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UNE TOILE, UNE HISTOIRE Jan Van Eyck, le maître de la nouvelle peinture flamande « Portrait des époux Arnolfini » à la National Gallery de Londres

On aura tout dit à propos de Jan Van Eyck et les historiens de l’art se sont beaucoup interrogés sur « cette maîtrise formelle sans précédent qui semblait (étrangement) trop isolée et sans précurseur ». On aurait même prétendu, en se référant à une inscription latine découverte en 1832, sur le cadre du polyptyque de L’Agneau mytique, qu’Hubert son frère avait commencé l’œuvre mais que c’est Jan qui la termina. Mais la part d’Hubert est difficile à reconstituer et demeure donc hypothétique. Premier peintre de chevalet et inventeur de cette peinture à l’huile ? Cette qualification va bien à cet artiste même si elle semble assez réductrice. Et quand on sait aujourd’hui que Jan Van Eyck était enlumineur, alors on comprend mieux ce transfert qui a eu lieu de l’art de la miniature à la peinture de chevalet chez cet artisan qui a su se hisser au rang d’artiste. Né vers 1390, près de Maastricht, et décédé à Bruges en 1441, Jan Van Eyck a connu de son vivant une gloire rapide et fulgurante. Considéré comme le précurseur de la peinture flamande du XVe siècle, il a révolutionné la technique picturale. C’est lui qui a préparé à l’avènement de la peinture à l’huile. C’est encore lui qui a inventé ce regard sur la toile fixant le spectateur. C’est enfin grâce à lui que la lumière des tableaux flamands atteint son paroxysme et qu’elle devient phosphorescente, cristalline. L’artisan devenu artiste Jan Van Eyck est d’abord un homme de cour. Travaillant d’abord pour le compte de Jean de Bavière, à Liège, l’artisan (car c’est ainsi qu’on considérait les peintres à l’époque) est renvoyé lorsque son maître meurt. C’est Philippe le Bon, un prince qui se passionne pour les arts, qui le prendra à sa charge. Il le servira pendant quinze ans à Lille et à Bruges. Devenu son homme de confiance, Van Eyck répond aussi aux commandes d’une autre élite : les chanoines et les évêques et plus tard la bourgeoisie. L’achèvement du polyptyque de L’Agneau mystique en 1432, et sa consécration marquent un tournant dans la carrière de l’artiste mais également dans l’histoire de l’art tout entière. Le rai de lumière qui apparaît sur la toile est décrit par l’humaniste Bartolomeus non pas comme peint mais « semblant venir du vrai soleil, comme à travers une lézarde dans le mur ». À cette époque, alors que l’activité picturale était strictement encadrée par une corporation qui mettait l’accent sur son aspect artisanal et dépersonnalisait la création, Van Eyck magnifiait la peinture et lui donnait ses titres de noblesse. Le mécénat devenu très répandu en Flandre, cet art devient pour les marchands un investissement, et les peintres les plus prisés seront désormais respectés en tant qu’artistes. Jan Van Eyck en faisait partie. Selon les historiens de l’art, deux motifs intimement liés marquent une volonté d’émancipation chez l’artiste : la signature et les autoportraits cachés. En ce qui concerne le Portrait des époux Arnolfini, la signature apposée au-dessus du miroir est un véritable chef-d’œuvre de calligraphie. On y lit : « Johannes de Eyck fuit hic », ce qui signifie « Jan Van Eyck fut ici ». Par ce geste, l’artiste affirme sa paternité par rapport à l’œuvre. Il la réaffirmera de nouveau en reflétant sa présence réelle dans le miroir, puisqu’on y voit deux hommes sur le seuil de la porte, l’un en rouge, l’autre en bleu (que l’on suppose être le peintre). Intimiste et lumineux Ce portrait est celui de deux de ses amis, Giovanni et Giovanna Anolfini. Ce couple, tout comme les autres bourgeois, ne pouvant être reconnu comme les nobles par leurs armoiries, cherchait à se faire connaître par leurs traits en se faisant portraiturer par de grands peintres. Tous deux aimaient être représentés, vêtus de riches tissus de brocart, de laine ou de velours, et en famille si possible comme gage de la pérennité de leurs affaires. Au sujet de cette œuvre intimiste, bien des choses ont été dites. Certains ont même suggéré une scène de chiromancie. L’homme lirait ainsi les lignes de la main de la dame pour lui prédire l’avenir de l’enfant. Or, il a été établi que les deux figurants de la toile sont en effet des époux ; qu’ils appartenaient à la haute société de la ville de Lucques ; que la femme n’est probablement pas enceinte mais qu’elle attendrait une bonne nouvelle. D’autres détails renseignent sur l’histoire de cette toile. D’abord : l’unique chandelle brûlant dans ce chandelier à six branches fait allusion au mariage ; l’alcôve rouge représente la chambre nuptiale ; enfin, si les pantoufles jetées à gauche de la toile, son signe d’intimité, le chien, au pied de la dame, est, quant à lui, symbole de fidélité. Les images réfléchies dans le miroir (celle des époux et des deux étrangers) démontrent combien l’art de représenter les reflets, au même titre que les paysages, était la spécialité des artistes flamands. Au moyen de miroirs, verres ou cristaux, ces reflets permettent d’introduire dans la scène délimitée par le cadre des éléments extérieurs qui la sortiraient de son aspect figé, dans l’espace et dans le temps. Colette KHALAF
On aura tout dit à propos de Jan Van Eyck et les historiens de l’art se sont beaucoup interrogés sur « cette maîtrise formelle sans précédent qui semblait (étrangement) trop isolée et sans précurseur ». On aurait même prétendu, en se référant à une inscription latine découverte en 1832, sur le cadre du polyptyque de L’Agneau mytique, qu’Hubert son frère avait...