont préoccupés par le fait que le sionisme militant détruit les valeurs morales juives et met les juifs en danger. Ils constatent que c’est la structure exclusive de l’État sioniste qui entraîne l’utilisation chronique de la force. Ils attribuent aux fondateurs de l’État, tous originaires de l’Europe de l’Est, une myopie dangereuse qui n’a pas pris en compte les droits des Palestiniens musulmans et chrétiens dépossédés et déplacés au cours de la réalisation du rêve sioniste. S’appuyant sur leur supériorité militaire, les leaders sionistes ne faisaient pas attention aux avertissements émanant tant de sources traditionnelles du judaïsme que de grands penseurs juifs contemporains. Tandis que le prophète Samuel rappelait que « ce n’est pas la force qui fait le vainqueur », la politologue juive allemande, Hannah Arendt, était plutôt pragmatique. Selon elle, « même si les juifs pouvaient gagner la guerre, (…) les juifs victorieux seraient entourés par une population arabe entièrement hostile, isolés derrières des frontières menacées, absorbés par le besoin d’autodéfense physique. (…) Et tout cela serait le destin d’une nation qui – peu importe le nombre d’immigrants qu’elle pourrait intégrer et peu importe jusqu’où seraient étendues les frontières – restera un peuple très petit devant des voisins hostiles bien plus nombreux ». Un vétéran de la milice sioniste Hagana et un des « héros » de la création d’Israël n’est pas arrivé à fêter le 60e anniversaire de l’État sioniste. Yossi Harel, capitaine du légendaire bateau Exodus qui, en 1947, transportaient 4 500 juifs européens, dont une majorité de rescapés de la Shoah, est mort fin d’avril. Le bateau avait été repoussé par les autorités britanniques qui craignaient que l’arrivée de milliers de colons sionistes menace la société palestinienne alors multiethnique. En commentant cet épisode, rendu célèbre par Hollywood dans un film qui met en vedette Paul Newman, Harel a dit que « l’histoire a prouvé que l’on ne peut pas vaincre les réfugiés ». Ironiquement, sa conclusion se révèle vraie de nos jours par rapport aux millions de réfugiés palestiniens et leurs descendants. Les juifs israéliens, tout comme les diasporas juives, sont profondément divisés. L’axe, le long duquel cette division s’est formée, ne correspond à aucune des divisions habituelles ashkénaze/sépharade, pratiquant/non pratiquant, orthodoxe/non orthodoxe. Dans chacune de ces catégories se trouvent des juifs pour qui la fierté nationale, et même l’arrogance, est une valeur positive, et qui donnent leur appui enthousiaste à l’État qui incarne pour eux une garantie de la survie des juifs. Mais chacune de ces catégories inclut également des juifs qui croient que le prix humain et moral, que l’État ethnique juif exige, sape tout ce que le judaïsme enseigne, en particulier les valeurs-clés de l’humilité et de la compassion. Tout comme les partisans les plus inconditionnels du recours continu à la force, ils pointent du doigt le paradoxe qui veut qu’Israël, souvent présenté comme un asile ultime, devienne l’un des endroits les plus dangereux pour les juifs. L’esprit pionnier qui anime certains colons en Cisjordanie les irrite et paraît désuet, voire dangereux. Les clivages chez les juifs sont si importants qu’ils peuvent les diviser de manière aussi irrémédiable que lors de l’avènement du christianisme il y a deux millénaires. Le christianisme, qui incarne une lecture grecque de la Torah, s’est par la suite détaché du judaïsme. Comme le christianisme, le sionisme, reflétant une lecture nationaliste et romantique de la Torah et de l’histoire juive, en est venu à fasciner de nombreux juifs. Il reste à voir si la rupture entre ceux qui s’en remettent à la tradition morale juive et les convertis à l’exclusivisme nationaliste juif peut un jour être palliée. *Yakov M. Rabkin est l’auteur de Au nom de la Torah : une histoire de l’opposition juive au sionisme (PUL, 2004). Il est professeur d’histoire à l’Université de Montréal.
Alors que l’État d’Israël se prépare à célébrer son 60e anniversaire, une profonde division s’est développée entre les nationalistes de droite et les juifs, tant laïques que religieux, qui rejettent ou remettent en question le nationalisme ethnique de l’État d’Israël. Un débat public ouvert et franc sur la place de l’État sioniste dans la continuité juive est...