Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - «Khamsoun», de Jalila Baccar et Fadel Jaïbi, au théâtre Tournesol Un demi-siècle pour rien

Bouillonnante, pleine de bruits et de fureur, de mots crachés et de phrases syncopées, de gestuelle maîtrisée et de tableaux chorégraphiés, «?Khamsoun?» est une œuvre théâtrale qui ne fait pas dans la demi-mesure. L’effet est très similaire à celui d’une douche, non pas écossaise, mais bien dans la plus pure tradition tunisienne, dans le genre «?citronnade glacée frappée?». Douce-amère, la pièce de Jalila Baccar, mise en scène par Fadel Jaïbi, s’attaque sans ambages à toutes les idéologies et croyances, à une foule de sujets pour le moins délicats et qui s’articulent autour du cinquantenaire de l’indépendance que la Tunisie a fêté il y a deux ans. Un discours libre et politiquement incorrect (mais ô combien juste), un coup de périscope sur une société aux multiples contradictions. La pièce débute avec l’histoire d’une jeune fille originaire d’une famille laïque, qui émigre en France pour y poursuivre son éducation. Elle commence à avoir des idées religieuses extrémistes après les attentats du 11-Septembre, l’invasion de l’Irak et le déclenchement de la seconde intifada palestinienne. À son retour en Tunisie, où elle aura passé d’un marxisme pur à un islamisme dur, elle se trouve impliquée dans le suicide mystérieux d’une jeune amie enseignante qui a décidé un vendredi 11 novembre 2005 de se faire exploser dans la cour de son lycée. Ce «?badaboum?» catapulte le pays dans la paranoïa et met en branle le redoutable dispositif antiterroriste. Il met aussi, dans un face à face impitoyable, des protagonistes de choix?: un régime politique autoritaire, une société civile et des démocrates plus laminés que jamais, des islamistes clandestins aux funestes desseins, et des citoyens dociles ou indifférents. Cette pièce aborde, entre autres bien sûr, les méthodes extrêmes utilisées par la police pour interroger un membre d’une cellule terroriste qui se préparait à commettre un attentat dévastateur. Leurs confessions révèlent que ce ne sont pas des leaders, mais simplement des jeunes à qui l’on a bourré le crâne. Khamsoun analyse ainsi la cause du phénomène de la violence islamiste, alimentée par la crise de l’affiliation, le déclin du monde arabo-musulman et la propagation des dictatures dans la région. Elle remonte le cours du temps, secoue les cellules mnémoniques, rappelle aux Tunisiens et à leurs camarades arabes la petite histoire de leur grande «?Oumma aarabiyya?». Les principaux courants idéologiques qui ont secoué la région sont passés au crible. Les croyances, les manies, les comportements, les discours des uns et des autres… Tout cela, vous en conviendrez, ne se fait pas sans douleurs. Ce qu’il importe de questionner et de comprendre, aux yeux de Jaïbi et Baccar, c’est notre époque actuelle?: pour cela, il faut délier les langues, réveiller les mémoires, remonter le cours du temps et tenter d’inventer des parcours possibles, des figures qui suggèrent, au moins à titre d’exemple, ce qui a pu se produire et comment on en est arrivé là. La quête se fait donc enquête, et procède par confrontations?: du présent avec le passé, des positions de parole masculine et féminine, de la nouvelle génération adulte avec celle de ses parents (eux-mêmes fils des premiers témoins de l’indépendance tunisienne, il y a un demi-siècle), du rationalisme marxiste des militants des années 60 et 70 avec les convictions fondamentalistes, mais aussi de l’Occident postcolonial avec l’Orient et le Maghreb. À la question de savoir si le théâtre avait un rôle à jouer dans la dénonciation de l’extrémisme religieux, Fadel Jaïbi avait déclaré?: «?L’extrémisme religieux est l’ennemi de la créativité et des artistes, en particulier dans la mesure où nous rejetons l’extrémisme dans des termes très clairs. Et il nous revient de soulever des questions concernant le présent et l’avenir de notre pays. William Shakespeare n’a-t-il pas dit :“?Donnez-moi un théâtre et je vous donnerai un grand peuple” ??» Concernant la censure qui s’est abattue sur Khamsoun, le metteur en scène est clair?: «?Ils m’ont demandé de supprimer les noms et les dates, ainsi que tout ce qui a trait à la religion. Je leur ai dit que je n’attaquais personne, pas plus que je ne transgressais les lois du pays. Cela fait maintenant plus de trente ans que notre troupe, Familia, persiste à utiliser des noms et des événements historiques et à utiliser des termes tunisiens, et nous n’avons jamais été censurés. Je leur ai demandé s’il y avait une objection légale ou une transgression à l’encontre du sacré lorsqu’un acteur, jouant le rôle d’un enquêteur, demande à un autre, jouant le rôle d’un extrémiste, de lui parler de la relation entre le réformateur Taher ben Ashour et les talibans ou de la relation de Zarqaoui avec le mufti d’Égypte.?» «?Cette pièce juge les 50 années écoulées depuis l’indépendance du pays, observant les circonstances actuelles et reprenant nos aspirations pour l’avenir?», résume le metteur en scène. Cinquante ans d’idéologies, triomphantes ou consumées, pour en arriver là… Maya GHANDOUR HERT
Bouillonnante, pleine de bruits et de fureur, de mots crachés et de phrases syncopées, de gestuelle maîtrisée et de tableaux chorégraphiés, «?Khamsoun?» est une œuvre théâtrale qui ne fait pas dans la demi-mesure. L’effet est très similaire à celui d’une douche, non pas écossaise, mais bien dans la plus pure tradition tunisienne, dans le genre «?citronnade glacée...